Bonjour à tous
Cette semaine, Ciné + Classic programmera mardi 29 juillet le film de Elliot Silverstein: Un homme nommé cheval réalisé en 1970. À cette époque, la mode est définitivement passée à autres choses qu'aux Westerns. Et ceux qui osent encore aborder le genre le font en se plaisant à dézinguer le mythe! Leone, Peckinpah ou encore Arthur Penn taillèrent bien des croupières aux héros du grand ouest dont la force virile servait davantage à faire le mal qu'à établir vraiment un ordre dans ce vaste territoire conquis aux Indiens - Peaux-rouges.
C'est donc la même année que Soldat Bleu (Ralph Nelson) et que Little Big Man (Arthur Penn) que sortit Un homme nommé cheval sur les écrans. Réalisé par Elliot Silverstein à qui on devait notamment un autre western, Cat Balou, en 1965, le film prend un angle très particulier pour présenter les barbares indiens. Si Arthur Penn prit le parti de l'humour et de la dérision, si Nelson montrait la sauvagerie blanche dans les massacres perpétrés par l'armée américaine sur les Indiens, Silverstein semble n'épargner personne dans son début de film. Et c'est bien l'intérêt qu'il y a à voir ce film, reposant sur une histoire de Dorothy Johnson - qui fut également à l'origine du film L'homme qui tua Liberty Valance, excusez du peu: comment suivre des personnages pour lesquels nous n'avons a priori aucune empathie.
Un héros bien amoché!
Richard Harris interprète donc John Morgan, aristocrate britannique découvrant le nouveau monde et les racailles l'occupant. Il vient y faire une partie de chasse. Imbu de lui-même, il méprise ceux qui lui permettent de s'adonner à son plaisir, celui de tuer des animaux sauvages. Il faut dire que ses guides ressemblent presque aux personnages de Peckinpah: patibulaires, escrocs, soiffards.
L'action semble alors se diriger vers une opposition entre John et ses hommes quand les Indiens surgissent violemment et massacrent tous les hommes. Tous sauf John qui est alors traîné par une corde, attaché à un cheval qui le tire sur plusieurs kilomètres. Épargné, il n'en sera pas moins traité comme un animal: il est offert à la mère du chef du village en tant que cheval!
Le héros du film est donc un blanc traité comme un animal par un peuple de sauvages si souvent représenté comme proches des bêtes à chasser par le cinéma américain. Le renversement de situation est à la fois jouissif pour le spectateur et en même temps assez dérangeant. Le statut d'être civilisé est défini ici comme n'étant selon le peuple qui en édicte les règles. John n'est plus aristocrate. Il n'est plus un homme. Il est cheval.
Il est à ce titre intrigant de voir une certaine similitude avec La planète des singes de Schaffner qui faisait de l'astronaute interprété par Charlton Heston est animal aux yeux des Singes dominant la planète!
Ainsi, par effet de projection et d'identification, les spectateurs vont suivre le parcours de John rabaissé à la condition chevaline. Et avec lui, ce sont les spectateurs qui subissent ce qu'il va endurer!
Un film d'anthropologue
À partir du moment où John est fait prisonnier, les dialogues vont quasiment disparaître. Du moins ceux que le spectateur peut comprendre. John se retrouve dans un monde incompréhensible qu'il doit décrypter sans pouvoir communiquer avec quiconque. Cela est d'autant plus logique que nos propres chevaux, hormis Joly Jumper, ne communiquent avec personne. Alors pourquoi ce cheval, fut-il indien, pourrait communiquer?
Silverstein réussit alors à nous faire découvrir les mœurs des Indiens sans que nous n'ayons d'autres informations que celles qui nous sont données à voir. Et ce qui nous saisit est la vie sociale et ses codes qui transpirent chez ce peuple capable de massacrer des hommes ou de les traiter en cheval. Les relations sociales sont hiérarchiques, avec un chef et un peuple, avec des parents et des enfants, avec une religion et un culte et des rites notamment funéraires.
Cette vie réglée se présente apparemment sans violence interne, une vie réglée par le rythme des saisons, par le travail et par le respect des choses, et notamment celui de la nature.
Comme John, nous apprenons progressivement à comprendre ce peuple. Comme lui, nous avons envie de hurler pour mieux appréhender ce qui se passe. Avec lui, nous avons envie de prétendre qu'il n'est pas un animal mais un être doté de raison!
