vendredi 11 janvier 2013

4èmes Rencontres Droit Justice Cinéma: le programme se précise!

Bonjour à tous,

pour sa 4ème édition, les Rencontres Droit Justice Cinéma vont proposer 5 journées d'événements mêlant cinéma et débats sur la justice. Organisées par le Barreau de Lyon et l'Université Jean Moulin Lyon 3, elles se tiendront du 18 au 22 mars 2013.

La soirée d'ouverture aura lieu à l'Hôtel de Région Rhône-Alpes qui accueillera le Président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, comme président de cette édition. Il donnera une conférence sur "Etat, faillite et cinéma" analysant des extraits de films illustrant cette thématique. Jean-Jacques Bernard, rédacteur en chef de Ciné + Classic le questionnera à cette occasion.
Autre point d'orgue de ces 4èmes Rencontres, la remise du Prix du film français de droit et de justice. Il sera remis à Stéphane Cazes pour son film Ombline. Premier long métrage salué par tous les votants pour désigner le lauréat du prix. Le réalisateur participera ensuite à un débat à l'issue de la projection de son film. Il sera accompagné de son actrice principale, Mélanie Thierry.
Le reste du programme est tout aussi passionnant avec pas mal de nouveautés.
Toutes les informations sur le site www.droit-justice-cinema.fr et sur la page facebook des Rencontres.

A bientôt
Lionel Lacour

jeudi 10 janvier 2013

Anticipation ou science fiction?

Bonjour à tous,

 Régulièrement sortent des films dits de science-fiction ou d'anticipation. Selon certains, il s'agit en fait du même genre désigné de manière différente puisque tous les deux se passeraient dans le futur et que peu importe jusqu'où irait ce futur. Quand Georges Méliès tourna Le voyage dans la Lune en 1902, il proposait un film que certains désignent comme le premier film de science-fiction tant il paraissait improbable, même si rêvé, que l'Homme puisse se rendre véritablement sur la Lune. En s'y rendant de fait en 1969, le film pourrait apparaître aujourd'hui comme un film d'anticipation dans le sens premier puisque qu'il a bien proposé une réalité qui allait se vérifier dans le futur.De fait, les deux genres envisageraient alors à quoi pourrait ressembler ce futur, l'expression "science-fiction" reposant sur des mutations ou bouleversements scientifiques. Pourtant, beaucoup différencient ces deux genres sans toujours pouvoir expliquer la singularité de chacun. S'il existe une vraie originalité pour l'un comme l'autre, cela n'est pas seulement une question cinématographique au sens propre du terme puisque cette distinction existe de fait dans la littérature. La vraie différence, hormis celle que je vais proposer, relève aussi de l'intention du réalisateur dans sa volonté d'aborder une histoire, avec un supplément à la littérature qui est la construction d'un univers visuel qui ne laisse pas court à l'imaginaire du spectateur. Alors? Deux genres différents? Vraiment?

1. Science fiction face à l'anticipation: une question de science?
A quoi renvoie les termes de science et de fiction dans "science fiction"? Si la science-fiction invente des nouveaux gadgets ou autres produits inexistants à notre présent, il n'y a donc rien de scientifique là dedans. C'est comme imaginer que les hommes puissent voler sur terre parce qu'un scientifique aurait compris comment compenser bio-mécaniquement notre impossibilité à nous élever du sol naturellement. Rien aujourd'hui scientifiquement ne permet de l'imaginer. En revanche, montrer que les hommes volent dans un futur parce que la génétique aurait permis d'introduire des nouveaux éléments allégeant notre squelette et modifiant notre anatomie, ou parce que la cybernétique permettrait des greffes permettant de voler, cela serait en effet le produit de la science, mais celle que l'auteur connaît et dont il envisage un développement concret dans son film, que celui-ci se passe à n'importe quelle époque d'ailleurs. Là se retrouve le terme de "fiction" de science-fiction. Et peu importe que cela soit faisable ou pas. Le spectateur accepterait une réponse scientifique à l'incongruité de voir un homme voler parce qu'il en comprendrait approximativement le principe. Et il importe peu que cela se passe dans le futur. Jurassic park de Steven Spielberg avait comme postulat initial que l'ADN fossile permette de recréer des dinosaures. Ceci est strictement impossible, du moins aujourd'hui. Mais l'idée était envisageable par les spectateurs informés de ce que l'ADN permet et de ce qu'il contient, à savoir le code génétique. Ainsi, les films utilisant les inventions scientifiques se fondent toujours sur une réalité scientifique, certes extrapolée, mais préexistante. La "fiction" relève donc de la mise en scène de la science et de la technologie existante. Sans cette réalité, cela ne devient plus de la science mais du film fantastique, genre dans lequel est donné aux spectateurs des informations invérifiables mais qui doivent être admises pour apprécier l'histoire et, pour revenir à l'homme volant, qu'il faudrait l'accepter en soi et non comme une réalité scientifique. Et pour en finir avec cet exemple, le seul homme volant acceptable en tant que spectateur, c'est Superman. Mais là encore, le spectateur ne l'accepte que parce que justement, ce n'est pas un homme et qu'il vient d'une autre planète. Rien de scientifique en soi puisque aucune civilisation extraterrestre n'a été découverte. Mais la probabilité de l' existence dans d'autres galaxies d'une vie semblable à la Terre ne fait qu'augmenter au fur et à mesure des découvertes des astro-physiciens. Et cela renforce paradoxalement la crédibilité de l'existence de Superman! Pour en revenir donc à la science, ce n'est pas elle qui va différencier les films d'anticipation ou de science fiction puisque les éléments scientifiques des films de science-fiction ne sont jamais qu'une anticipation de ce qu'ils permettraient de créer.

