mardi 5 janvier 2021

La salle de cinéma, haut lieu démocratique

 

Bonjour à tous et meilleurs vœux pour cette nouvelle année!

Le 10 décembre 2020, le chef du gouvernement annonçait que les salles de cinéma n’ouvriraient pas le 16 décembre. Douche froide pour les exploitants, mais aussi pour les distributeurs. Derrière cette catastrophe économique annoncée pour un secteur déjà largement éprouvé, c’est une autre réalité qui touche le pays. Car la salle de cinéma n’est pas tout à fait la même chose qu’une autre salle de spectacle. Loin de vouloir opposer ou hiérarchiser les lieux de culture, il faut néanmoins reconnaître une spécificité des salles de cinéma relevant du brassage de la société comme nulle part ailleurs.


Tout commence d’abord par l’œuvre cinématographique. Celle-ci ne se réduit pas à un artiste et à un ou quelques outils. Elle s’inscrit dans une logique à la fois créatrice, économique et technologique. En effet, le film doit d’abord raconter une histoire et relève donc d’une écriture plus ou moins originale qui trouve sa forme finale par le talent du réalisateur qui décide des positionnements et des mouvements de la caméra, exige telle lumière, tel environnement sonore, tel décor et fait se mouvoir et parler ses comédiens selon ses désirs. Même s’il n’est souvent pas celui qui assemble chaque plan, son découpage technique induit globalement le montage final, du moins pour la majorité des cas. Mais cette créativité est largement encadrée par la contrainte économique définie par le producteur. Au talent du cinéaste répond ainsi le prosaïsme de celui qui finance chaque minute tournée, veille aux dépenses et s’assure des recettes. Et si les ambitions du réalisateur ne correspondent pas au budget alloué, alors c’est à l’artiste de s’adapter et de trouver une solution lui permettant de garder son ambition mais dans un cadre financier non extensible. Enfin, le film ne peut exister que dans un environnement technologique donné qui permet au cinéaste d’accomplir son geste créatif et dont le coût est validé par le réalisateur. Si on peut rire des effets spéciaux du King Kong original de 1932, il n’y a aucun doute que celui-ci ne pouvait être produit autrement et qu’il constituait pour l’époque un trucage formidable correspondant à ce que l’artiste pouvait le plus espérer. Car depuis le cinématographe Lumière de 1895, les innovations technologiques de la caméra mais également de toutes les machines participant à la production cinématographique ont ouvert des possibilités artistiques de plus en plus grandes, permettant des plans aériens vertigineux, des effets spéciaux de plus en plus réalistes voire époustouflants et des reproductions du réel à la fois de plus en plus vraisemblables mais aussi finalement, et paradoxalement, de moins en moins onéreuses.


Or toutes ces données, créatrices, économiques et technologiques, sont dans les mains de plusieurs dizaines d’individus, hommes ou femmes, jeunes et moins jeunes, grands bourgeois ou simples ouvriers. Comme l’évoquait Siegfried Kracauer dans De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand publié en 1947, le film de cinéma est un métissage d’influences sociales diverses, plus ou moins fortes mais malgré tout sensibles dans le rendu final de l’œuvre filmique. Celle-ci est donc bien une création de celui qui le signe, le réalisateur, mais aussi une œuvre collective comme l’attestent les crédits du générique. Chaque film produit dans des pays démocratiques implique que tous les paramètres mentionnés plus haut soient respectés, surtout la liberté de création et la maîtrise d’un budget. Cela correspond alors à une sorte de synthèse assez proche des sensibilités de toutes les couches de la société, même si certaines sont parfois sous représentées à l’écran. En tout état de cause, cela correspond alors de fait à l’état de la société dans lequel le film est produit. La femme de New York-Miami interprétée par Claudette Colbert en 1934 n’incarne-t-elle pas ces femmes plus libérées que celles des générations précédentes ?



