Dans
l’intimité d’une voiture, deux frères discutent quand soudain un homme à
l’extérieur, apparemment du même milieu qu’eux, demande à parler à l’un des
deux : Bahim (Tahar Rahim). Il le filme, communique en direct sur les
réseaux sociaux en montrant Brahim dans une situation peu avantageuse et
s’énervant quand il lui est demandé d’arrêter. Le décor est alors planté.
Brahim est une vedette du stand-up et Mourad (Roschdy Zem stupéfiant de justesse) est son frère, à la
fois manager et garde du corps. Mais surtout du genre sanguin. Le film de Teddy
Lussi-Modeste commence d’emblée par une séquence forte et terriblement
contemporaine, posant les trois grands thèmes du film sans pour autant en
révéler l’intrigue.
Bande Annonce Le prix du succès de Teddy Lussi-Modeste, sortie le 30 août 2017
Une
société de l’exhibition
Ce que
montre très bien le réalisateur est ce besoin de plus en plus important de faire le « buzz ».
Du fan anonyme qui filme Brahim en espérant qu’il obtenir une part de notoriété en étant suivi par des centaines (des
milliers ?) de personnes et qu’il pourra ainsi influer sur l’avenir de l’artiste. Au rappeur qui suit son compte twitter immédiatement après son dernier concert pour voir comment celui-ci est jugé par ses fans ou ses détracteurs.
Cette
exhibition, autrefois contrôlée par les artistes car elle se limitait aux concerts, spectacles
ou films, leur échappe désormais. Le quart d’heure de gloire est recherché par chacun. Y compris par
les proches. Ainsi Mourad, qui est son manager et agent, est meurtri quand il croit que son frère Brahim va le
faire monter sur scène et que c’est Linda (Maïwenn), la fiancée de Brahim, qui est
appelée à se présenter aux spectateurs. Cette exposition à la lumière lui semble alors interdite et il le ressent à la fois comme une frustration et une injustice: il y a droit.
Le poids des
médias et des réseaux sociaux révèle à la fois la popularité des personnalités
publiques mais également les frustrations de tous ceux qui jalousent ce succès.
Quand Brahim fait une publicité pour un service de téléphonie mobile, c’est son visage qui est sur les affiches en gros plan et qui témoigne de son succès.
Quand Brahim fait une publicité pour un service de téléphonie mobile, c’est son visage qui est sur les affiches en gros plan et qui témoigne de son succès.
Quand Brahim
demande au rappeur Driss (Sultan) d’inviter des personnalités pour l’inauguration
du restaurant de Mourad, cela repose aussi sur l’idée que ce qui sera montré
dans les réseaux sociaux labellisera un lieu.
Quand dans
son premier spectacle il parle de ses origines maghrébines, il se place dans un
créneau communautaire qui le rend populaire chez ceux ayant les mêmes origines
mais qui à la fois l’enferment dans cette communauté et à la fois suscite dans
son entourage et chez ses fans jalousie et sentiment de propriété. Le succès de
Brahim, c’est d’abord le leur. Et il leur doit ce succès.
Une
société du succès
Le prix du succès est aussi et peut-être
surtout le récit sur une carrière d’artiste. Sans trop développer le derrière
du décor, Teddy Lussi-Modeste s'attache à différents partenaires qui
accompagnent l’artiste à ses débuts : la salle de café-théâtre qui a ouvert
ses portes à Brahim, Linda sa metteuse-en-scène, Mourad son agent,
producteur et garde du corps. La réalisation montre un artiste qui comprend que
sa carrière ne peut se limiter à ses références à sa communauté.
Linda l’ouvre alors à d’autres sujets, d'autres horizons professionnels. Drill, son ami rappeur, interprété par Sultan, lui ouvre les
yeux sur son entourage familial et amical, pas assez professionnel et parasite. Hervé, un
producteur professionnel, lui confirme cette réalité que les attaches affectives l'empêchent de progresser. Il lui fait entrevoir le développement de sa carrière en maîtrisant davantage son image, et donc en se séparant de ceux qui peuvent lui nuire, quand bien même ces personnes lui avaient permis de commencer sa carrière.
Le succès d’un
artiste d’origine modeste est donc représenté dans ses différentes facettes. À la
fois dans le fait qu’il permet aux siens de s’identifier à ce succès. Mais
aussi dans l’accès de l’artiste à des sphères sociales et culturelles
nouvelles, à des codes comportementaux nouveaux. Par exemple, à la violence des
réactions de Mourad, Brahim découvre le recours possible au dialogue voire à la loi. Le
succès enrichit mais éloigne progressivement de son milieu l’artiste issu de
quartiers populaires. Et cette séparation est vécue comme une trahison par ceux qui sont abandonnés tout comme par celui qui se sent incompris des siens.
Une
société fragmentée
Car Brahim
est un enfant d’immigrés. Mourad lui a permis d’accéder à une notoriété
suffisamment importante pour offrir à leurs parents une maison dans une
banlieue pavillonnaire, dans un renversement hiérarchique à la fois tendre et
dangereux. L’enfant se substitue aux parents.
