dimanche 2 novembre 2014

"Le corniaud": la France des Trente glorieuse

Bonjour à tous

Le corniaud, réalisé par Gérard Oury en 1965, réunit deux acteurs majeurs de la comédie française. S'ils avaient déjà travaillé ensemble, notamment dans La traversée de Paris, c'est la première fois qu'ils tiennent la vedette à part quasi égale dans un film dont le succès entraînera la production de La grande vadrouille l'année suivante. Le corniaud plonge d'emblée le spectateur dans une atmosphère coutumière, celle du départ en vacances. Et malgré les aventures rocambolesques du héros, Antoine Maréchal (Bourvil), tout le film va rester dans ce registre. Seul Léolpold Saroyan (incroyable Louis de Funès) semble s'éloigner du Français moyen tel que se l'imaginaient les spectateurs de 1965.

Bande annonce:



La société de consommation
Une 2 CV, des bagages, quitter Paris pour des vacances en Italie. La première séquence est une sorte de constat d'évidence. Les Français ont vu
leur niveau de vie augmenter considérablement depuis la libération et peuvent désormais jouir à la fois de biens de consommation et de temps libres accordés par les différents gouvernements depuis la libération.
La démocratisation de certains produits est à l'écran: la 2 CV, véhicule populaire et bon marché, vacances lointaines et exotiques (si, les vacances en Italie sont exotiques en 1965). Mais si la 2 CV, produit de la marque française
Citroën, permet à tous de circuler et de voyager, il n'en demeure pas moins vrai que d'autres véhicules existent. Certains évoquent le luxe (l'anglaise de Saroyan, dans la séquence mythique constituant la première rencontre entre Saroyan et Maréchal), d'autres le rêve (l'américaine que Saroyan fait conduire à Maréchal). Ainsi, toute la palette de véhicule apparaît sur grand écran, permettant aux spectateurs de projeter leur propre vie comme leurs propres désirs.

Ce qui jaillit du film est également l'idée que la liberté prévaut et que le droit aux vacances s'impose, même pour ceux n'ayant pas les moyens de se déplacer. Ainsi, l'auto-stop est-il un moyen de déplacement comme un autre, surtout pour les jeunes, partant aussi du principe de la solidarité de ceux pouvant se déplacer. À ce jeu, les jeunes femmes ont plus de chance de voyager que les hommes!

Plus tard, le film évoque aussi les modes de résidence des touristes. Si une des séquences mémorables du film réside dans celle dans laquelle les deux héros se retrouvent à faire du camping, autre manière de démocratiser les séjours de vacances avec des logements peu cher (et pour cause) aux équipements collectifs (douches notamment), Oury n'oublie pas d'apporter le pendant plus luxueux, les hôtels dans lesquels Maréchal réside lors de son périple contrastant sérieusement avec les toiles de tente manquant d'intimité et d'espace! Aux services 5 étoiles du palace répond au contraire une extrême promiscuité et un manque d'intimité flagrant des premiers campings. Une scène de douche faisant "cohabiter" Saroyan à un culturiste vient marquer à jamais cette situation bien gênante pour certains!

Des femmes de plus en plus libérées
Le film de Gérard Oury vient témoigner de l'évolution des mentalités de manière très étonnante. En effet, le film ne fait pas proprement partie de ceux dits "modernes" et dont le sujet porte justement sur la société. Point de "Nouvelle vague" dans cette comédie. Pourtant, les personnages féminins sont d'une liberté absolument désarmante, faisant des hommes des victimes ou des témoins de cette nouvelle donne sociétale. Antoine Maréchal croit
pouvoir séduire l'auto-stoppeuse parce qu'il est - momentanément - riche. Or celle-ci, aux mœurs manifestement légères n'en est pas pour autant manipulées par lui. Au contraire, elle l'abandonne, gentiment, pour un autre de son âge.


De même, la manucure de l'hôtel fait tourner en bourrique son fiancé en draguant ouvertement Antoine qui tombe dans le panneau. Certes la finalité de la stratégie de la jeune femme est on ne peut plus traditionnelle, mais c'est elle qui mène la danse.
Enfin, dès le début du film, le spectateur comprend que le personnage principal, Antoine, malgré son âge, n'a toujours pas d'épouse, chose plutôt rare à cette époque. Et la suite du film vient confirmer que cette situation ne vient pas de son rejet de la gente féminine, bien au contraire. Le corniaud confirme cette idée que l'idée même d'obligation de couples mariés est en train de reculer, pour une génération où les femmes étaient pourtant bien plus nombreuses que les hommes du fait de la situation démographique liée aux effets de la seconde guerre mondiale. En revanche les jeunes femmes faisant du stop ont une liberté toute moderne, n'étant sous l'autorité d'aucun homme ou d'aucun adulte. Certes les femmes qui sont montrées sont germaniques ou suédoises et correspondent à une culture plus libérale. Mais projeté sur des écrans français, leur liberté éclaboussait l'image et donnait un autre modèle à voir aux Français, ces jeunes femmes n'étant pas montrées comme moins responsables que d'autres.