Une fois terminé, le film doit être distribué et exploité en salle. Et le cinéma y démontre à nouveau son caractère universel. En effet, quelque soit le film, le prix  du billet dans la salle sera le même pour tous, et presque quelque soit la salle, à Paris ou dans une région éloignée. Car là est la magie du cinéma, le spectacle le plus populaire qui soit. Les sièges occupés ne dépendent ni du prix ni des qualités des individus mais de l’heure d’arrivée. Le premier arrivé choisit la place qu’il préfère. Et ainsi en va-t-il jusqu’à ce que l’ensemble des sièges soit rempli. Pas de privilèges selon ses revenus ou sa classe socio-professionnelle. Une fois installés, les spectateurs subissent les mêmes avant-programmes, que ce soit les publicités locales ou nationales et les bandes annonces des films à venir. Arrive enfin le film pour lequel chacun a payé sa place. Et une fois encore, s’il y a des films qui segmentent la clientèle, cela se fait par le degré de cinéphilie. Et il est vrai que les films d’auteur rencontrent davantage un public d’étudiants ou de personnes de plus de quarante ans. Mais les revenus ne sont pas le critère. Des cadres supérieurs peuvent n’aller voir que des blockbusters quand des ouvriers vont plutôt voir le dernier Ken Loach. Ou inversement. Quant aux grands films populaires, leurs succès viennent du fait justement d’avoir su attirer des publics larges dans toutes les cibles de spectateurs, chacun voulant voir le film dont tout le monde parle. Or qu’est-ce qu’un succès dont tout le monde parle sinon le résultat du fameux « bouche à oreille » où les premiers spectateurs conseillent à leurs proches, leurs collègues ou à quiconque veut les entendre d’aller voir tel ou tel film. Même s’il est moins présent aujourd’hui, le phénomène subsiste malgré la rotation frénétique des films à l’affiche chaque semaine. Les réseaux sociaux constituent désormais une caisse de résonnance plus puissante qu’auparavant. Pour la réussite comme pour l’échec du long-métrage, et ce malgré l’intensité de sa promotion, notamment à la télévision. Ainsi Valérian de Luc Besson peut avoir fait plus de 3 millions d’entrées en France, cela est loin de représenter le succès escompté tant le film a coûté cher et nécessitait d’obtenir plus du triple. Et que dire de son échec fracassant aux USA, retiré de l’affiche dans la plupart des salles après moins d’une semaine d’exploitation !

Dans une salle de cinéma, les spectateurs votent avec leurs pieds en se rendant à la séance d’un film, avant de le recommander ensuite, supplantant les critiques de la presse. À tort ou à raison. Le succès du film se fait pour des raisons à la fois qualitatives mais aussi pour ce qu’il représente au moment de sa première programmation en salle. Le succès ou l’échec de la sortie ne présage pas pour autant du devenir du film dans les mémoires collectives et bien des films ont pu être loués à un moment et être oubliés voire méprisés les années passant. Mais l’expérience en salle reste un moment unique de communion avec des spectateurs qui vont rire, pleurer ou être effrayés en même temps. Ou pas. Et si prendre conscience que d’autres éprouvent les mêmes émotions que soit n’est pas l’apanage du 7ème art, aucun autre spectacle ne permet un tel brassage sociologique pour un tarif finalement modique. En prenant des maîtres de leurs arts respectifs, combien coûte une place pour voir un film de l’immense Spielberg comparé au tarif pour assister à un concert de Bruce Springsteen, un opéra avec Roberto Alagna ou même un « seul en scène » de Gad Elmaleh ?

Parce qu’au cinéma les sensibilités de tous sont portées à l’écran, la salle devient l’urne démocratique accueillant un public constitué de toutes les strates de la société. À cela, les plateformes de SVOD et autres moyens de regarder des films en petit comité ne peuvent répondre puisqu’ils constituent une forme de consommation individuelle, sans partage, sans échange. Sans même pouvoir réaliser qu’un public différent vient voir un autre film que soi sur un autre écran. La salle de cinéma, c’est se confronter à l’autre, aux autres. Défendre les salles, c’est défendre une composante de la démocratie : voir et accepter les différences ou partager les mêmes représentations du monde avec des parfaits inconnus.

À très bientôt

Lionel Lacour

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