Ces séquences qui amènent l'Européen à prendre la mesure de l'existence d'une autre civilisation possible, qui peut être aussi dominante que la sienne, sont réalisées en sorte de vase clos, sans présence étrangère, sans menace d'autres peuples. Cette forme de huis-clos permet alors au réalisateur de mettre le spectateur dans cette situation d'accepter sinon la condition de John, du moins la possibilité d'une autre manière d'envisager une vie collective.
Le modèle américain malgré tout?
Le film prend une autre dimension quand John - Cheval change soudain de statut au gré d'une intervention qui participe à sauver la tribu d'une attaque d'un peuple ennemi. Par ce geste, il quitte son statut animal pour intégrer celui des hommes. S'il a pu agir ainsi, c'est parce qu'il y a aussi dans la tribu un être qui parle la langue de John, un personnage non indien mais que la vie a amené à côtoyer ce peuple, à vivre avec, tout en étant laissé en marge de la tribu. Ce personnage lui servira en fait de relais pour assimiler les codes de la tribu. Grâce à cette aide providentielle, il va pouvoir se hisser au statut d'humain. Ceci sera donc fait quand il tuera des ennemis de la tribu.
La suite du film ressemble alors furieusement à un condensé du mythe américain. Promu humain, John est de plus en plus accepté par les autres membres de la communauté. Sa blondeur toute britannique qui choquait au début de sa présence avec les Indiens devient juste une particularité physique permettant de distinguer John des autres, mais plus à le marginaliser.
Sa totale intégration dans la tribu passe encore par la possibilité qui lui est donnée d'épouser une membre de la tribu. Cela donne lieu à une séquence toute pittoresque sur la virginité de la jeune fille, séquence faisant s'affronter pudibonderie anglo-saxonne et liberté sexuelle des années 1960!
Cette ascension sociale que connaît John passe cependant par un rite de passage particulièrement impressionnant, faisant appel à la douleur mais renvoyant l'humain à sa condition d'animal, devant composer avec la nature au sens large. Cette harmonie entre la tribu indienne et l'environnement qui lui permet d'exister est un thème récurrent du film: l'acceptation de ce que peut imposer la nature. Cela passe notamment par la gestion des ressources, par aussi la marginalisation de ceux qui ne peuvent plus être protégés et qui constituent une charge pour une communauté malthusienne.
Cette "Struggle for life" est à la fois choquante pour nos sociétés dites civilisées. Mais elle est aussi un élément de comparaison avec celle qui prévaut aussi dans le monde occidental. Les marginalisés sont ceux qui constitueraient un poids pour le progrès. Cette comparaison est évidemment toute relative car le film montre que cette mise à l'écart de certains et certaines, conduisant notamment à la mort, et pas seulement sociale, ne sert pas aux bénéfices de quelques uns mais permet à toute la communauté de vivre, voire de survivre. C'est par une limitation des ressources que la tribu est conduite à se séparer de certains de ses membres. Cette contrainte n'est pas celle qui correspond à notre société de consommation.
Le film trouve donc des passerelles entre les deux "civilisations", notamment dans les formes de violences qui peuvent exister. Mais la violence au sein de la communauté indienne est liée à la contrainte de la vie en harmonie avec la nature tandis que celle occidentale repose sur la soumission de la nature aux besoins des hommes et à la cupidité de certains.
C'est parce qu'il a, comme tous les convertis, parfaitement assimilé ces préceptes que John continuera son ascension sociale dans cette tribu si hostile au début du récit.
Film radicalement pro-indien, l'action se passe avant les massacres perpétrés par les armées américaines et avant donc la fameuse bataille de Little Big Horn perdue par Custer. En situant ainsi l'histoire, le film présente alors une civilisation qui avait su composer avec l'espace dont elle disposait, dans laquelle tous pouvaient être assimilés pour peu qu'on ne veuille pas imposer sa manière de vivre. Pas un Eden, pas un enfer non plus. Mais tout de même un monde perdu de par l'intrusion brutale des Européens, qui, sans jamais être montrée, est présente en opposition à ce que John est devenu. Nul doute que s'il avait été accompagné par plus d'hommes au début du film, il n'aurait pu accéder à ce qu'il a pu découvrir par la suite, même s'il dut en passer par une phase animale.
Si vous voulez découvrir ce western étonnant et déjà écolo, consultez la programmation de Ciné + Classic! et découvrez le dès mardi 29 juillet 2014 à 20h45.