2. Science fiction face à l'anticipation: une question de temps filmé?
À quelle époque un film de science-fiction est-il censé se dérouler? Dans le présent? Dans le futur? Dans le passé? Retour sur Jurassic Park. L'action est contemporaine à celle des spectateurs. Rien dans le film n'indique d'ailleurs une autre période. Tous les éléments technologiques présentés dans le film existent, des véhicules aux matériels de laboratoire. Spielberg joue alors sur toutes les échelles temps, évoquant un passé révolu, le temps des dinosaures étudié par des paléonthologues du présent des spectateurs et "ressuscités" par un scientifique se projetant dans le futur. Ces trois temporalités se superposent dans l'île accueillant les dinosaures. Quel statut alors donner à ce film? Film de science-fiction puisqu'il s'agit bien d'une application supposée d'une technologie issue des découvertes scientifiques? Film d'anticipation puisque justement est envisagé ce qui pourrait avoir lieu dans l'avenir, même si Spielberg situe l'action de son film au présent de ses spectateurs de 1993. Dans ce cas précis, la différence entre les deux genres est bien difficile à faire. D'autant que le réalisateur rajoute de fait d'autres genres à son film par l'évolution de son scénario, transformant son film en film d'horreur!
Dans Retour vers le futur et ses suites, Robert Zemeckis proposait de 1985 à 1990 une logique inverse de celle de Spielberg en éclatant justement les unités de temps, permettant aux héros du films de voyager dans le temps et de modifier le cours de l'histoire des personnages, voire de l'Histoire tout court! Le film relève bien de la science-fiction puisqu'il part de principes scientifiques de l'existence d'une dimension temporelle à l'intérieur de laquelle il serait possible de voyager. Je passe sur les moyens utilisés par Doc pour le faire mais qui, bien que farfelus, s'appuient sur une démonstration qui se veut scientifique! Mais pour autant, le film évoque de nombreuses anticipations sur ce que sera le futur. Ainsi, quand Marty Mc Fly interprété par Michael J. Fox, projeté dans les années 1950 à l'époque où ses parents se sont connus, entame un solo de guitare électrique à la fête du lycée de son père, il stupéfie l'assistance par la dissonance et la violence de son interprétation. Il ne fait pourtant qu'anticiper ce qui va se passer quelques années plus tard pour les contemporains de 1955, ce qu'il affirme d'ailleurs en s'adressant au public: "vos enfants vont adorer!" Dans le troisième volet, Marty et Doc vont dans le futur et le premier va involontairement provoquer une modification du cours de l'Histoire, faisant des USA un monde voué à l'anarchie et dominé par un être richissime sans aucune morale. Le spectateur peut y voir une certaine appréhension du futur si rien n'est fait pour empêcher que les plus riches dirigent le monde sans contre pouvoir. Dans ce cas précis, ce n'est pas la science qui directement transforme le monde. Elle n'aura été qu'un catalyseur puisque c'est Marty qui, par ses voyages dans le temps, a interféré le cours de l'Histoire. Mais, en enlevant la cause (pseudo)scientifique, ce qui est présenté aux spectateurs est un bouleversement crédible et à la fois effrayant. La réponse de Marty et de Doc apparaît comme en fait double: celle liée au film dans lequel les personnages veulent corriger l'erreur commise; et celle proposée aux spectateurs qui sont censés comprendre que sans vigilance démocratique de leur part, la destinée de leur pays pourrait être prise en main par des puissants et immoraux capitalistes sans scrupules.


