Bonjour à tous,
le 12 décembre, Michel Leclerc verra son nouveau film sur les écrans de France:
Télé gaucho. S'appuyant sur un casting épatant, avec une mention toute particulière pour le premier rôle, Félix Moati incarnant à merveille le personnage de Victor, jeune étudiant cinéphile, plein d'illusions à son arrivée à Paris et une confirmation, s'il en fallait une, pour Eric Elmosnino, qui joue le rôle de Jean Lou, dirigeant de Télé gaucho, qui démontre encore une fois tout son talent au cinéma.
Le résumé est assez simple: un jeune provincial, Victor, débarque à Paris pour débuter un stage avec une vedette de la télé réalité, Patricia Gabriel, interprétée par Emmanuelle Béart, de la chaîne HT1, tout en devant suivre des études pour devenir cinéastes. Mais il rencontre une bande de fous furieux ayant créé une Télé libre contestatrice, "Télé Gaucho", dont les membres suivent toutes les manifestations remettant en cause l'ordre établi ou fustigent les rassemblements réactionnaires. Très vite, Victor va s'intégrer parfaitement dans ce moule, rencontrer une fille folle à lier mais tellement charmante, sympathiser avec la vedette de la chaîne et la trahir pour la cause de "Télé Gaucho", tout en mentant à ses parents sur toute sa vie parisienne!
Une ode aux années 1990?
Tous les spectateurs ayant vécu ces années prendront évidemment plaisir de revoir dans ce film des éléments oubliés de cette période. Ce plaisir est celui de se rendre compte surtout que la modernité de ces années a été engloutie par les progrès technologiques des débuts du XXème siècle. Ainsi le "Be Bop", premier téléphone portable mis en circulation ne fonctionnait qu'auprès de bornes dédiées, les caméscopes intégrant les magnétoscopes étaient d'une modernité incroyables, l'émission par voie hertzienne de cette télévision restait encore la seule possibilité de diffusion d'un discours audiovisuel non officiel. Spontanément, les spectateurs font les comparaisons avec aujourd'hui: la facilité de produire des images en 2012 et surtout de les transmettre, pas seulement dans le quartier mais dans le monde entier donne à ces hurluberlus d'hier à peine une dimension de pionniers et de combattants forcenés comparable en certains points à certains postant leurs vidéos sur Youtube ou d'autres sites de partages vidéo d'aujourd'hui mais avec une audience limitée à ceux venant dans leur local! Une télévision qui se voit en salle donc, avec des moyens de produire des images mais pas de les diffuser.
Cette générosité des ces années a été complètement oubliée parce que la technologie a rendu terriblement dépassé ces combats. Parce que l'enthousiasme montré à l'écran n'est pas celui de mai 1968 qui voulait changer le monde pendant une période de plein emploi, mais bien celui de maintenir ce qui avait été conquis par les générations précédentes en pleine période de crise économique et sociale. Même le combat pour le Pacs résonne comme la continuation de ce qui avait été entamé après 1968, à commencer par le droit à l'avortement, ce que montre d'ailleurs la manifestation contre ce droit par des groupuscules catholiques anti-avortement.
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Emmanuelle Béart, alias Patricia Gabriel, avatar d'Evelyne Thomas? |
Une critique de la télévision commerciale?
Cette télé des années 1990, née de la privatisation entamée au milieu des années 1980 de quelques chaînes n'a plus cessé de produire des programmes racoleurs, mettant en scène les spectateurs, avec comme modèle dominant la première chaîne française. Michel Leclerc l'assume: TF1 a co-financé son film et pourtant, tout le monde a reconnu cette chaîne malgré le travestissement de son nom. Comme son héros Victor le dit à la vedette de la télévision, Patricia Gabriel, il pratique le Kung Fu en se servant de la force de son adversaire. La critique est facile mais pas si manichéenne. De fait, on ne voit que très peu ce que produit cette télévision si ce n'est par l'énonciation des thèmes de l'émission de Patricia. Peut-être parce que le réalisateur joue sur la connivence avec le public qui connaît très bien ce genre d'émissions qu'incarnait à merveille Evelyne Thomas (alias Patricia Gabriel?). De fait, la critique vient aussi et surtout par les réactions des membres du collectif de Télé Gaucho, mais aussi par les confessions de Patricia qui se livre à son stagiaire, Victor: "Tu ne sais pas que mon émission c'est de la merde?"