À bientôt
Lionel Lacour
Cette semaine, Ciné + Classic programmera mardi 29 juillet le film de Elliot Silverstein: Un homme nommé cheval réalisé en 1970. À cette époque, la mode est définitivement passée à autres choses qu'aux Westerns. Et ceux qui osent encore aborder le genre le font en se plaisant à dézinguer le mythe! Leone, Peckinpah ou encore Arthur Penn taillèrent bien des croupières aux héros du grand ouest dont la force virile servait davantage à faire le mal qu'à établir vraiment un ordre dans ce vaste territoire conquis aux Indiens - Peaux-rouges.
C'est donc la même année que Soldat Bleu (Ralph Nelson) et que Little Big Man (Arthur Penn) que sortit Un homme nommé cheval sur les écrans. Réalisé par Elliot Silverstein à qui on devait notamment un autre western, Cat Balou, en 1965, le film prend un angle très particulier pour présenter les barbares indiens. Si Arthur Penn prit le parti de l'humour et de la dérision, si Nelson montrait la sauvagerie blanche dans les massacres perpétrés par l'armée américaine sur les Indiens, Silverstein semble n'épargner personne dans son début de film. Et c'est bien l'intérêt qu'il y a à voir ce film, reposant sur une histoire de Dorothy Johnson - qui fut également à l'origine du film L'homme qui tua Liberty Valance, excusez du peu: comment suivre des personnages pour lesquels nous n'avons a priori aucune empathie.
Un héros bien amoché!
Richard Harris interprète donc John Morgan, aristocrate britannique découvrant le nouveau monde et les racailles l'occupant. Il vient y faire une partie de chasse. Imbu de lui-même, il méprise ceux qui lui permettent de s'adonner à son plaisir, celui de tuer des animaux sauvages. Il faut dire que ses guides ressemblent presque aux personnages de Peckinpah: patibulaires, escrocs, soiffards.
L'action semble alors se diriger vers une opposition entre John et ses hommes quand les Indiens surgissent violemment et massacrent tous les hommes. Tous sauf John qui est alors traîné par une corde, attaché à un cheval qui le tire sur plusieurs kilomètres. Épargné, il n'en sera pas moins traité comme un animal: il est offert à la mère du chef du village en tant que cheval!
Le héros du film est donc un blanc traité comme un animal par un peuple de sauvages si souvent représenté comme proches des bêtes à chasser par le cinéma américain. Le renversement de situation est à la fois jouissif pour le spectateur et en même temps assez dérangeant. Le statut d'être civilisé est défini ici comme n'étant selon le peuple qui en édicte les règles. John n'est plus aristocrate. Il n'est plus un homme. Il est cheval.
Il est à ce titre intrigant de voir une certaine similitude avec La planète des singes de Schaffner qui faisait de l'astronaute interprété par Charlton Heston est animal aux yeux des Singes dominant la planète!
Ainsi, par effet de projection et d'identification, les spectateurs vont suivre le parcours de John rabaissé à la condition chevaline. Et avec lui, ce sont les spectateurs qui subissent ce qu'il va endurer!
Un film d'anthropologue
À partir du moment où John est fait prisonnier, les dialogues vont quasiment disparaître. Du moins ceux que le spectateur peut comprendre. John se retrouve dans un monde incompréhensible qu'il doit décrypter sans pouvoir communiquer avec quiconque. Cela est d'autant plus logique que nos propres chevaux, hormis Joly Jumper, ne communiquent avec personne. Alors pourquoi ce cheval, fut-il indien, pourrait communiquer?
Silverstein réussit alors à nous faire découvrir les mœurs des Indiens sans que nous n'ayons d'autres informations que celles qui nous sont données à voir. Et ce qui nous saisit est la vie sociale et ses codes qui transpirent chez ce peuple capable de massacrer des hommes ou de les traiter en cheval. Les relations sociales sont hiérarchiques, avec un chef et un peuple, avec des parents et des enfants, avec une religion et un culte et des rites notamment funéraires.
Cette vie réglée se présente apparemment sans violence interne, une vie réglée par le rythme des saisons, par le travail et par le respect des choses, et notamment celui de la nature.
Comme John, nous apprenons progressivement à comprendre ce peuple. Comme lui, nous avons envie de hurler pour mieux appréhender ce qui se passe. Avec lui, nous avons envie de prétendre qu'il n'est pas un animal mais un être doté de raison!