LA tempête electromagnétique et transtemporelle
de Nimitz, retour vers l'enfer
Dans Nimitz, retour vers l'enfer de Don Taylor en 1980, l'action plonge un Porte-avion nucléaire américain de 1980 vers le passé, le 7 décembre 1941 par une tempête électromagnétique qui aurait bouleversé le continuum temps. Il ne peut s'agir en aucun cas d'un film d'anticipation pour les spectateurs puisqu'il n'est pas annoncé ce qui arrivera après 1980. L'anticipation peut au mieux être pour les Américains de 1941 qui voient sous leurs yeux des machines de guerre dotées de technologies qui n'existent pas encore ou qui en sont seulement dans leur phase de développement. Ce qu'ils voient relève donc aussi de la science-fiction. Le spectateur doit accepter lui aussi un fait scientifique supposé, expliqué dans un vocabulaire lui aussi scientifique par différents membres de l'équipage du porte-avions. Ce film, dont la qualité n'est pas le sujet dans cet article, n'est que de la science-fiction bien que l'action n'évoque que le présent et le passé tout en évoquant aussi le futur... mais celui de certains personnages du film, jamais des spectateurs!
Ainsi, dans l'approche de définition par l'époque qui est représentée, il est difficile d'établir ce qui distingue science-fiction de l'anticipation quand il s'agit du futur voire du présent. C'est déjà plus clair quand il s'agit du passé.



3. Science fiction face à l'anticipation: une question de rapport au présent
La dernière différence qui pourrait être faite entre les deux genres serait alors une question de rapport au présent du spectateur qui se retrouve dans les films. Comme je l'ai déjà évoqué dans de nombreux articles, le spectateur, quel que soit le film qui lui est destiné, projette obligatoirement son présent dans les films qu'il voit, quelle que soit la période filmée. Et, paradoxalement, un Français comprendra mieux un film dont l'action est censée se passer dans un système solaire distant de milliers d'années lumière si le film est fait par un Français ou un Américain qu'un film réalisé par un Turkmène racontant le présent de son pays, tout simplement parce que le premier film est réalisé par un metteur en scène s'adressant à des spectateurs de sa civilisation et qu'il insère des codes identifiables par ceux-ci, quand bien même l'action se passerait dans une civilisation extraterrestre extrêmement lointaine. Les codes turkmènes ont en revanche peu de chance d'être compris, surtout s'ils renvoient à une culture historique ou politique du pays.
Une fois admis cela, il suffit désormais de regarder deux exemples de films célèbres classifiés chacun dans un des deux genres. Soleil vert, réalisé par Richard Fleischer en 1973, est identifié habituellement comme un film d'anticipation. Quant à La guerre des étoiles, réalisé par George Lucas en 1977, elle fait partie incontestablement des films dits de science fiction. Ce dernier se passe à une époque et un lieu absolument pas en lien avec notre temps et notre espace. L'aspect scientifique est largement présent dans toutes ses dimensions: androïdes, intelligence artificielle, moteurs permettant d'atteindre la vitesse de la lumière, énergie utilisée en rapport, véhicules étranges mais aussi développement des forces mentales, sabres laser et autres inventions à partir de matériaux ou produits plus ou moins imaginaires. L'aspect extra-terrestre permet des fantaisies dans le bestiaire et pourtant, beaucoup de ressemblance avec notre monde, y compris et surtout dans les relations entre les individus, de races (on peut parler ici de races) ou de sexe différents, et dans les rapports de pouvoir. De tels récits confèrent à ces films un statut de parabole sur le présent et n'envisagent en fait pas que notre monde se transforme ainsi. Loin d'imaginer que le futur pourrait être comme dans La guerre des étoiles, le spectateur reconnaît assurément son présent dans le film, par principe d'analogie, de "projection-identification" comme l'écrirait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire (1956). Et chacun est libre de reconnaître dans Darth Vader tel ou tel dictateur. En fait, parler d'un futur nettement différencié du présent du spectateur est comme représenter un passé lointain. Science fiction et film "historiques" ne seraient pas si différents en soi dans l'approche. Et plus le temps montré s'éloigne du présent, dans le passé ou dans le futur, plus il parle du présent.
Soleil vert: Film d'anticipation dont l'aspect "innovation scientifique"
n'allait pas plus loin que des jeux vidéos dépassés
15 ans plus tard alors que l'action se passe au XXIème siècle!
Et c'est sûrement dans ce point que réside la différence avec le film dit d'anticipation. En effet, ce genre de film part justement du présent pour reconnaître dans ce cas un futur proche du spectateur. L'action du film de Richard Fleischer se passe à peine à 60 ans du présent du spectateur de 1973. En prenant une photographie économique, scientifique, sociale et sociétale du monde occidental, il en fait alors une extrapolation en caricaturant ce que chaque problème du présent pourrait donner dans le futur, futur que certains des spectateurs connaîtrait soit directement, soit par ce que leurs enfants le vivront. Cette caricature est alors généralement transposée dans un univers reconnaissable, avec des éléments du présent du spectateur et des modifications technologiques pas aussi remarquables que dans les films de science-fiction. L'univers urbain de Soleil vert est très proche de celui des contemporains de la sortie du film. Peu de technologie d'avant garde, si ce n'est un jeu vidéo novateur pour 1973 mais dépassé depuis les années 1980, ce qui montre bien que l'imagination ne peut envisager la puissance des progrès technologiques. L'anticipation relève en fait de l'évolution des relations entre les groupes sociaux, des conséquences de l'économie capitaliste et des progrès entraînant la sur-consommation. Le film est apocalyptique et accumule les réquisitoires contre les excès de la surproduction sur la vie sur Terre, celle des hommes en particuliers, cette de toutes les espèces vivantes en général. La différence avec le film de science-fiction réside alors dans le fait que le spectateur peut avoir la main sur ce à quoi peut ressembler son futur. Ce n'est absolument pas le cas dans des films comme La guerre des étoiles ou Dune et autres films de science-fiction. En corrigeant le comportement des individus, en agissant sur la surconsommation, l'avenir promis par Fleischer peut ne pas avoir lieu. Le film d'anticipation  a pour volonté de provoquer une prise (crise?) de conscience chez le spectateur, espérant qu'il adhère au message et qu'il agisse ensuite. Rien de tel dans le film de science-fiction.


