mardi 17 janvier 2012

Le cinéma: un support de formation inépuisable

Bonjour à tous,

Une fois n'est pas coutume, j'évoquerai dans ce post une de mes activités professionnelles liée au cinéma, à savoir la formation de managers ou de commerciaux par le cinéma.
Comme vous l'avez constaté, le cinéma est souvent utilisé par les médias, les journalistes, les hommes politiques pour illustrer leurs propos ou conforter des idées. Ainsi, le film Indigènes fut l'occasion de se souvenir que l'armée française qui libéra le territoire national fut en partie composée de soldats d'Afrique du Nord dont le souvenir aurait été effacé de notre mémoire et donc de l'Histoire. Ce point de vue répandu, comme celui du non enseignement de la guerre d'Algérie, du 8 mai 1945 et Sétif ou d'autres faits historiques troubles de l'Histoire de France est pourtant à remettre en cause. En effet, si ces périodes et leurs zones grises sont éventuellement partiellement effacées des mémoires, elles ne le sont pas de l'Histoire. Il suffit de se rendre dans les librairies comme la Fnac ou dans les bibliothèques municipales ou universitaires pour saisir la somme de littérature qui concerne ces dites périodes.
Ce que l'Histoire relate n'est pour autant pas forcément accessible aux citoyens. Soit qu'il n'y a pas accès, soit qu'ilq ne veulent pas y accéder. Dès lors le cinéma semble apparaître comme celui qui raconte ce que l'Histoire aurait refoulé, et du fait qui libère les non-dits. Ceci est faux. Le cinéma et sa production ne sont que la résultante d'une somme de possibles, parmi lesquels on trouve justement le temps pour une population d'accepter de voir son Histoire en face. Dès lors, quand un film évoque le rôle joué par les Africains dans la libération de la France, c'est parce que la population française est désormais prête à le voir et donc à le savoir. Dans le cas d'Indigènes, c'est aussi l'émergence d'une génération d'acteurs d'origine maghrébine dont certains sont des stars ou reconnues comme Jamel Debbouze comme des acteurs pouvant jouer d'autres rôle que justement le Maghrébin de service comme Roschdy Zem, vedettes de cinéma inexistantes il y a encore 15 ans.

Cette longue introduction a pour objectif de mettre en lumière un fait. Le cinéma n'est que le reflet des possibles. Et ce qui est vrai pour l'Histoire est vrai de fait pour toutes les situations dans lesquelles nous nous retrouvons au quotidien, à commencer par nos rapports aux autres: au sexe opposé, au supérieur hiérarchique ou au subordonné, au politique ou au citoyen, à l'adulte ou à l'enfant. Dans le cadre professionnel, le cinéma est un condensé de représentations scénarisées de situations vécues. Mieux, l'écriture d'un film s'apparentet parfois à des trajectoires humaines que le spectateur identifie facilement. Le cinéma peut devenir alors une clé de compréhension des relations professionnelles.

