mardi 12 janvier 2021

"Et au milieu coule une rivière", le plus trumpiste des films du progressiste Redford?

Bonjour à tous,

Le 11 janvier 2021, France 5 diffusait Et au milieu coule une rivière réalisé par Robert Redford en 1992. Et le moins que l'on puisse dire est que le réalisateur n'est pas connu pour être un ardent Républicain, bien au contraire. Pourtant, revoir ce film permet de comprendre le pays que sont les États-Unis jusqu'à aujourd'hui. Peut-être même de comprendre les dynamiques politiques actuelles qui font se confronter deux camps visiblement de plus en plus irréconciliables. Enfin réaliser que même le grand Redford serait aujourd'hui certainement cloué au pilori pour ne pas avoir respecté certains critères que certains mouvements "progressistes" veulent imposer au cinéma.


BANDE ANNONCE



L'Amérique profonde

Adapté du livre autobiographique de Norman McLean La rivière du sixième jour publié en 1976, l'action se passe au Montana, État rural et très éloigné des grands territoires industriels du Nord Est américain. L'histoire se situe au début du siècle et l'enfance des héros se passe durant une Première guerre mondiale qui ne semble pas particulièrement affecter les habitants. Les activités sont tournées vers l'exploitation du bois et l'agriculture. Mais surtout, et c'est le cœur du film, le loisir de tout à chacun est la pêche dans des eaux qu'on imagine volontiers... fraîches! 

Tout le monde pêche, c'est d'ailleurs ce qui est dit à Neal Burns, un homme ayant quitté depuis longtemps le village et ayant adopté un mode de vie urbain. Redford décrit une société en lien avec la nature, et la pêche en est une sorte de synthèse. Il faut se lever tôt pour pêcher car sinon l'eau est trop chaude et la prise du poisson est impossible. De même il faut s'adapter aux truites, leur offrir certains appâts, savoir les attirer. Puis lutter avec elles parfois en se jetant à l'eau pour réussir à l'attraper et à en triompher. Ce ne sont pas des requins ou des espadons, mais la taille du poisson est tout autant un combat entre l'homme et le monde sauvage. C'est aussi la notion d'acceptation du temps qui est derrière cette pratique. La nature ne se donne pas aux hommes. Il faut être patient, recommencer sans cesse le même geste jusqu'à ce que soudain, le succès soit au bout de l'effort. 

Magnifiquement filmées, les séquences où le père et les fils font tournoyer leurs lignes et leurs appâts au-dessus et à fleur de rivière sont des paraboles sublimes de ce que représente la dure vie dans ces contées reculées de l'Amérique. Loin du tumulte de la ville.

Cette connaissance de la nature est partagée par toute la population. Et quand Neal joue le fanfaron pour séduire Rawhide, une marginale, celle-ci ne tombe pas dans son récit de mythomane dans lequel il prétend s'être retrouvé en montagne face à une loutre! C'est que les "citadins" sont vite débusqués dans le Montana. Et quand Norman, le narrateur interprété par Craig Sheffer retourne dans sa ville natale des années après avoir vécu sur la côte Est, son frère Paul (Brad Pitt) s'étonne qu'il n'ait plus jamais pêché. Mais cet étonnement n'est pas juste une interrogation. Il est plutôt une remarque faite à son frère sur le fait qu'il s'est coupé de la vraie vie, celle qui lie l'homme à la nature.

Les valeurs américaines 

L'Amérique décrite par Redford est aussi une Amérique blanche et chrétienne. Le père de Norman, interprété par Tom Skerritt, est un pasteur. Il est celui qui a éduqué ses fils en les emmenant à la pêche, en leur montrant que l'on doit respecter la nature, qu'il faut être humble face à elle. Mais surtout, il faut accepter de toujours progresser. Une séquence est d'ailleurs à ce titre significative. Paul est devenu de l'aveu même de Norman un artiste de la pêche à la mouche, vouant sa vie à cette pratique matinale. Pourtant, à l'occasion d'une sortie, Norman ne cesse de sortir des truites quand son virtuose de frère reste bredouille. Si bien que Paul, après des efforts répétés, en est contraint à demander comment Norman fait pour être tant en réussite. Humilité et progrès permanents.

C'est une Amérique de la famille, celle qui lie les parents à leurs enfants, et les frères entre eux, les époux à leur épouse. Pourtant, le film montre combien les États-Unis sont aussi le pays qui rompt ce lien de par les distances du territoire américain. Quand Norman devient adulte, il quitte le Montana pour la côte Est. 4 500 km le sépare de sa famille. Et il est précisé qu'il ne retournera pas "chez lui" pendant plusieurs années. Car en ce début de XXème siècle, on ne fait pas 4 500 km  (soit 9 000 km aller-retour) si facilement puisque le trajet s'effectue en train. Derrière cette distance, c'est bien la notion de temps qui s'impose aux sociétés américaines. Le temps qui sépare les familles. Et celles des États montagneux se fracturent quand les enfants sont conduits à partir pour les grandes métropoles de l'Est ou plus tard du Sud Ouest. Cette séparation physique entraîne forcément par la suite des changements de mentalités pour ceux qui partent et une incompréhension pour ceux qui restent quand parfois ils voient revenir les enfants prodigues.