Ces séquences qui amènent l'Européen à prendre la mesure de l'existence d'une autre civilisation possible, qui peut être aussi dominante que la sienne, sont réalisées en sorte de vase clos, sans présence étrangère, sans menace d'autres peuples. Cette forme de huis-clos permet alors au réalisateur de mettre le spectateur dans cette situation d'accepter sinon la condition de John, du moins la possibilité d'une autre manière d'envisager une vie collective.
Le modèle américain malgré tout?
Le film prend une autre dimension quand John - Cheval change soudain de statut au gré d'une intervention qui participe à sauver la tribu d'une attaque d'un peuple ennemi. Par ce geste, il quitte son statut animal pour intégrer celui des hommes. S'il a pu agir ainsi, c'est parce qu'il y a aussi dans la tribu un être qui parle la langue de John, un personnage non indien mais que la vie a amené à côtoyer ce peuple, à vivre avec, tout en étant laissé en marge de la tribu. Ce personnage lui servira en fait de relais pour assimiler les codes de la tribu. Grâce à cette aide providentielle, il va pouvoir se hisser au statut d'humain. Ceci sera donc fait quand il tuera des ennemis de la tribu.
La suite du film ressemble alors furieusement à un condensé du mythe américain. Promu humain, John est de plus en plus accepté par les autres membres de la communauté. Sa blondeur toute britannique qui choquait au début de sa présence avec les Indiens devient juste une particularité physique permettant de distinguer John des autres, mais plus à le marginaliser.
Sa totale intégration dans la tribu passe encore par la possibilité qui lui est donnée d'épouser une membre de la tribu. Cela donne lieu à une séquence toute pittoresque sur la virginité de la jeune fille, séquence faisant s'affronter pudibonderie anglo-saxonne et liberté sexuelle des années 1960!
Cette ascension sociale que connaît John passe cependant par un rite de passage particulièrement impressionnant, faisant appel à la douleur mais renvoyant l'humain à sa condition d'animal, devant composer avec la nature au sens large. Cette harmonie entre la tribu indienne et l'environnement qui lui permet d'exister est un thème récurrent du film: l'acceptation de ce que peut imposer la nature. Cela passe notamment par la gestion des ressources, par aussi la marginalisation de ceux qui ne peuvent plus être protégés et qui constituent une charge pour une communauté malthusienne.
Cette "Struggle for life" est à la fois choquante pour nos sociétés dites civilisées. Mais elle est aussi un élément de comparaison avec celle qui prévaut aussi dans le monde occidental. Les marginalisés sont ceux qui constitueraient un poids pour le progrès. Cette comparaison est évidemment toute relative car le film montre que cette mise à l'écart de certains et certaines, conduisant notamment à la mort, et pas seulement sociale, ne sert pas aux bénéfices de quelques uns mais permet à toute la communauté de vivre, voire de survivre. C'est par une limitation des ressources que la tribu est conduite à se séparer de certains de ses membres. Cette contrainte n'est pas celle qui correspond à notre société de consommation.
Le film trouve donc des passerelles entre les deux "civilisations", notamment dans les formes de violences qui peuvent exister. Mais la violence au sein de la communauté indienne est liée à la contrainte de la vie en harmonie avec la nature tandis que celle occidentale repose sur la soumission de la nature aux besoins des hommes et à la cupidité de certains.
C'est parce qu'il a, comme tous les convertis, parfaitement assimilé ces préceptes que John continuera son ascension sociale dans cette tribu si hostile au début du récit.
Film radicalement pro-indien, l'action se passe avant les massacres perpétrés par les armées américaines et avant donc la fameuse bataille de Little Big Horn perdue par Custer. En situant ainsi l'histoire, le film présente alors une civilisation qui avait su composer avec l'espace dont elle disposait, dans laquelle tous pouvaient être assimilés pour peu qu'on ne veuille pas imposer sa manière de vivre. Pas un Eden, pas un enfer non plus. Mais tout de même un monde perdu de par l'intrusion brutale des Européens, qui, sans jamais être montrée, est présente en opposition à ce que John est devenu. Nul doute que s'il avait été accompagné par plus d'hommes au début du film, il n'aurait pu accéder à ce qu'il a pu découvrir par la suite, même s'il dut en passer par une phase animale.
Si vous voulez découvrir ce western étonnant et déjà écolo, consultez la programmation de Ciné + Classic! et découvrez le dès mardi 29 juillet 2014 à 20h45.
À bientôt
Lionel Lacour
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