dimanche 9 janvier 2011

L'avocat, un héros de cinéma - Deuxième partie

Suite de l'article

II. L’avocat : bourgeois ou héraut d’une société

1. L’avocat un notable de la société ?
Une des représentations traditionnelles de l'avocat est bien sa situation de notable dans les sociétés de droit ou qui se prévalent de reposer sur le droit. Cette notabilité est représentée à l'écran sous des angles assez semblables.
dans Le procès, Orson Welles propose en 1962 un portrait d'avocat qui vit tel un grand bourgeois, pour ne pas dire un aristocrate. Orson Welles, réalisateur et acteur use de la contre-plongée et de tous les artifices possibles pour montrer que l'avocat est celui qui sait, qui a la puissance par rapport au citoyen lambda. Fumant le cigare au lit, recevant dans sa chambre tel un monarque absolu, il est celui qui peut sauver l'accusé de ce que l'Etat lui reproche, parce qu'il connaît le juge et les rouages de la justice. Cette adaptation de Kafka est donc ici cruelle pour ces Etats dont la loi n'est plus la protectrice des citoyens mais sert à asseoir les privilèges et la puissance de quelques uns. La noblesse de l'avocat, défenseur du citoyen, est dénoncée comme une façade. L'avocat ne peut rien mais il joue de son rôle d'intermédiaire entre le peuple ignorant des lois et une administration oppressive.
Cette manière de représenter l'avocat dans sa suffisance n'est pas unique au cinéma et est même une forme récurrente. Dans L'horloger de Saint Paul en 1974, Bertrand Tavernier faisait se rencontrer son horloger, joué par Philippe Noiret, et un avocat chargé de défendre le fils de l'horloger, soupçonné de meurtre. En un plan, toute la supériorité de l'avocat saute aux yeux du spectateur. Celui-ci est assis  à son bureau sur un fauteuil dominant son client, assis sur une chaise bien plus basse. Symboliquement, le client est montré comme celui étant en situation de faiblesse, faisant appel au seul soutien possible: un avocat. Utilisant un vocabulaire et un phrasé spécifique, ce qui sépare le justiciable de l'homme de justice semble un fossé que représente le bureau où se trouve les éléments du dossier.
Moins victime, Laetitia Casta ose se "rebeller" contre son avocat dans Le grand appartement de Pascal Thomas en 2006. Alors qu'elle a engagé un avocat pour la défendre dans une affaire de location immobilière, elle lui reproche de ne pas avoir été présent à l'audience. La morgue de celui qui devait la représenter est alors présentée dans tous ses aspects: un bureau gigantesque, un souci de l'apparence évident, notamment vestimentaire à quoi se rajoute la suffisance, l'affaire ne lui rapportant pas assez. Il laisse d'ailleurs ses clients, Laetita Casta et Pierre Arditi, reprendre leur liberté.
Pascal Thomas croque ici un portrait digne deDaumier, faisant de l'avocat davantage un bourgeois soucieux de s'enrichir plutôt que de défendre les causes pour lesquels ils sont payés. Cet aspect n'est d'ailleurs pas présent qu'en France ou en Europe. Dans L'associé du diable, Taylor Hackford présente en 1997 un avocat qui intègre un cabinet constitué de plusieurs avocats, tous spécialisés dans des domaines différents, dans le but de gagner le maximume d'argent. L'idéal de la justice s'efface derrière une logique purement économique. Organisé en vraie entreprise, chaque avocat doit permettre non de gagner ses procès mais de gagner des honoraires toujours plus importants. Ce cabinet est dirigé par Al Pacino... le diable lui-même! La notion de bien à laquelle se référait le héros interprété par Keanu Reeves disparaît donc derrière ce métier d'avocat qui apparaît comme complètement dissocié de toute morale.
Car là est aussi une des critiques du cinéma vis-à-vis de ce métier, à laquelle bien des spectateurs adhèrent. Maurice Pialat ne présentait-il pas aussi un avocat complètement lié sinon à la mafia, du moins à des truands dans Police en 1985? Interprété par Richard Anconina, cet avocat, dans un souci autant de reconnaissance que de profit, est présenté comme ne sachant plus faire la différence entre le bien et le mal, profitant de ses relations avec ses clients pour bénéficier de leurs relations voire de leurs trafics. Plus récemment, dans Tellement proches, Olivier Nakache et Eric Toledano confièrent à François-Xavier Demaison le rôle d'un petit avocat de banlieue combinant morgue vis-à-vis de ses clients issus des cités et compromission avec certains d'entre eux. Dans une séquence hilarante, on voit comment cet avocat s'occupant d'affaires médiocres ressemble, même si le film n'a pas le même propos ni la même ambition, à l'avocat interprété par Orson Welles. Intermédiaire obligé entre ses clients, coupables manifestes, et les institutions judiciaires, l'avocat parle un langage incompréhensible pour des jeunes déscolarisés. Et ceux-ci expriment violemment et cette incompréhension, et la certitude que cet avocat est finalement lié à ceux qui vont les condamner. Et c'est quand il réussit à "sauver" un de ceux là qu'il glisse vers eux, acceptant tout d'abord un cadeau, manifestement volé, puis de devenir recelleur jusqu'à être lui même arrêté, empruntant le même système de défense que ses clients de banlieue: "je n'ai rien à voir avec cette histoire!"
Ce que montre ce film comme les autres, c'est donc bien cette compétence de la langue. Savoir parler, savoir manier la langue, argumenter, séduire, parfois sur du vent. Voilà ce que ressentent les justiciables parfois. Voilà ce que montre le cinéma souvent. La suffisance du magistère de la parole est un classique de la représentation de l'avocat. Et si celà peut provoquer rejet de la part de certains clients, c'est souvent montré comme un des critères du bon avocat au cinéma. Dans Tout ça.. pour ça! (1993) Claude Lelouch fait de Fabrice Lucchini un avocat virtuose, se lançant dans des plaidoieries fantastiquement drôles, décalées de l'affaire jugée, citant Johnny Hallyday et Que je t'aime ou Patricia Carli dans Demain tu te maries. Cette séquence, tournée dans le palais de justice de Lyon, montrait combien un avocat peut séduire et intriguer juges et jurés, tout en devenant la vedette du procès, le résultat devenant finalement secondaire devant la maestria du défenseur.
Cet avocat, comme ceux des films cités, mais aussi comme dans de nombreux autres films, est donc un des nombreux portraits négatifs que le cinéma a fait pour ce personnage si important dans une société civilisée.
Cependant, le personnage de l'avocat est aussi montré dans de nombreux autres films comme celui qui rappelle les devoirs d'une société vis-à-vis de sa population.