Une image de Metropolis de Fritz Lang
La plongée écrase ceux qui ne sont pas "en haut"
et qui sont perdus "en bas", invisibles dans la ville
1. Le langage cinématographique: un prisme pour mieux comprendre le réel
Ce que ceux qui aiment le ciné savent, c'est qu'il existerait un langage cinématographique.
Celui-ci n'est pas articulé et généralement pas appris formellement dans les écoles. Comme nous apprenons notre langue maternelle, nos sociétés ont appris à lire le langage cinématographique de manière intuitive. Un peu comme un enfant utiliserait le subjonctif sans même connaître l'idée même du mode de conjugaison.
Ainsi, du champ/contre-champ à la plongée/contre-plongée, rien n'échappe au spectateur qui comprend bien que l'image qui lui est présentée n'est pas celle que nous avons naturellement. Nous avons en effet rarement une vision en champ / contre champ!
A chaque élément de langage cinématographique correspond soit un positionnement de caméra (plongée par exemple), un cadrage (ce qui est dans le champ: un gros plan par exemple), un mouvement de caméra (comme ce mouvement rectiligne désigné par le mot travelling) mais aussi un effet obtenu après le tournage. Le plus simple des effets est le montage qui consiste à faire se succéder deux plans, c'est-à-dire deux unités de tournage, soit de manière sèche soit avec des effets, le plus célèbre étant peut-être le fameux fondu...
Ce langage cinématographique ne sert pas qu'à expliquer au moment de tournage ce que le réalisateur veut faire. Il a surtout un sens pour l'histoire et il donne du sens pour le spectateur. La contre-plongée grandit le personnage tandis que la plongée écrase. Le spectateur le comprend sans qu'on ait besoin de lui expliquer. Pourtant, cet effet ne va pas de soi pour un spectateur si on lui demande spontanément ce qui lui a suggéré l'idée de l'écrasement d'un individu. Comme l'enfant utilise le subjonctif sans s'en rendre compte, le spectateur intègre sans les identifier les différents procédés cinématographiques. Dans les deux cas, pour l'enfant comme pour le spectateur, ce qui compte est le sens qui est donné au récit.
Or la compréhension fine du récit devient intéressante justement quand on est capable d'extraire la forme utilisée de la seule approche narrative. La richesse de cette forme fait entre autre la qualité de l'oeuvre ou sa richesse. Mais pour le cinéma, le langage cinématographique va plus loin. En effet, ce qui explique cette compréhension quasi instantanée du langage cinématographique, c'est qu'il se construit sur des situations qui existent réellement dans la vraie vie. Ainsi, nous avons tous eu ce sentiment d'écrasement quand nous sommes confrontés à une personne beaucoup plus grande que nous. Et inversement. Adapté à différentes situations, on comprend donc mieux pourquoi le fauteuil du dirigeant d'entreprise permet à celui-ci d'être assis plus haut que ses subordonnés. Ce simple exemple que tout le monde comprend n'est qu'un des nombreux autres qui, s'appuyant sur des situations de langages cinématographiques, permet de mieux comprendre certaines situations sociales.

2. Le scénario d'un film ou comment comprendre une situation donnée
Le cinéma ne se résume pour autant pas seulement à un seul langage comme le langage écrit ne fait pas à lui seul la littérature. Le cinéma se construit autour d'un récit qui, s'il peut s'ordonner de manière variée, n'en suit pas moins pour la plupart des films une trame commune. Ainsi, les scénaristes évoquent trois actes qui constituent leur scénario.
Le premier correspond à l'exposition de la situation. Ainsi le contexte de l'histoire est posé en plaçant le lieu et l'époque du récit du film. De même les principaux personnages et leurs caractéristiques sont présentés à cette occasion. Enfin, à l'issue de cette partie du scénario, un objectif est confié aux personnages principaux: cet objectif peut être amoureux, ou politique ou policier ou recouvrir toute autre forme. C'est la quête de cet objectif qui constitue le deuxième acte. Le  ou les héros rencontreront à cette occasion des personnages nouveaux, des obstacles et l'objectif sera atteint... ou pas. A ce moment, le deuxième acte sera clos. Le dernier acte sera alors l'épilogue qui donnera aux personnages l'occasion de faire le point sur l'histoire qu'ils auront vécu et aux spectateurs de se faire une idée sur le sens du film. Ce que certains scénaristes appellent "théorie" et d'autres "morale" du film.
Cette présentation très expéditive de la construction d'un scénario a surtout un intérêt majeur en terme de formation. En effet, sans évoquer le moindre film, le déroulé du scénario tel que je viens de l'écrire peut correspondre à bien des situations professionnelles. Que ce soit la prise en main d'une équipe par un manager, la gestion d'un projet dans une entreprise ou la création d'une société. Dans tous les cas, il faut dans un premier temps présenter la situation (exposition), puis agir après la définition de l'objectif (deuxième acte - développement) et enfin faire le bilan après la réussite ou l'échec de l'objectif fixé (épilogue). Là encore, si le cinéma est un art populaire et quel que soit le sujet abordé, c'est qu'il permet, par la forme de son récit, de nous repérer facilement en transposant les situations portées à l'écran avec celles vécues dans la vraie vie. Ce schéma narratif classique nous met en situation de comprendre les enjeux du héros et donc de réfléchir avec lui.