4. Science-fiction, anticipation ou les deux à la fois?
Pour reprendre les deux exemples précédents, il est assez clair que l'un et l'autre appartiennent chacun à un genre différent. En revanche, certains exemples précédents peuvent correspondre à deux genres en même temps. Ainsi Jurassic Park, outre son caractère horrifique est à la fois de la science-fiction dans l'application des technologies appliquées à des découvertes archéologiques et biologiques, mais aussi de l'anticipation dans ses aspects éthiques sur la manipulation génétique et ses conséquences non maîtrisées. Dans retour vers le futur III, la virée spatio-temporelle dans le futur et la perturbation du continuum historique est bien un mélange de science-fiction, application farfelue de la relativité d'Einstein notamment, et d'anticipation avec le recul de la démocratie au profit d'un potentat lié à l'argent. Et c'est bien Marty, personnage contemporain des spectateurs, qui agit pour rétablir le cours de l'Histoire (et de l'histoire) qui se trouve être celle des mêmes spectateurs.
Certains films peuvent même se transformer en passant d'un genre à l'autre. Dans La planète des singes de Franklin J. Schaffner réalisé en 1968 (voir article sur les différentes versions de La planète des singes: "La planète des singes: le mythe régénéré; Le retour de la planète des singes?) l'ensemble du récit relève de la science-fiction puisque l'action amène des astronautes américains contemporains des spectateurs sur une planète située à des milliers d'année de leur présent, grâce à une technologie aérospatiale que ni la Nasa ni les agences spatiales soviétiques ne maîtrisent encore. Dominée par des singes, l'action relève clairement de la parabole. Et même si les spectateurs peuvent se reconnaître dans le personnage de Taylor, humain interprété par Charlton Heston, en aucun cas ils ne peuvent se sentir impliqué dans la possibilité de changer le destin de la planète en agissant dès 1968! Tout au mieux peuvent-ils se demander ce qu'ils feraient à sa place! Et malgré les éléments d'identification pouvant permettre de trouver un lien entre les humains de la Terre et ceux de cette planète, les spectateur reste plongé dans la certitude d'appartenir à un autre monde. Pourtant, dans la célèbre scène finale du film, le spectateur passe du film de science-fiction à celui d'anticipation en quelques secondes, par un choc à la fois esthétique mais surtout symbolique. Par cette statue de la liberté ensablée, les spectateurs font le lien entre cette planète et la leur puisque c'est la même. Ils comprennent alors que la guerre atomique a détruit leur civilisation, permettant à une civilisation simiesque de dominer une humanité retournée à l'état sauvage. Film d'anticipation donc et surtout parce qu'à ce moment là,  il y a une prise de conscience que pour éviter ce spectacle, l'Homme de 1968 peut agir.