Or Télé Gaucho montre elle aussi ses limites quant à sa ligne éditoriale sans concession. Jean Lou multiplie les projets plus ou moins engagés, allant jusqu'à recruter un ancien couple ayant travaillé dans le porno pour le montrer en direct, sous prétexte que les ouvriers aussi ont droit à du porno! Si Yasmina, interprétée par Maïwenn, essaie de lui faire comprendre la dérive du projet Télé Gaucho par de telles programmations, elle ne se comporte pas forcément mieux en voulant "abattre" Patricia Gabriel. En pratiquant des enregistrements cachés, diffusant des images prises à l'insu des personnes, elle, comme Etienne d'ailleurs, interprété par Yannick Choirat, usent du sensationnalisme comme peuvent le faire les télés commerciales.
Ainsi, le film commence-t-il par des reportages tournés au cœur des manifs, avec des prises de positions clairement politiques, progressistes et anti-capitalistes pour finir dans la tentative de se faire connaître de tous en passant sur les antennes de HT1, coûte que coûte, de Jean Lou à Yasmina!
Par la séparation de Jean Lou et de Yasmina, le spectateur assiste à une segmentation du marché de la télévision indépendante, engagée avec elle, plus "œcuménique" avec lui. Et avec cela, ce sont tous les paradoxes qui apparaissent avec un medium dont la logique est d'être vu par un nombre important de spectateurs, poussant soit à plaire coûte que coûte, soit à toucher une cible bien précise, au risque de n'atteindre et de n'intéresser que peu de monde.
Un conte intemporel?
Le récit de Michel Leclerc place l'histoire dans les années 1990 et on se plaît, pour ceux ayant vécu cette période, à entendre parler en Francs. Mais clairement, le film ne cherche pas une reconstitution exacte de la période, avec des anachronismes multiples finalement sans intérêt. Par exemple, Télé Gaucho va filmer le débat sur le PACS qui n'est pas encore d'actualité au moment où le film commence et peut-être même pas quand il se termine!
De même, si le type d'émission de Patricia Gabriel existe déjà sur TF1 à cette époque avec notamment les émissions de Jean-Marc Morandini (
Tout est possible de 1994 à 1997), il n'a pas manqué de critiques pour dénoncer le voyeurisme de ce genre de programme télévisuel, dans la presse écrite mais aussi au sein des chaînes de télévision, y compris chez TF1.
Trop d'éléments montrent clairement l'impossible réalisme du film et
Télé Gaucho représente alors une sorte de sas de passage entre le monde réel et le monde idéalisé de chacun, un repère sans lequel beaucoup ont du mal à se positionner. Jean Lou est totalement angoissé à l'idée de se retrouver loin de son quartier et du métro lui permettant d'y retourner. De même, les relations entre Victor et sa famille qui financent leur fils pour ses études sont elles improbables. Cette famille représente le monde réel, avec ses petitesses bourgeoises, tandis que ce que vit Victor leur est totalement inconnu: Télé gaucho, Clara et Antoine leur fils. Seule la sœur de Victor a tout compris, car elle fait partie du monde des enfants et pas encore de celui des adultes.
Quant à Clara, interprétée par Sarah Forestier, elle est clairement le personnage lunaire improbable, immature à souhait et incapable de stabilité émotionnelle. Sa folie ne peut que s'insérer dans le "bestiaire" de Télé Gaucho rempli d'excentriques que seule l'anarchie de la "chaîne libre" peut accepter. Clara représente donc la part d'enfance à qui chacun d'entre nous souhaiterait tant parfois ressembler: tomber amoureux de ceux qui vous plaisent, apprendre l'arabe si cela nous chante, sans jamais se projeter dans l'avenir. C'est ce qui a séduit Victor. C'est ce qui le lassera aussi, tout comme il sera lassé des grands principes des autres de Télé Gaucho, à commencé par Etienne qui ne parle que de révolution et qui vit chez ses parents dans le 16ème arrondissement de Paris!
Le spectateur assiste donc à une forme de conte initiatique moderne d'un jeune adolescent qui croit que le monde l'attend, qui s'affranchit de sa famille pour vivre sa propre expérience et qui passe à l'âge adulte en se confrontant à toutes les contradictions et acceptations qui feront de lui un adulte, avec ses illusions, ses souvenirs mais aussi certainement ses amertumes.
Le film de Michel Leclerc prend donc le prétexte de sa propre expérience de Télé Bocal de la fin des années 1990 pour livrer un film aucunement sentencieux ni moralisateur, un film sur l'expérience humaine des adolescents pour qu'ils deviennent adultes, n'épargnant personne mais n'accusant personne.
Un
flash back pas rigoureux mais assumé sur une période maltraitée jusqu'à présent et dont il rend néanmoins compte des bouleversements, économiques, culturels, technologiques, politiques et sociétaux qui se sont passés sous les yeux de ceux qui l'ont vécue. Et en plus, c'est drôle! Alors vivez l'expérience
Télé Gaucho dès que vous le pourrez!
A bientôt
Lionel Lacour