2. L’avocat de cinéma : les interrogations d’une société
Que l'avocat défende un individu ou un groupe, son intervention est souvent aussi utilisée au cinéma pour défendre des groupes ou des communautés. Dans une fiction très surprenante dans sa forme, Abderrahmane Sissako fait le procès du Nord, c'est-à-dire les pays industrialisés qui exploitent les pays du Sud. Ainsi Bamako réalisé en 2006 est-il un film très engagé, mêlant le genre documentaire à celui de la fiction. mais pour faire ce procès cinématographique, le réalisateur invente à l'écran un procès avec juges et avocats. Ainsi, pour défendre sa thèse, Sissako a recours à ce personnage emblématique des pays civilisés: l'avocat. Il est la preuve que les pays du Sud savent se défendre contre les "néocolonialistes" en ayant recours aux moyens dont se sont dotés les pays du Nord pour défendre leurs intérêts: un avocat qui connaît la loi. Celui-ci devient alors autant un défenseur qu'un porte parole d'une cause qui dépasse le cas isolé ou individuel.
C'est ce que José Giovanni souhaitait dans son film de 1973 Deux hommes dans la ville. Alors que son personnage principal interprété par Alain Delon avait été libéré de prison, il est poussé à bout par un inspecteur zélé qui lui refuse le droit à une nouvelle chance. Après le meurtre de ce policier, Gino (Delon) est donc condamné sans aucune circonstance atténuante, alors même que le spectateur sait pourquoi ce meurtre a eu lieu et qu'il n'y avait pas de préméditation. La plaidoierie de son avocate ressemble néanmoins à un message à la France. Elle compare la guillotine à un hachoir faisant de la France un pays barbare. C'est donc moins la défense d'un cas que Giovanni a mis en scène que le rejet de la peine de mort. On voit derrière la figure de l'avocate le combat de Robert Badinter contre cette même peine de mort. Si l'avocate use elle aussi de ses talents d'oratrice, ceux-ci ne sont pas montrés comme risibles mais comme devant soulevé la réflexion et des jurés, et surtout des spectateurs. Le film se conclut sur l'exécution de Gino et une dénonciation de la peine de mort par Jean Gabin. Le discours de l'avocate associé à la scène de décapitation se conjuguent alors pour le spectateur. Et l'avocat devient alors le porte parole d'une certaine vision de la société au-delà du cas individuel.
De manière différente, c'est bien dans cette logique que l'avocat du film Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood se positionne. Dans ce film de 1997, Kevin Spacey est accusé de meurtre. Or son avocat s'attache à montrer que derrière ce procès, c'est celui du "genre de vie" de son client qui est visé, c'est-à-dire son homosexualité. En s'adressant directement au jury, dont chacun représente une partie de la société, et en faisant allusion à un autre avocat de fiction, Perry Mason, héros récurrent de la télécision américaine, cet avocat interpelle à la fois ceux qui peuvent accuser ou acquitter son client mais aussi les spectateurs américains. Ce film relègue le crime en arrière plan et décrit cette ville de Savannah du vieux sud américain comme une mosaïque de communautés avec autant de pratiques bizarres pour ceux n'en faisant pas partie. Ces "bizareries" n'en constituent pas pour autant des cas de culpabilités. C'est ainsi qu'Eastwood amène ses spectateurs a davantage réfléchir sur la place de la communauté homosexuelle dans une région américaine particulièrment conservatrice. Et si son personnage doit être condamné, ce devra être par la preuve et non par son appartenance à une communauté qui choque les bonnes moeurs puritaines américaines.