L'Amérique décrite est donc aussi une Amérique qui se moque des prétentieux, de ceux qui n'ont plus de racines, qui ne savent pas qui ils sont et d'où ils viennent.  Si Norman n'a rien renié de qui il était, même s'il n'a plus pratiqué la pêche pendant des années, ce n'est pas le cas de Neal, le frère de sa fiancée Jessie. Neal, devenu tennisman professionnel, est célébré à son retour au Montana. Or il n'est qu'un vaniteux affabulateur et n'ayant surtout aucun respect pour les autres ou pour lui-même. Si Paul est un joueur et un alcoolique, au moins sait-il se respecter quand il s'agit d'accomplir sa passion. De même Neal séduit une marginale qu'il ramasse dans un bouge mais il n'est qu'un minable. Il n'assume rien. Paul au contraire est avec une marginale, une indienne, mais en assume les conséquences.

Redford montre bien cette rupture entre ces deux Amériques. Une profonde, rurale, qui se méfie de ce que la ville fait aux hommes, les coupant des valeurs essentielles. Une autre citadine, industrielle, se sentant supérieure et méprisant finalement ces ploucs des campagnes.

Une Amérique des minorités

Revoir Et au milieu coule une rivière est aussi un choc pour la bien-pensance actuelle. En effet, où sont les minorités ethniques dans ce film? À l'heure des quotas qui s'imposent progressivement à Hollywood pour répondre au mouvement woke, le film de Redford pourrait-il prétendre à être sélectionné aux Oscars, lui qui fut nommé à plusieurs statuettes, Philippe Rousselot décrochant celle méritée de la meilleure photographie? 

Or Redford ne cherche pas à filmer une Amérique des années 20 avec les impératifs moraux du XXIème siècle mais montre une Amérique profonde dans laquelle les communautés ne se mélangeaient pas. Pas de noirs donc au Montana. Car la vérité est qu'il n'y en avait quasiment pas, l'État n'étant connu ni pour ses plantations ni pour son industrie sidérurgiques, activités employant abondamment la main-d'œuvre noire. En revanche, ceux-ci se trouvaient sur la côte Est. Et Norman le signale lorsqu'il essaie de séduire Jessie à leur première rencontre. Alors qu'un orchestre de Jazz anime un bal, lui vante le Jazz joué par des noirs, celui qu'il a vu à New York, se moquant de ce Jazz fade interprété par des orchestres blancs. Jessie qui n'a jamais quitté le Montana lui réplique que sa mère aime ces orchestres. 

Oui, il n'y a pas de noirs dans le film de Redford. Le Montana, mais d'autres États similaires, ceux qui ont toujours la même démographie, sont des États peuplés par des blancs allant au temple tous les dimanches. En revanche, il y a des Indiens. Et Mabel, la fiancée de Paul, en est une. Et Redford ne fait pas l'économie de rappeler le racisme qui prévalait vis-à-vis de ces populations. Alors que Paul veut entrer dans un club avec Mabel, accompagné de Norman et Jessie, le patron lui indique que sa fiancée ne peut entrer. Paul ne négocie pas et entre quand même. Une fois assis, la serveuse prend la commande de tous, sauf de Mabel. Celle-ci ne se fait pas discrète et réclame une consommation. Le racisme ordinaire existe pour les Indiens. La ségrégation aussi. Et Redford de filmer Paul et Mabel comme un couple comme un autre, suscitant dans un premier temps un dégoût chez les autres consommateurs, de la réprobation mais au final une acceptation. À commencer par Jessie qui complimente Mabel pour la beauté de ses cheveux. Remarque anodine mais fondamentale. Le non-racisme ne commence-t-il pas par ne pas juger l'autre sur des aspects physiques? 


Si Et au milieu coule une rivière ne fait pas la promotion des valeurs du Trumpisme, il est pourtant un témoin assez saisissant de cette Amérique qui a voté Trump. Parce que la démographie et la sociologie des ces États remportés par Donald Trump n'ont pas beaucoup changé depuis un siècle. La même défiance vis-à-vis de ceux de la ville qui croient tout connaître et qui veulent imposer leur mode de vie à ceux qui vivent dans des petites villes enclavées, soumises aux aléas d'une nature à la fois nourricière et hostile. La photographie que Redford a réalisée sur plusieurs années de cette petite ville du Montana du début du XXème siècle pourrait certainement être refaite aujourd'hui, avec peu de modifications profondes. Si ce n'est un rejet accru de ceux qui sur la côte Est ou en Californie viennent leur expliquer qu'ils sont des moins que rien, que leur mode de vie ancestral est un danger pour la planète, que leurs valeurs sont obsolètes et que leur culture doit être effacée. On peut balayer ça d'un revers de la main. On peut aussi s'interroger sur le fait que cette population soit à ce point négligée. Redford le progressiste ne les a pas méprisés. Ne les a pas filmés avec condescendance. Peut-être parce que Redford sait aussi d'où il vient.




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