La liste est donc longue de tous ces films qui jonglent avec ces deux genres. Andrew Niccol, que ce soit dans Bienvenue à Gattaca en 1997 ou plus récemment dans Time out en 2011, s'est fait un malin plaisir d'associer les deux. On y retrouve à la fois l'application de technologie extrapolée sur des êtres humains, la génétique associé à la nanno-informatique notamment, à des éléments du présent, voire d'un proche passé des spectateurs. Il est amusant à ce propos de voir des Citroën DS dans ces deux films!




Pour conclure, il est donc évident que la distinction entre les deux genres que sont la science-fiction d'un côté et l'anticipation de l'autre est délicate à faire en ce sens où l'un peut servir l'autre. Mais il y a une réelle différence puisque certains films peuvent être de pure science fiction tandis que d'autres ne sont que de l'anticipation. Ce qui change est donc le rapport au présent et la volonté du scénariste et/ou du réalisateur de l'évoquer. Dans la science-fiction, c'est le présent du spectateur qui est présenté sous forme de parabole, de conte ou de fable. Dans l'anticipation, c'est le futur qui est décrit à partir du présent des spectateurs qui sont impliqués à la fois dans le film lui-même - que feraient-ils à la place des héros - et dans leur présent - peut-on éviter que ce monde présenté dans le film n'advienne? Pour ces spectateurs, l'aspect "science-fiction" des films d'anticipation passe finalement au second plan car les références à leur propre monde sont trop fortes. Le contre-exemple étant peut-être Jurassic Park et autres du genre car ce type de films mêle finalement d'autres genres encore: film d'horreur, comédie...
Il est donc important pour tous ceux qui travaillent sur les films comme source, que ce soit en Histoire, en Géographie, en Sociologie, Philosophie et autres sciences humaines de bien distinguer ces genres, quand bien même ils s'entremêleraient dans les films. Le message n'est pas le même, que ce soit celui émis par le réalisateur ou reçu par les spectateurs.

A bientôt
Lionel Lacour

Poursuivez la thématique avec ces trois articles:
Soleil vert au Festival Lumière 2011
La planète des singes: le mythe régénéré
Le retour de la planète des singes?

lundi 7 janvier 2013

Rencontres Droit Justice Cinéma 2013: séances lycéennes

Bonjour à tous,

pour la 4ème année, les Rencontres Droit Justice Cinéma organisées à Lyon par l'Université Jean Moulin Lyon 3 et le Barreau de Lyon proposent des séances réservées aux Lycéens.


Ces séances sont accompagnées d'un dispositif pédagogique dans lequel les enseignants peuvent faire intervenir en amont de la projection des étudiants de l'IDAC (Institut de Droit de l'Art et de la Culture) en Master 2 "Droit du Cinéma, de l'Audiovisuel et du Multimédia". Ils viendront présenter l'intérêt cinématographique, juridique et judiciaire du film que les élèves iront voir.

Une fiche pédagogique sera également proposée aux enseignants et à leurs classes.


Un débat après la projection du film projeté dans nos cinémas partenaires.


programme:

à L'Institut Lumière:  mardi 19 mars 2013 à 10h
Soleil Vert de Richard Fleischer, 1973

au Comœdia: mercredi 20 mars 2013 à 10h
Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh, 2000

à Hôtel de région: mercredi 20 mars 2013 à 10 h entrée gratuite
Conférence: "L'Avocat au cinéma"

à L'Institut Lumière: jeudi 21 mars 2013 à 10h et à 14h30 deux séances
Le Procès de Orson Welles, 1962

au Comœdia: vendredi 22 mars 2013 à 10h en présence du réalisateur
Ombline 
de Stéphane Cazes, 2012


Pour toute inscription (séance et dispositif pédagogique), n'hésitez pas à me contacter.

Page facebook des Rencontres Droit Justice Cinéma

www.facebook.com/pages/Rencontres-Droit-Justice-Cin%C3%A9ma/335387679815416?fref=ts

Site:  www.droit-justice-cinema.fr  (dès février 2013)
A bientôt
Lionel Lacour
lionel.lacour@cinesium.fr

samedi 5 janvier 2013

L'inspecteur Harry: un fasciste ou un vrai républicain?