Les avocats peuvent cependant défendre clairement des groupes d'individus dans des affaires Peter Soderbergh reprend une histoire réelle dans Erin Brokovitch, seule contre tous réalisé en 2000. En s'appuyant sur le cas d'empoisonnement lié à des négligences d'une firme qui n'a pas veillé à la sécurité de son site et occasionnant la pollution de la nappe phréatique, il raconte l'histoire d'une femme qui réussit à faire condamner cette société. Pour y parvenir, elle dut trouver le soutien d'un avocat qui accepta de prendre l'affaire puis de s'associer avec un cabinet encore plus puissant pour faire face à la puissance des avocats de la firme incriminée. Si l'image des avocats et de grands cabinets est parfois écornée, c'est toujours sur les mêmes aspects que dans le point que nous avons déjà vus: suffisance, morgue vis-à-vis des justiciables. Mais Soderbergh ne fait pas un pamphlet contre les avocats. Il apporte même des éléments de réponse à cette critique, montrant la sécheresse des procédures judiciaires et la nécessité parfois de ne pas s'impliquer émotionnellement dans les affaires pour bien défendre les clients. Mais il montre surtout que cet aspect émotionnel est aussi fondamental pour comprendre la détresse des plaignants et adapter la défense et les demandes de réparation à la situation vécue et non à celle estimée froidement.
En ce sens, le rôle d'Erin interprété par Julia Roberts est fondamental. Il montre notamment que la défense d'une cause peut être menée par une non professionnelle du droit mais qu'elle doit être soutenue par un avocat professionnel. Soderbergh ne conteste pas non plus le fait que les cabinets d'avocats puissent s'enrichir puisque celui qui a soutenu Erin a gagné beaucoup d'argent à l'issue du procès contre la firme. Mais il justifie ce gain par le fait que ce cabinet avait pris des risques en défendant ses clients sous la forme de "class action" , ce qui n'existe pas en France, ne se rétribuant que sur les indemnités perçues par les victimes dans le cas où elles gagneraient le procès. Soderbergh témoigne donc de la nécessité du recours aux avocats, des différentes approches du cas nécessaires pour gagner (connaissance de la loi, connaissance des faits, investigations, preuves et proximité avec les victimes), et de l'intérêt d'avoir des avocats puissants pour pouvoir emporter des affaires qui feront jurisprudence pour des cas similaires.



CONCLUSION

Si les représentations des avocats au cinéma montrent des fonctions équivalentes selon les pays, des représentations sociales assez semblables, leurs modes d’actions peuvent cependant différer. L’avocat américain peut ressembler à un détective, menant une enquête pour ensuite plaider au procès. L’avocat français ne peut quant à lui jouer dans le même registre et c’est davantage sa lecture de la société qui est mise en avant, soit en défendant des causes progressistes, soit au contraire en refusant une évolution de la société.
Cependant, dans tous les cas, l’avocat apparaît comme un acteur fondamental d’une démocratie moderne. Le voir renier ses principes, c’est voir reculer ses principes démocratiques.
Notre vigilance doit être donc grande quant à la préservation des prérogatives de cette profession et quant à son intégrité. Si notre cinéma devait représenter notre société sans avocat, c’est qu’il serait déjà trop tard, le cinéma ne témoignant jamais que de ce qui est et non de ce qui sera.

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