Et si nous étions dans la voiture?
3.Comprendre le mécanisme d'identification projection: une clé pour le management
C'est parce que le cinéma, plus encore que toute autre forme narrative, nous permet de réfléchir avec le héros qu'il est une source et un support de formation. Source dans le sens où il donne des exemples de situations infinies et parfois invraisemblables. Pour la première fois de cet article, j'évoquerai un film. Dans Jurassic Park, il est évident que l'histoire n'est vraisemblable que parce qu'il y a eu une exposition de la situation s'appuyant sur une réalité scientifique connue, l'existence de l'ADN, une méconnaissance globale et générale des spectateurs de la période préhistorique et enfin le goût de plus un plus fort pour découvrir ce que l'homme ignore encore (que ce soit la vie extra-terrestre, l'au-delà et le voyage dans le temps). L'objectif du film n'est pas de réussir la création d'animaux à partir d'ADN, ceci est un fait donné d'emblée. Il est de survivre à une situation dont le contrôle a été perdu face à un danger, des monstres préhistoriques, dont la puissance et la dangerosité ont mal été évaluées. Or cette situation est bien celle qui crée un lien avec le spectateur. Comment se sortir d'une telle situation peut être transposée soit dans la vie domestique mais encore plus dans la vie professionnelle.
Le spectateur devient donc, comme le disait Edgar Morin dans Le cinéma ou l'homme imaginaire (1956) acteur du film en participant affectivement à ce qui se passe à l'écran. Et de réagir en fonction des personnages présentés. Ceux avec qui il peut avoir de l'empathie et ceux dont le sort importe finalement peu voire dont on espère qu'ils disparaissent de l'histoire. Cela entraîne donc une identification au personnage, identification à la fois éphémère, le temps du film, mais aussi psychologique, morale et relationnelle.
Le film propose des situations de bien et de mal. transposé dans une formation professionnelle, cette classification des valeurs du bien ou du mal permettent justement de voir que ces valeurs peuvent être définies selon des critères communs par tous mais que les contours peuvent être plus nuancés. Comme au cinéma. Pour reprendre Jurassic Park, il est évident que le professeur n'a pas voulu faire le mal. Pourtant, en ne prenant pas tout en compte dans son projet, il a généré une situation le mettant en défaut.
Dès lors, les diverses projections-identifications que les spectateurs pourront se faire aboutiront à des jugements différents autour d'une même morale du film. Ce sont ces appréciations à la fois communes et divergentes des différents spectateurs qui permettent par la suite de mieux saisir les différences individuelles face à des situations données et donc de pouvoir mieux appréhender la gestion d'un groupe ayant une morale commune mais des appréhensions diverses de cette morale.

Conclusion
Le cinéma est donc une source de divertissement populaire dont les chiffres pour l'année 2011, en France tout du moins, montrent l'incroyable attrait. Mais, comme je viens de vous le montrer, il est vrai très succinctement, le cinéma est aussi un matériau de formation inépuisable car il n'est pas de thème que le 7ème art n'ait pas abordé.
Le cinéma permet donc des formations dans tous les domaines qui impliquent les relations humaines, celles qui fixent des objectifs tout en prenant en compte l'autre. C'est vrai pour les managers mais cela l'est aussi pour les commerciaux dont l'objectif est facile à imaginer et qui sont confrontés sans cesse à des situations différentes et à des clients différents.
L'intérêt de la formation par le cinéma est évident car au-delà de ce qui a été dit, il est une approche originale de la formation dans laquelle tout le monde peut se retrouver. A partir d'exercices ludiques qui permettront de découvrir comment mieux appréhender cet art de masse populaire, les personnes en formation pourront dans le même temps à la fois mettre en avant leur propre expérience grâce aux situations analogues que propose le cinéma, trouver des solutions, seuls ou avec l'aide des autres.
Mais surtout, et l'intérêt du cinéma prend ici toute sa dimension, la formation se réactivera à chaque fois que les personnes verront un film. En déclenchant chez elles des mises en situations mais cette fois, de manière consciente, c'est toute la formation qui est alors automatiquement réinvestie.

Si une telle expérience vous intéressait, n'hésitez pas à me contacter.