Bonjour à tous,

en 1971 sortait un film qui allait marquer le cinéma américain et mondial, créant de fait un personnage qui allait s'inscrire dans la mythologie hollywoodienne. Réalisé par Don Siegel, L'inspecteur Harry (le titre original était plus explicite en qualifiant d'emblée le personnage: Dirty Harry) allait définitivement positionner Clint Eastwood comme une légende du cinéma. C'était leur quatrième collaboration après Un shérif à New York (1968), Sierra torride (1970) et Les proies (1971) sans compter le petit rôle joué par Don Siegel dans le premier film réalisé par Eastwood en 1971, Un frisson dans la nuit. S'appuyant sur un fait divers dans lequel un criminel en série se faisant appeler "Zodiac" terrorisait l'Ouest américain, Siegel va faire s'affronter un psychopathe connu sous le nom de Scorpion (d'où la référence au Zodiac) à un flic, Harry Callahan. Le succès au box office est incontestable, rapportant près de sept fois ce que le film avait coûté à la première année d'exploitation. Pourtant, la critique du New Yorker, Pauline Kael, écrivait en janvier 1972 que L'inspecteur Harry sublimait le "potentiel fasciste", faisant du film de Siegel "un film profondément immoral". La critique de Pauline Kael ne fut pas la seule à attaquer le film. Le New York Times ne s'en priva pas. Mais d'autres au contraire louèrent ce film comme Rolling Stones notamment.

Alors, fasciste ou pas? C'est un vieux débat que différents articles de presse ou sur des sites internet traitent régulièrement. Essayons cependant de donner quelques pistes par l'analyse de trois séquences.

Bande Annonce:


1. Les arguments de l'accusation

Pauline Kael avait une argumentation solide pour faire du film de Siegel un film fasciste. Elle reprochait en effet le côté caricatural de Scorpion dans lequel le spectateur ne peut jamais avoir une once de sympathie et ne peut qu'accepter que, face à l'administration policière, un "héros" vienne enfin l'empêcher de nuire. Harry "était le personnage tout trouvé puisqu'il est violent, irrespectueux de l'ordre établi. Son racisme apparent complétait le profil d'un héros dont la mission était d'éliminer les nuisibles d'une société dirigée par des autorités incapables et laxistes, défendant le droit avant de défendre les victimes.
Plusieurs séquences peuvent illustrer ces arguments, de la scène qui forgea le mythe Harry lorsqu'il menace de son magnum un braqueur de banque jusqu'à lui tirer dessus alors même que son arme n'a plus de munition. Cette scène relève d'une véritable scène de torture psychique dans laquelle le spectateur peut basculer par effet de sympathie vers le tortionnaire puisque celui-ci a empêché que le braquage ne réussisse et ne s'en prend finalement qu'à un homme qui a commis un crime.



Harry torture Scorpion
Plus tard, quand Scorpion demande une rançon après avoir kidnappé une jeune fille, Harry le poursuit jusque dans le stade de football, lui tire dessus et le torture en lui marchant sur sa plaie béante afin de lui faire dire où se trouve la jeune fille. À l'image, cette torture est enlevée du regard du spectateur par un plan pris d'hélicoptère, laissant Harry faire le sale boulot. Le fait que Scorpion ait de fait tué la jeune fille en l'ayant enterrée vivante renforce l'idée que Harry a dû agir de la sorte car il a en face de lui un être qui ne peut pas être raisonné par les bons principes. Et le fait que son supérieur lui reproche de ne pas avoir respecté les droits de Scorpion peut alors être une nouvelle fois interprété comme un signe favorable à la réponse fasciste plutôt qu'à celle du droit.
Enfin, quand Harry épie et suit Scorpion en désobéissant à sa hiérarchie puis agit pour mettre fin à la prise d'otages d'écoliers dans un bus scolaire, Harry devient évidemment le héros qui sauve la société et de sa partie innocente, les enfants, du monstre Scorpion mais aussi des incompétents censés justement protéger les plus faibles.


2. Des arguments qui oublient les principes du cinéma
En se limitant aux éléments cités, les critiques comme Pauline Kael sont comme ceux qui cherchent ce qu'ils veulent trouver, occultant du film ce qui indique exactement le contraire de leur démonstration. Ce procédé a la vie dure comme l'a montré récemment le magazine Variety qui voyait dans le film Intouchables une œuvre raciste, alors que l'inverse est  facilement démontrable. Ainsi, tous les arguments faisant de Dirty Harry un film fasciste sont tout autant facile à retoquer, sauf peut-être pour le fait qu'Harry est effectivement un flic désabusé par le manque d'efficacité de sa hiérarchie. Mais la nature d'un personnage, même fasciste ne fait pas pour autant du film un film fasciste.
Ainsi, la séquence du braquage est de fait une référence à un genre qui n'est pas celui du film. Certes l'action se place dans le présent de la réalisation du film, c'est-à-dire en 1971. Mais le traitement est clairement celui d'un western dans lesquels les policiers, les shérifs, intervenaient au milieu de la foule pour mettre fin à un acte criminel. Quand Sam Peckinpah le montrait en 1969 dans La horde sauvage, le message était le même, montrant combien la société américaine repose sur la violence. L'inspecteur Harry n'est de fait rien d'autre qu'un western urbain, chose analysée depuis longtemps, faisant le lien entre le film de Peckinpah et le quotidien ordinaire d'un Américain. Le caractère "fasciste médiéval"de Harry  (invention de Pauline Kael qui montre combien elle avait malgré tout des problèmes de concepts historiques!) quand il intervient lors du braquage laisserait alors à penser que l'ensemble de la société américaine est fasciste. Or culturellement, les Américains trouvent légitimes qu'un policier intervienne, même violemment, face à un criminel. Son intervention ne met d'ailleurs pas plus en danger que ce que ne font déjà les braqueurs. Certes, quand Harry pointe son magnum sur un braqueur à terre, il y a du sadisme, incontestablement. Mais son expertise, démontrée au cours du film, prouve qu'il sait très bien combien de balles:


