Les 1ères Rencontres Sport, Littérature et Cinéma organisées par l'Institut Lumière du 13 au 16 mars se sont achevées il y a près d'un mois. Et il faut bien admettre que si le pari était pour certains gagné d'avance tant le sport est devenu un domaine de plus en plus populaire et tant l'Institut Lumière a su créer une dynamique autour de ses programmations événementielles, le succès n'était pour autant pas assuré. Je parle ici de succès d'affluence. Car comme l'a rappelé l'initiateur, Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière, les films de sport ou autour du sport font rarement recette au box office, à quelques exceptions près.
Ces Rencontres pouvaient alors être juste une très bonne idée mais ne pas rencontrer le public espéré. Or tel ne fut pas le cas, malgré des séances moins remplies que d'autres et sur lesquelles je reviendrai.
Eddy Merckx et les autres
Il faut dire que l'organisation avait promis aux spectateurs un parterre plutôt inhabituel parmi les vedettes invitées. Si on retrouvait Laurent Gerra, fidèle de l'Institut depuis tant d'années et quelques personnalités du cinéma comme Richard Anconina, grand amateur de vélo, le cinéaste Christian Carion, c'est bien du côté des sportifs que, pour une fois, les spectateurs allaient vite être enivrés. C'est ainsi que ces Rencontres se sont ouvertes par la venue du grand Eddy Merckx, cycliste belge surnommé le cannibale, à l'occasion du documentaire de Joël Santoni, La course en tête, réalisé en 1973. Thierry Frémaux s'est plu à rappeler ce que représentait le cycliste pour les générations ayant connu la fin des années 60 et les années 70. Merckx était une légende à l'égal de Pelé ou de Mohamed Ali. Il aurait pu aussi rappeler Borg, qui était, il est vrai, une légende naissante quand les autres cessaient presque leur activité de compétiteur de très haut niveau.
La venue du géant belge était exceptionnelle et ce à plus d'un titre. Le directeur du Tour de France, Christian Prudhomme, était ainsi présent. Mais il y avait aussi Bernard Thévenet qui avait battu le quintuple vainqueur de la grande boucle en 1975. Et il n'a pas tari déloge sur celui qui allait ouvrir magistralement ces nouvelles rencontres. Mais le plus important n'était pas là, ni dans la présence d'autres coureurs, d'autres journalistes, d'autres personnalités. Non, le plus beau fut certainement quand Thierry Frémaux demanda à la salle dans laquelle plus aucune place assise n'était vide qui venait pour la première fois à l'Institut Lumière. Devant ces dizaines et dizaines de bras levés, une évidence s'imposait. Malgré le côté populaire du Festival Lumière, malgré la notoriété de l'Institut Lumière et son ouverture au grand public, beaucoup de Lyonnais et non Lyonnais ne viennent jamais dans le berceau du cinéma. Et le vrai pari de Thierry Frémaux fut gagné à cet instant.
Eddy Merckx fait partie de ces stars qui transcendent leur sport et les générations, comme Lauda en Formule 1 - j'y reviendrai également plus tard. Et sa venue a permis de faire venir des personnes qui s'interdisent peut-être inconsciemment de venir dans un lieu culturel si puissant qu'est l'Institut Lumière. Peu importe que des acteurs populaires viennent dans la salle dite du hangar, en hommage au décor du premier film de l'Histoire, ceux qui aiment ces comédiens hésitent à venir, peut-être parce qu'ils ne se sentent pas dans leur monde. Et Merckx renverse toutes les inhibitions. Parce qu'il est une légende qui permet toutes les transgressions culturelles. Parce qu'il pousse ses admirateurs à venir dans ce lieu mythique qu'est l'Institut Lumière mais perçu souvent, à tort, comme un lieu pour les cinéphiles, ceux qui connaissent des films dont on ne comprend même pas le titre, comme aurait pu le dire Coluche.
