mardi 12 août 2014

Un jour sans fin: une parabole du modèle américain

Bonjour à tous

Régulièrement, le film d'Harold Ramis The groundhog day (bêtement traduit par Un jour sans fin) et réalisé en 1993 est diffusé sur les chaînes de télévision (cable, satellite et même cette semaine sur Arte!). Cette comédie subtile donnait à Bill Murray certainement son premier très grand rôle au cinéma après les succès d'autres comédies dont le fameux SOS fantômes (Ghost busters, dont le scénario était déjà en partie écrit par Ramis).
Sur une base très simple, celle d'une journée qui se répète à l'infini pour le personnage principal, Phil Connors (Bill Murray donc), Ramis va pouvoir développer une certaine vision du Bien et du Mal, des rapports des uns avec les autres et, au final, une image d'une société idéale, assez conforme au modèle (au rêve?) américain.


Bande annonce:




La journée sans fin: fantastique ou pur réalité?
C'est une des premières clés donnée aux spectateurs dans le film. Alors que le récit installe tranquillement les personnages et les situations dont on pressent tout de suite les ressorts comiques à venir du fait de la répétition de la journée, Phil Connors qui n'en est qu'à ses premiers jours de répétition demande à des compères de beuverie qu'il a pu se faire ce que cela leur ferait de vivre chaque jour le même jour, de faire et refaire inlassablement les mêmes choses. Question à laquelle répond un des acolytes: "c'est ce que je vis tous les jours".
Par cette simple réplique, Ramis permet au spectateur de voir désormais le film sous un autre angle que celui du fantastique, celui d'une erreur de temporalité, une boucle dans laquelle serait prisonnier Phil. En passant par la parabole, cela fait aussi accepter le fait que seul Phil revive sa journée et s'en souvienne jour après jour.
Surtout, elle place la situation de Phil dans une logique ordinaire. Il n'y a rien d'extraordinaire à vivre et revivre inlassablement la même chose, même aux USA. Ceux de la vraie vie ont peu l'occasion de voir leur destin changer de cap. Seuls les grands événements d'une vie y contribuent. Ce qui explique notamment la présence de ces fiancés dont une hésite finalement à se marier. Son destin changera si elle dit "oui"! Phil, qui se prend pour une vedette, aspire justement à une vie trépidante avec des aventures extraordinaires qui caractériseraient selon lui le statut auquel il prétend.
Ainsi, sur fond extraordinaire, la journée va mêler cet élément improbable de sa reproduction, encore et encore, avec tous les aspects ordinaires d'une journée d'un bourg éloigné des grandes agglomérations et de leur rythme de vie affolant.

Un parcours initiatique
Le scénario est habilement construit en jouant d'abord sur les répétitions de quelques séquences de manière régulière, comme par exemple la présentation par Phil de la marmotte aux habitants du bourg, permettant de voir l'évolution du personnage par rapport à ce qu'il vit d'insensé et dont il ne peut parler à personne.
Cette volonté de trouver une solution externe à lui le conduit à rencontrer nombre de personnes qui tentent d'apporter des réponses scientifiques et rationnelles mais limitées de fait à une journée!
C'est ensuite la découverte par Phil de ce que peut apporter de positif la situation: savoir tout sur tout le monde, élaborer des plans plus ou moins moraux pour avoir des rapports sexuels ou pour voler de l'argent voire pour commettre des délits routiers.
C'est ensuite la mise en œuvre d'une stratégie de conquête de la productrice Rita- incarnée par Andie McDowell. Le montage est plus sec, reprenant parfois plusieurs fois la même scène mais avec des modifications qu'apporte Phil à ses dialogues pour pouvoir correspondre à ceux de Rita et donc pour la conquérir.


Ce dispositif drôle mais finalement vain le conduit de fait à une dépression suicidaire. Ramis imagine alors une série de tentative de suicide toute aussi drôle les unes que les autres, dont un suicide impliquant les deux Phil (lui et la marmotte!), d'autant plus drôles que Phil - Bill Murray les joue de manière la plus sérieuse qui soit.
Et quand il se résigne à vivre éternellement, il en déduit qu'il est Dieu et il le prouve à Rita. Cette acceptation de son sort ne lui permet pas pour autant de mettre fin au sortilège dont il est victime car il est encore centré sur SA personne.
Il manque une dernière série d'épreuves qu'il doit franchir et accepter d'autant plus que ces épreuves, comme sauver des personnes de l'étouffement ou d'une chute d'arbre se reproduisent chaque jour! Il doit même accepter que son don ne peut empêcher la mort d'un vieillard mendiant qu'il néglige au début du film et qu'il accompagne à la mort inexorablement chaque soir.
C'est alors quand son dévouement est totalement désintéressé que son avenir peut alors changer, c'est-à-dire en passant à un vrai demain.