« Hin hin ! Je sais ce que tu penses : « C'est six fois qu'il a tiré ou c'est cinq seulement ? ». Si tu veux savoir, dans tout ce bordel j'ai pas très bien compté non plus. Mais c'est un .44 Magnum, le plus puissant soufflant qu'il y ait au monde, un calibre à vous arracher toute la cervelle. Tu dois te poser qu'une question : « Est-ce que je tente ma chance ? » Vas-y, tu la tentes ou pas ? »



Or si on part du principe qu'il sait très bien qu'il n'a plus de balle, cela veut dire qu'il n'aura pas besoin de tirer et qu'il lui suffira d'enlever l'arme qui se trouve à terre à près d'un mètre du braqueur. Et de fait, quand celui-ci lui demande de savoir s'il y avait encore des balles dans l'armes de Harry, celui-ci tire sachant que son arme est vide. Bien sûr qu'il y a sadisme. Mais suffit-il d'être sadique pour être fasciste. D'autres films aujourd'hui jamais qualifié de fasciste aurait montré le policier frappant le braqueur pour l'empêcher d'atteindre son arme. Les critiques auraient pu trouver cela légitime et, au regard de la séquence, rien n'aurait choqué si Harry l'avait fait. Et pourtant on lui reproche finalement de ne pas l'avoir frappé! Par cette séquence, Siegel caractérisait son personnage, un policier compétent et courageux, prêt à intervenir quand il le faut, préférant l'action et la confrontation directe avec les hors-la-loi, quitte à désobéir parfois, y compris à la loi pour le bien commun. 



Mais cette seule séquence n'est pas assez significative pour faire de Harry Callahan un héros non fasciste. La séquence de torture dans le stade est bien plus intéressante car elle est souvent analysée par les contempteurs du film en oubliant certains éléments du film et notamment le son. Revenons au plan pris d'hélicoptère. Certes, Siegel nous éloigne de la torture que subit Scorpion, nous permettant de nous satisfaire de ce que fait Harry pour la bonne cause, celle de sauver une jeune fille. Mais Siegel ne nous laisse en aucun cas tranquille avec notre conscience. Les cris de Scorpion sont particulièrement audibles même quand il est manifestement trop éloigné pour qu'on l'entende aussi fort. Et quand on ne l'entend plus, une musique fantastique de Lalo Schiffrin vient par des dissonances nous heurter les oreilles, rappelant un film d'horreur pour bien nous signifier à nous spectateurs que nous sommes partie prenante de ce que Harry fait subir à Scorpion. Harry n'est donc pas le seul à se "mouiller" en torturant Scorpion. Le réalisateur implique émotionnellement les spectateurs qui doivent alors accepter ce qu'il fait tout en reconnaissant l'horreur qui est commise. Le film serait "fasciste" si nous laissions agir Harry seul, nous exonérant par l'éloignement de la prise de vue de ce qu'il exécute. 


La séquence finale vient alors clore le message introduit par cette séquence. En attaquant Scorpion qui a pris en otage les écoliers, Harry désobéit clairement aux ordres. Mais au regard de ce qu'a déjà fait le psychopathe, meurtres divers, séquestration, attaque d'église de la communauté noire, enterrement d'une victime encore en vie et d'autres encore, il y a urgence à intervenir. Harry le fait, sauve les derniers écoliers du bus et tue Scorpion en reprenant le même dialogue que lors du braquage. Sauf que cette fois, il a encore une balle dans le chargeur et tue Scorpion. Harry a franchi la ligne rouge. Il est devenu un criminel puisque rien ne le forçait à tuer Scorpion. Paradoxalement, les spectateurs ont peut-être espéré qu'il tire et qu'une balle se trouve bien dans le barillet du magnum de Harry. Sauf que le film se finit autrement que ce que Pauline Kael affirme. 