A bientôt

Lionel Lacour

lundi 9 janvier 2012

Séances lycéennes Rencontres Droit Justice et Cinéma 2012

Bonjour à tous,

pour cette 3ème édition, présidée je le rappelle par Yves Boisset, les Rencontres Droit Justice Cinéma proposent 4 films pour le public lycéen.
Le 13 mars 2012, l'Institut Lumière projètera à 10h Le prix du danger de Yves Boisset. Une manière intéressante de montrer comment ce réalisateur avait adapté une oeuvre au cinéma dans les années 1980 en montrant les dérives de la programmation des jeux télévisés dans le but d'attirer des spectateurs en masse en faisant appel aux instincts les plus primitifs et les plus bas de l'Homme. A l'heure de le soit-disante "télé-réalité", proposer ce film aux lycéens s'imposait pour les organisateurs des Rencontres.

Le 14 mars 2012 sera projeté au Comoedia à 10h le film de Jonathan Demme Philadelphia. Outre la possibilité de comparer le droit américain et français, notamment lors d'un procès, il s'agira bien sûr d'évoquer le droit du travail et la discrimination au regard de sa sexualité ou de la maladie.

Le 15 mars 2012, l'Institut Lumière proposera deux projections de The Social network de David Fincher. Une séance à 10h et une autre à 14h30. Réalisé en 2010, ce film aborde un thème si cher aux jeunes générations: les réseaux sociaux. Mais avec une lecture plus large que la seule possibilité de communiquer via internet. L'approche juridique portera notamment sur le droit à la vie privée, la propriété intellectuelle mais aussi le droit qui régit la création d'entreprise. Une manière décalée donc de faire du droit!

Enfin, pour clore cette semaine des Rencontres Droit Justice Cinéma, le Comoedia accueillera une séance le vendredi 16 mars 2012 à 10h avec la projection du film de Philippe Lioret tourné en 2011: Toutes nos envies. Philippe Lioret, qui nous avait fait l'amitié de venir à l'édition 2011 a réalisé ce film à Lyon en croisant une histoire mêlant un et une juge et une affaire de surendettement. Celle-ci aboutit à une présentation tout au long du film de la réalité de la situation économique des victimes des crédits de tout genre et de la crise qui touche les plus fragiles de la société.

Cette programmation s'accompagne pour les classes d'un dispositif pédagogique avec une intervention quelques jours avant la projection dans les classes par des étudiants de l'IDAC, Institut de Droit de l'Art et de la Culture de l'Université Jean Moulin Lyon 3, une fiche pédagogique et un débat à l'issue de la projection avec des étudiants. Ceux-ci sont en Master 2 Droit du Cinema, de l'Audiovisuel et du Multimédia.

Pour toute demande d'information complémentaire, n'hésitez pas à me contacter (voir la rubrique contact pour les coordonnées).

A très bientôt

Lionel Lacour

mardi 3 janvier 2012

Rosemary's baby: le triomphe du mal?

Bonjour à tous,

Rosemary's baby a marqué l'année 1968 en révélant que Roman Polanski était définitivement un immense réalisateur, confirmant son talent après Répulsion ou encore Le bal des vampires. En adaptant la nouvelle d'Ira Levin, il imposait sa manière de filmer les huis clos et un genre qui allait inspirer bien des films. Tout a été dit sur Rosemary's baby, de ses révélations sur les communautés sataniques aux affirmations les plus farfelues, comme celle qui prétendait que Polanski aurait lui-même pactisé avec le diable pour réussir à Hollywood. Il faut dire que les faits ont permis d'alimenter ces interprétations, de l'assassinat de Sharon Tate le 9 août 1969 par un illuminé du nom de Charles Manson, chef d'une secte satanique à celui de John Lennon le 8 décembre 1980 par Mark Chapman, un autre illuminé proche de groupuscules sataniques et devant le Dakota, immeuble appelé Bramford et lieu principal de l'intrigue de Rosemary's baby.