Alors Eddy Merckx peut donner à ses fans ou aux plus jeunes ce qu'ils sont venus chercher: un moment de vérité, un échantillon de légende, un morceau de la sincérité du sportif auréolé de la gloire passée mais éternelle. Mais aussi découvrir au détour d'un documentaire de vrai cinéma ce que pouvait être le champion présenté parfois comme un être arrogant. Joël Santoni montre au contraire un sportif qui doute, empli d'humilité et surtout qui travaille énormément.
Des sportifs, des héros et des hommes
Ce que le cinéma montre des sportifs, qu'ils soient de légende ou pas, c'est l'équation insoluble qui mêle le talent, le travail, l'environnement, la volonté et parfois la chance. La programmation variée des premières Rencontres Sport, Littérature et Cinéma a permis de mettre en lumière tout cela et finalement aboutir à une synthèse qui résume la fascination des spectateurs pour les sportifs et leurs exploits. Ce qui subjugue les amateurs de sport, c'est la logique parfois désespérée du sacrifice, du don de soi pour son sport, que ce soit pendant la carrière du champion ou ensuite.
Et la programmation de ces Rencontres n'a jamais cessé d'illustrer cela. Avec les aspects positifs comme négatifs.
Le documentaire de Joel Santoni montrait ainsi les efforts de Merckx pour gagner les courses. Mais il montrait aussi comment les champions qui l'avaient précédé l'aidaient désormais au sein de son équipe, préparant les casse-croûtes à consommer pendant la course.
Les autres documentaires ont tourné autour de la figure du champion, l'ensemble constituant un kaléidoscope fantastique du monde du sport. Que ce soit Les arbitres sur les arbitres officiant pendant l'euro 2008, Visions of eight témoignant des Jeux Olympiques de 1972 à Munich et réalisé par huit réalisateurs de pays différents, Armstrong lie, présenté en avant première, sur le dopage quasi industrialisé du désormais ex-septuple vainqueur du Tour de France ou encore Les rebelles du foot produit par Eric Cantona, présent aussi à ces Rencontres, tous ces films ont mis en lumière le don total de soit pour assouvir une passion, allant jusqu'aux bas-fonds de la tricherie pour l'emporter, à la périphérie du sport quand on n'a pas le talent suffisant pour le pratiquer à haut niveau, à l'épuisement total face à l'adversité et au don de soi pour se servir de l'influence que confère le statut de star du sport.
Paradoxalement, tous ces films montrent ce que le seul spectacle du sport par les caméras de télévision ne peuvent faire. Prendre un point de vue, le tenir jusqu'au bout, ne pas se laisser prendre par la dramaturgie incluse par le jeu, voilà ce que permet le cinéma. Ainsi, voir Claude Lelouch s'intéresser au perdants des Jeux Olympiques et ne montrer qu'eux pendant plusieurs minutes permet de comprendre à la fois les souffrances des plus modestes des compétiteurs comme les désillusions des favoris défaits, parfois pour un détail. Ne s'intéresser qu'à la performance des arbitres, si indispensables au jeu mais dont on ne reconnaît le talent parfois que parce que justement leur mission a été appliquée avec justesse et donc discrétion et efficacité, c'est mettre encore davantage en lumière ce que sont les champions qui doivent eux briller pour que leur talent rayonne aux yeux du monde. S'apesantir sur le dopage organisé du cycliste texan, changer de point de vue en cours de réalisation parce que la vérité a éclaté, puis condenser tout cela en 2 heures, voilà qui permet de mettre en relief ce à quoi peut hélas parfois conduire le sport: une gloire à n'importe quel prix. Mais c'est bien sûr le documentaire produit par Eric Cantona qui illustrait parfaitement le rôle du sport dans la cité. Élément fédérateur, il est aussi générateur de nouveaux héros qui n'émanent plus des régiments mais des clubs ou des sélections nationales, parfois meurtries ou éclatées en diverses communautés. Pour ne prendre qu'un exemple du documentaire, il est tout de même stupéfiant de voir le rôle d'un Didier Drogba dans la reconstruction du sentiment national en Côte d'Ivoire alors que son histoire et sa vie auraient pu le conduire à choisir la sélection française de football, à vivre en Europe définitivement et à se désintéresser de son pays d'origine. La force de ce documentaire et en particulier de cet exemple est bien de montrer encore que les sportifs milliardaires ne sont pas seulement ceux que les médias se complaisent à nous montrer. Et que s'ils peuvent être incultes du fait de leur orientation précoce dans le monde de la haute compétition, tous loin de là ne sont pas des abrutis finis.