Une Europe qui se dessine
Quand Maréchal part en vacances, c'est donc pour l'Italie. Les pays riches de l'Europe en construction voient leurs populations commencer à migrer vers le sud du continent pour profiter bien sûr des sites touristiques culturels mais aussi d'un climat favorable et encore d'un coût de la vie inférieur en Italie qu'en France ou autres pays d'Europe.
Cette Europe est investie par différents intérêts. Touristiques donc, et ce en provenance de toute l'Europe (Français comme européens du Nord), mais aussi économiques. Saroyan se présente comme un homme d'affaires qui travaille avec l'Italie. Mais l'Europe est aussi un territoire dans lequel des affaires illégales, des trafics en tout genre, sont organisés.
Mais le film témoigne, même en s'en moquant, de l'existence des frontières et des contrôles permettant d'empêcher les trafics, et le cas échéant d'en arrêter les organisateurs. Une certaine collaboration entre les services policiers et douaniers sont présentés avec déjà des échanges d'informations, notamment photographiques.
Le film présente donc une Europe en train de s'ouvrir aux populations, permettant des échanges touristiques et donc culturels mais dans laquelle les frontières sont encore une réalité séparant les pays, tout comme les monnaies d'ailleurs, la lire italienne étant présentée comme une devise à faible valeur!


Des valeurs morales obligatoires
Bien sûr les trafiquants seront arrêtés, même si cela donne lieu à une nouvelle séquence comique et à un rapprochement inattendu entre les deux protagonistes principaux. Le scénario de Gérard Oury avait pourtant savamment éliminé toutes les preuves d'un quelconque trafic que l'automobile américaine était sensé permettre. Les policiers se trouvaient d'ailleurs bien déconfits en ne trouvant ni drogue ni pierres précieuses supposées être cachées dans la Cadillac. Il faut l'extrême honnêteté de Maréchal pour finalement permettre la confirmation du trafic et de fait, l'arrestation de Saroyan.
Cette séquence finale ne vient que confirmer que la confiance des citoyens de la République dans leurs forces de police, confiance réelle ou rêvée, peu importe. Ainsi, quand Maréchal se sait poursuivi par les hommes de Saroyan et d'autres trafiquants, il se dirige à Carcassonne, ville d'où il est originaire, pour y trouver du soutien. Celui-ci est apporté par la gendarmerie qui intervient en arrêtant ceux menaçant Maréchal. Cette séquence assez drôle et explorant un haut lieu touristique français illustre également d'une certaine proximité de la population avec les forces de gendarmerie. Si la police est montrée comme assez distante, la gendarmerie est au contraire un corps de l'État qui est au contact avec la population qu'il est censé protéger. Cette confiance dans une institution régalienne est encore une caractéristique des cette période. Mais elle correspond à une France des Provinces et concerne une tranche d'âge ayant dépassé la trentaine. Le cinéma de la Nouvelle vague, plus urbain, plus centré sur la jeunesse, ne pouvait montrer cette situation là, finalement assez conservatrice d'un ordre établi.


Comédie phare des années 1960, Le corniaud a donné naissance à un duo comique de légende qui allait donc se reconstituer un an après dans La grande vadrouille. Si ce dernier reste encore un maître étalon de la comédie, Le corniaud a pris un peu d'âge. Certes, ceux qui ont ri à ce film rient encore à chaque projection. Mais il manque ce rythme qui est aujourd'hui si important. Le jeu excellent des comédiens et les situations cocasses restent irrésistibles. Mais les séquences s'enchaînent finalement de manière "pépère", abordant des situations dont la modernité nous échappe aujourd'hui tandis que son conservatisme saute cruellement aux yeux. Soit tout le contraire de La grande vadrouille qui reste encore transgressif et dont les passages plus conservateurs se fondent avec la période filmée, la seconde guerre mondiale, et non celle de la production.
Le corniaud reste cependant encore une comédie d'une extrême efficacité malgré les réticences liées au temps qui passe, et surtout un formidable témoignage d'une France en pleine croissance et en pleine confiance.

À très bientôt
Lionel Lacour

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