L'individu et la société
Très souvent, la critique qui est émise contre le modèle américain est son ultra-individualisme. Cette critique est peut-être fondée mais elle ne correspond cependant pas au modèle qui fait référence et que les films américains promeuvent. Une société idéale passe par le bonheur individuel. La somme de ces "bonheurs" conduit à établir une société bonne et chacun doit permettre la promotion des valeurs collectives afin que le bonheur individuel triomphe. Ce qui correspond à l'inverse du modèle soviétique où le bonheur individuel passait d'abord par la société.
Dans le modèle américain, chacun doit donc faire sa tâche du mieux qu'il peut afin que la société fonctionne. En retour, la reconnaissance sera proportionnelle au talent et au mérite de l'individu. Bien sûr tout ceci est théorique mais parfaitement illustré dans les films américains, de Franck Capra (La vie est belle) à Robert Zemeckis (Forrest Gump) en passant par la saga des Rocky!
Le film d'Harold Ramis ne va donc cesser de promouvoir ce modèle, en opposant justement deux individus, Rita, une productrice naïve, fan de poésie française du XIXème siècle, enthousiaste devant une marmotte prophète climatique et ne buvant qu'à la paix dans le monde, et Phil, égocentrique, narcissique, tellement sûr de lui qu'il se prend pour le faiseur de climat parce qu'il est présentateur météo sur une chaîne périphérique de Pittsburgh, tellement sûr de lui qu'il pense que toutes les femmes doivent succomber à son charme, ou mieux, à sa notoriété (toute relative!).
Si elle est pleine d'attention pour cette pseudo vedette alors même qu'elle le trouve désagréable (elle le loge dans une pension de meilleure qualité que son hôtel à elle, elle lui demande le matin s'il a bien dormi...), lui n'a qu'un désir, faire son reportage sur la journée de la marmotte à Punxatawney, bourg qu'il estime peuplé de ploucs croyant stupidement qu'une marmotte (rat ou écureuil) s'appelant d'ailleurs comme lui, peut prédire l'arrivée du printemps.
Derrière cette histoire classique des comédies romantiques américaines où un homme et une femme que tout oppose doivent finir par se séduire et éventuellement se marier, associée à une situation fantastique réjouissante, Ramis en profite en réalité pour dépeindre sa société idéale dans laquelle le bonheur s'atteint non par la réussite individuelle à tout prix et aux détriments des autres mais par une empathie pour ceux qui nous entoure, pour le plaisir de l'effort gratuit, pour l'aide désintéressée et dont la reconnaissance devient la seule récompense. Un bonheur simple mais en même temps s'appuyant sur les solidarités non imposées par la société mais par le rôle que chacun est prêt à y jouer.

Le bonheur de Phil passe par cette acceptation non d'un dévouement dévot mais d'une réelle compréhension des enjeux d'une société dans laquelle chacun occupe une fonction qui permet à tous d'exister et de prospérer. Plusieurs séquences illustrent ce que Phil est devenu et surtout ce qu'il a compris. Par exemple, ce ne sont plus des sarcasmes qui accompagnent son reportage sur la journée de la marmotte mais bien une réflexion sur les enjeux sociétaux des traditions, facteur de ciment social.
Ceci fait, son lendemain représente à la fois une libération du sortilège, une vie en commun avec Rita mais aussi désormais le risque de ne pas savoir ce qui se passera jour après jour. Mais en s'intéressant aux autres, Phil aura appris que sa réussite passe par un bonheur qui dépasse la notoriété et s'inscrit dans la reconnaissance des membres de la société.

Avec cette morale très américaine et reproductible à toutes les échelles de responsabilité, le film d'Harold Ramis inscrit le modèle américain dans une logique beaucoup moins individualiste que ce que nous nous faisons en France ou ailleurs. Mais là où bien des films hollywoodiens reprennent cette même idée que les individus américains doivent défendre les valeurs collectives, le film de Ramis réduit les responsabilités de son héros à déjà se comporter bien à une échelle humaine. On est plus proche alors de La vie est belle de Capra - déjà un film fantastique en quelque sorte! - que de La guerre des mondes de Spielberg. Phil apprend à devenir le personnage qu'interprétait James Stewart et ne prétend pas avoir à sauver les USA - et le monde - des Aliens!

À très bientôt
Lionel Lacour


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