Ce que bien des critiques oublient, c'est que les fins des films donnent la morale du message mis en oeuvre dans l'œuvre. Or Harry ne finit pas en héros. Au contraire. Il se retrouve seul, et jette son insigne de policier. Les plus critiques et aveuglés par leur idéologie interprètent ce geste comme un refus d'appartenir à une police qui décidément n'a pas su agir pour défendre les victimes. Or cette interprétation n'a aucun sens car dans ce cas, il aurait fallu pour rendre plus fort le message, que cela soit fait devant des témoins, les supérieurs de Harry et des parents de victimes soutenant ses agissements. Au contraire, Harry sait qu'il a dépassé ce qu'il était en droit de faire. Un autre plan d'hélicoptère le laisse seul s'éloigner de la vue des spectateurs. Le thème musical devenu classique depuis accompagne cet éloignement visuel. En laissant ainsi Harry sur une musique très triste et peu enthousiaste, le spectateur est invité à l'abandonner aussi car rester avec lui serait adhérer à ce qu'il a fait. Tant qu'Harry intervenait à côté de la loi mais pour le bien commun, ces écarts étaient tolérables. Deux fois, Siegel nous aura éloigné de l'inspecteur. Une fois dans le stade. Mais l'éloignement n'était que visuel et nous savions combien ce qu'il faisait était insoutenable mais animé au moins par un souci de libérer une victime. La seconde fois, nous le quittons définitivement car il ne peut y avoir d'apologie de ce qu'il a fait. Lui-même le sait.


Film fasciste donc? Harry peut-être. Les spectateurs? Pourquoi pas. Le film en aucun cas. La morale du film démontre que le message du réalisateur n'est absolument pas de défendre un policier qui agirait contre la loi jusqu'à commettre l'irréparable: le crime. Surtout, les critiques qui qualifient encore ce film de fasciste ou de toute autre expression équivalente (film nauséabond, d'extrême droite et autres expressions) oublient outre la morale évoquée ci-dessus, le contexte de production du film. En effet, les USA sont en pleine crise d'autorité avec leur déroute au Vietnam, remettant en cause de fait les autorités publiques voir leur légitimité. Des faits divers criminels et médiatiques viennent  également s'ajouter à la déstabilisation de cette super puissance, que ce soit les crimes du Zodiac ou ceux perpétrés par Charles Manson de manière tout aussi barbare que ceux commis par Scorpion lui-même. Du point de vue cinématographique, le nouvel Hollywood commence a proposer un cinéma différent, plus radical, plus violent et plus urbain, abandonnant le mythe de la conquête de l'Ouest et se plongeant plutôt dans ce qui anime la société américaine. C'est ainsi que le genre roi des années 1950, à savoir le Western, va être soit abandonné, soit revisité pour démystifier tous ses héros.  Sergio Leone avait commencé mais il était italien. Peckinpah a largement contribué à suivre ce processus de destruction du mythe du far west. Siegel s'y était attaqué aussi. Il avait presque réussit à mélanger les deux dans Un shérif à New York. Mais c'est bien dans L'inspecteur Harry qu'il réussissait la véritable mutation du Western. Si un western est mort, cette mort n'est qu'une question de temporalité. En effet, inutile désormais de filmer un Western au XIXème siècle puisqu'il continue d'exister en réalité au XXème siècle sous d'autres formes. Et si les spectateurs acceptent de voir le Shérif attaquer le bandit comme dans tous les westerns, il ne peut cependant pas le tuer gratuitement car la morale américaine n'y trouve pas son compte. Contrairement à ce que certains croient, les Américains ne se repaissent pas forcément de la mort et celle de Scorpion n'est en aucun cas un happy end au sens classique puisque celui qui doit faire régner la loi la transgresse de la manière la plus grave qui soit. Rien de fasciste donc dans l'oeuvre de Don Siegel et son film revendique plutôt des principes républicains qui interdisent à un policier de tuer quand il n'est pas en situation de légitime défense. Les suites, trois en tout, reprendront d'ailleurs ce credo; dont le fameux Magnum force de Ted Post avec parmi les scénaristes le talentueux Michael Cimino, film dans lequel Harry Callahan traquait justement une organisation de policiers exécutant les membres de la pègres et autres assassins pour pallier le laxisme judiciaire.  On ne peut pas en dire autant de bien d'autres films d'action tournés depuis aux USA. Quant au Western moderne évoqué même par le rappeur français MC Solaar, les faits divers américains et les réactions des citoyens face à la pertinence de posséder et d'utiliser des armes à feu laissent penser que le XXIème siècle est encore un temps de Western...


A bientôt

Lionel Lacour