Des fictions pour parler de sport
Le reste de la programmation a aussi dévoilé quelques films de fiction aux genres tous particuliers. Coup de tête de Jean-Jacques Annaud était présenté en version restaurée est peut-être un des rares films qui montrent le football dans ses enjeux locaux, qu'ils soient économiques ou politiques, même pour une modeste équipe amateur d'une petite ville de province de la France des années 1970. Plus ancien était College de 1927 avec Buster Keaton qui montrait ici ses talents pour séduire une jeune femme en devenant un athlète. Mais les deux clous de la semaine étaient certainement le film en avant première de Stephen Frears, Muhammad Ali's greatest fight qui pointait sa caméra sur cette période invraisemblable de la vie et carrière du champion du monde de boxe à qui la fédération américaine avait retiré le titre de champion du monde pour refus d'incorporation dans l'armée américaine alors engagée dans le conflit vietnamien. C'est enfin en clôture du festival le film splendide de Ron Howard, Rush, sorti en 2013, considéré à tort comme un Blockbuster alors qu'il est un film étonnamment sensible malgré les vrombissements des moteurs.
À la différence des films documentaires dont le point de vue portait clairement sur les composantes du sport, même en décalage avec l'aspect purement lié à la compétition, les films sélectionnés ont ceci de commun qu'ils utilisent le sport comme un support à la narration, comme une toile de fond dans laquelle évoluent les héros, que ceux-ci soient des sportifs accomplis comme pouvait l'être Ali ou Lauda, ou qu'ils vivent le sport comme un divertissement ou mieux, comme un moyen pour réussir des projets personnels.
En ne cherchant pas à créer du suspense par la dramaturgie de la compétition, même si celle-ci peut être présente dans le récit (Coup de tête ou Rush notamment), mais en captant ce que le sport pouvait apporter comme caractérisation de leurs personnages, les réalisateurs se sont alors empêcher de faire ce que peu de films peuvent de fait réaliser, surtout quand l'histoire racontée est une histoire vraie, sans grande surprise pour le résultat final.
Le choix des films, de générations différentes, de sports différents, a permis de mieux comprendre à la fois ce que le sport permet comme contenu scénaristique, mais aussi dans ce qu'il peut interdire ou repousser. Car la meilleure dramaturgie sportive restera toujours dans l'incertitude du résultat sportif, où chaque œuvre constitue de fait un exemplaire unique par sa conclusion.
Johnny Weissmuller, champion olympique de natation |
La participation du quotidien L'Equipe était évidemment une plus value essentielle à ces Rencontres car outre les reportages sur les événements sportif passés ou ceux à venir, la dimension iconographique de ce journal est évidente. Pour preuve, la double exposition proposée aux festivaliers permettant de voir les photos en couleurs à la salle du Hangar ou d'autres en Noir et Blanc dans la galerie de l'Institut Lumière, rue de l'Arbre sec, toutes les photographies étant tirées des collections du journal.
Le vendredi fut donc l'occasion d'assister en deux sessions à des réflexions de différents journalistes de L'Equipe sur la représentation du sport. Si ce fut surtout l'aspect littéraire qui fut abordé, la question de la représentation du sport sur grand écran fut également traitée rapidement pour cette première édition, comme pour en faire une sorte de panorama rapide, augurant des discussions plus abouties dans les prochaines éditions.
Le même dans un des nombreux épisodes de la saga Tarzan |
La question se posa aussi, au-delà de la qualité médiocre des films dits de sport, à l'exception de quelques uns évidemment, sur la faible part de films de ce genre. Les faits sont implacables. Ces films, toujours à quelques exceptions près, sont des échecs au Box office. Ces exceptions comportent les mêmes caractéristiques que les films de cette première édition. Et les bons films de boxe sont la plupart du temps des films qui sont aussi des succès en salle. De Rocky à Ali en passant par Raging Bull, ces histoires sportives portent en elles des destins individuels mais aussi collectifs qui dépassent très largement le sport. Et que l'histoire soit celle de sportif réels ou imaginaires, la dramaturgie sportive ne vient qu'amplifier la dramaturgie qui entoure le héros en dehors de toute considération de compétition.