Cette
extraction géographique et sociale n’empêche pas le maintien des pratiques
culturelles de l’entourage de Brahim. Quand lui habite un bel appartement
parisien, il est squatté par son frère et ses amis, se comportant comme dans
les quartiers en contradiction avec les codes sociaux inhérents à l’immeuble hausmannien !
Teddy Lussi-Modeste choisit de montrer cette fragmentation socio-culturelle différemment des autres films pouvant montrer des jeunes issus des banlieues ou d'origine étrangère comme La haine par exemple (voir La haine: chef-d'œuvre de Mathieu Kassovitz). Pas de long plan signifiant la distance entre le centre-ville parisien et la banlieue qu’habite Mourad. Pas de vue sur le quartier. La caméra reste sur les intérieurs d’immeubles, sur les appartements, dont les visuels sont tout autant signifiants pour le spectateur indiquant une fragmentation à la fois économique, sociale et culturelle entre la nouvelle et l’ancienne sphère de Brahim.
Teddy Lussi-Modeste choisit de montrer cette fragmentation socio-culturelle différemment des autres films pouvant montrer des jeunes issus des banlieues ou d'origine étrangère comme La haine par exemple (voir La haine: chef-d'œuvre de Mathieu Kassovitz). Pas de long plan signifiant la distance entre le centre-ville parisien et la banlieue qu’habite Mourad. Pas de vue sur le quartier. La caméra reste sur les intérieurs d’immeubles, sur les appartements, dont les visuels sont tout autant signifiants pour le spectateur indiquant une fragmentation à la fois économique, sociale et culturelle entre la nouvelle et l’ancienne sphère de Brahim.
Or Mourad évolue
encore dans la sphère originelle de Brahim et voit le succès de son frère comme son opportunité de réussir en important son modèle au cœur de la ville. Ce qui
est voué à l’échec comme Brahim le sait, ainsi que Hervé ou Drill.
Le film ne propose pas une approche identitaire. Au contraire, le film privilégie au contriare une approche sociale et culturelle ne cloisonnant pas les personnages dans leurs origines mais montre au contraire que les revendications identitaires proviennent des quartiers dont ils sont issus. Jusqu'à la violence, au racisme, à l'antisémitisme. Ainsi, après un concert, Drill est traité de sioniste
et de traître sur twitter pour avoir réussi au-delà de son public issu des quartiers.
Quant à Mourad, s’il se sent rejeté, si ceux qui gravitent autour de lui prétendent que Brahim l’a abandonné, seules des raisons sociales et culturelles en sont la cause. Cela aboutit à un tableau à la fois optimiste d’une société française de plus en plus prête à accepter que des artistes issus des communautés immigrées réussissent, et pessimiste en ce sens que cette intégration est parfois empêchée aussi par les quartiers et communautés dont sont issus les artistes.
Quant à Mourad, s’il se sent rejeté, si ceux qui gravitent autour de lui prétendent que Brahim l’a abandonné, seules des raisons sociales et culturelles en sont la cause. Cela aboutit à un tableau à la fois optimiste d’une société française de plus en plus prête à accepter que des artistes issus des communautés immigrées réussissent, et pessimiste en ce sens que cette intégration est parfois empêchée aussi par les quartiers et communautés dont sont issus les artistes.
Une des
grandes forces du film réside d’ailleurs dans la représentation de cette
communauté. Si la famille de Brahim est musulmane, il n’y a à aucun moment la
volonté de mettre en avant cette caractéristique comme un élément identitaire
revendiqué. Les femmes ne sont pas voilées et jamais il n’y a un quelconque
début de présentation d’une communauté subissant un rejet du fait de sa
religion. L’imam est présenté comme intervenant au sein de la famille, une
cérémonie cultuelle est filmée. Ni apologie ni rejet, ni victimisation. Et s'il
y a encore un sentiment de ne pas être entièrement considéré à égalité les
autres catégories de Français, Teddy Lussi-Modeste ne succombe jamais à la facilité de mettre en cause une prétendue "islamophobie". En revanche, il réussit à montrer sous tous
ses aspects l’enfermement de Mourad dans son univers social en même temps qu'il décrit l’accès à
davantage de liberté pour Brahim. Une liberté qui lui coûte cher.
« Si on
avait échoué, cela aurait été plus simple » dit Brahim en parlant de son
frère, car les personnes issues de leur milieu ne sont pas habituées à réussir.
Pour autant, Brahim est écartelé non pas entre deux communautés mais entre deux
mondes différents. Son succès est néanmoins une vitrine différente pour ceux de
son milieu d’origine. Il sera traité de lâche par ceux qui lui conteste la
possibilité de s’extraire de son milieu, à commencer par son frère. Mais il
devient aussi une nouvelle image de la réussite, contrôlant mieux son image,
remplissant le zénith. Associé au personnage de Linda, l'histoire de Brahim ne peut pas ne pas
immédiatement renvoyer au parcours de Jamel Debbouze. Le reste est de la fiction. Mais une fiction qui ancre le récit dans notre histoire immédiate, ce qui n'est pas si courant dans le cinéma français contemporain.
Le prix du succès de Teddy
Lussi-Modeste, sortie le 30 août 2017
Un film
Auvergne-Rhône-Alpes-Cinéma
Produit par Kazak Productions
Distribué par Ad Vitam
À bientôt
Lionel Lacour
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