Riches en pistes sur le cinéma, il fut aussi abordé les relations possibles sur le recours à des sportifs comme acteurs de cinéma. Bien sûr Johnny Weissmuller fut Tarzan et le restera encore pour longtemps, presque comme une image documentaire, le "vrai Tarzan" alors que tant d'autres acteurs l'ont incarné depuis. Mais de fait, le champion olympique de natation n'est que très peu sorti de ce rôle et surtout, peu nombreux sont les sportifs qui ont réussi une carrière au cinéma. Quant à l'inverse, ils ne sont qu'exception si on considère l'aspect compétition à haut niveau. Mais en réalité, bon nombre de comédiens sont des sportifs. La différence réside dans le fait que la pratique d'un sport ne propulse pas forcément le pratiquant sur le devant de la scène.
Ainsi, ce colloque fut riche en informations, en analyse, en pistes de réflexion. Pourtant, l'auditoire fut maigre au regard des intervenants nombreux et de qualité. La raison immédiate pourrait être liée à la date de programmation et aux horaires. Un vendredi en journée n'était peut-être pas le moment le plus propice à une telle programmation. Mais la raison en vient peut-être davantage à l'intitulé même de ces sessions. Le terme "colloque" a peut-être laissé entendre à certains spectateurs, ceux venus voir Merckx la veille, que cela ne serait pas pour eux. Derrière ce mot résonne l'idée du savoir universitaire, laissant les plus passionnés de sport mais n'ayant pas fait d'études ou complexant de ne pas en avoir fait, sur un sentiment de Rencontres qui séparaient peut-être les types de public.
Ceux ayant assisté à ces différents temps de réflexions pourraient attester qu'il n'en était rien. Et que Benoît Hemmerman, grand journaliste de L'Equipe, évoquant Jack London et son rapport au sport était un passeur formidable pour qui aimait le sport et pouvait par ce biais découvrir un auteur connu pour le grand public pour Croc Blanc. Tous pourraient aussi témoigner des incroyables images tournées par Brieux Férot, journaliste à So foot, et traçant les portraits de supporters du Standard de Liège, avec un point de vue absolument remarquable, populaire au sens noble du terme, et permettant de mieux comprendre encore le rapport que des populations peuvent avoir avec le sport, avec un club.
Le colloque fut donc un vrai grand moment d'échanges et de plaisir. Il faudra reconduire assurément de tels moments, certainement avec une autre terminologie plus invitante pour les spectateurs qui pensent ne pas pouvoir faire partie de ce monde alors même que "ce" monde aime le sport pour les mêmes raisons qu'eux en partageant la plupart du temps les mêmes émotions.
C'est d'ailleurs ce qui fut la force de ces Premières Rencontres. Cette idée que comme le cinéma, le sport permet de vivre les mêmes émotions quelques soient les origines sociales, culturelles ou ethniques. Et la venue de Daniel Brühl, l'interprète de Niki Lauda, pour la projection de Rush permettait de faire la synthèse entre cinéma et sport. Par son témoignage sur le personnage qu'il jouait et celui qu'est véritablement Lauda, il montrait combien le cinéma est une manière de raconter une histoire différente que ce que la télévision peut raconter, par son invention, par ses points de vue et par les réactions que cela peut susciter chez ceux qui ont vécu ce qui est projeté à l'écran, que ce soit les héros dont le film s'est inspiré ou simplement les sportifs plus modestes qui peuvent vivre par procuration la vie de champion et en comprendre, parfois, les difficultés.
Pour toutes ces raisons, il y aura des 2èmes Rencontres Sport Littérature et Cinéma. Il suffira d'attendre janvier 2015. J'ai hâte.
À bientôt
Lionel Lacour
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