jeudi 22 décembre 2011

Les quatre cents coups: témoignage sur l'enfance des années 1950


Bonjour à tous,

revoir Les quatre cents coups de François Truffaut est toujours un plaisir. A chaque fois, on peut y découvrir la grâce et la fraîcheur de Jean-Pierre Léaud - Antoine Doinel et se dire que le cinéma français avait devant lui un surdoué du jeu. Ce qui m'intéressait quand je vis pour la première fois ce film, c'était ce rapport aux parents et à l'école. Le ressenti de l'autorité adulte sur les adolescents n'était, me semblait-il, pas si différent de ce que je pouvais ressentir moi-même. Pourtant, en revoyant ce film adulte, mon regard diffère sur le film. Comme je le dis régulièrement, le cinéma se regarde toujours au présent du spectateur. Et il faut se rendre à l'évidence. Le film de Truffaut permet une comparaison avec aujourd'hui qu'un documentaire aurait du mal à exprimer avec autant de netteté.




1. S'opposer à l'autorité des adultes?
Dès le début du film, Antoine est confronté à l'autorité du monde adulte exercé sur les enfants en général. Le maître puni sévèrement Antoine pris en train de faire passer une image de pin-up à un de ses camarades. La sanction - au piquet derrière le tableau noir - nous est présentée particulièrement injuste car Truffaut nous met dans la connivence. Ce n'est pas Antoine qui a initié la circulation de l'image. Il n'en est que le relai. Mais le sentiment du spectateur n'est lié qu'au point de vue que nous impose le réalisateur. Si le personnage principal avait été l'enseignant, il n'aurait pas semblé si injuste que l'élève se faisant prendre soit celui qui doit être puni. Ce maître n'est d'ailleurs pas si injuste dans l'âme. En effet, alors que des bruits perturbent son cours sans qu'il puisse identifier l'origine, il menace les élèves d'une punition collective: "vous allez me forcer à être injuste". La rigidité de l'école qui formate les élèves pour les rendre docile est évidemment un motif de rébellion pour les élèves de la classe d'Antoine comme, Truffaut l'imagine certainement, pour tous les autres. Certains ne s'en privent d'ailleurs pas dès qu'ils le peuvent. C'est ainsi que les cours de gymnastique se passant dehors sont un moment propice pour tous d'abandonner le professeur qui ne se rend compte de rien. Quand René, le camarade d'Antoine, propose une journée d'école buissonnière, ce dernier n'hésite pas longtemps, préférant le cinéma aux cours de ses différents maîtres. Mais tous les élèves ne semblent pas être en rébellion contre le système. Certains "collaborent" même avec lui, dénonçant sournoisement Antoine auprès de ses parents, se souciant de sa santé après son absence de la veille.
Pourtant, les héros ne sont pas tant en rébellion que cela vis-à-vis de l'autorité adulte quelle qu'elle soit. Antoine met le couvert avant l'arrivée de ses parents le soir et descend la poubelle après chaque repas avant de se coucher. S'il fugue, c'est moins par opposition à ses parents que pour ne pas risquer de se faire punir. Ce qui ne l'empêche pas de retourner à l'école! Et quand sa mère le récupère après sa première fugue, il s'excuse de son attitude en classe sans remettre en question son maître. D'ailleurs, René ne lui avait-il pas dit que le métier du maître était de punir les élèves qui désobéissaient?
De fait, le jeune Antoine évolue dans un monde dont les règles semblent être figées et acceptées par tous.




2. Une société en mutation
Antoine n'est pourtant pas un enfant comme un autre. Au fur et à mesure du film, le spectateur comprend que son père n'est pas son père naturel dont nous ne saurons rien. Celui que nous connaissons lui a "donné un nom"! Cette phrase peut étonner notre société de ce début de XXIème siècle tant le nombre de femmes ayant des enfants sans être mariées, voire sans ne plus vivre avec le père est fréquent. Sa mère puis plus tard le juge des enfants évaluent grandement le geste du père de substitution. La morale sur cette question est régulièrement évoquée. Elle correspond justement à une société très conservatrice et chrétienne. Un enfant doit naître d'une union "légitime" au risque de connaître les quolibets, qu'ils soient destinés à la "fille mère" ou à l'enfant. Or cette société est en véritable mutation tant du point de vue économique que de celui des moeurs. Une scène est particulièrement caractéristique de cette double mutation. Le repas pris en famille évoque à la fois les vacances, les colonies pour les enfants et montre une bouteille de liminade de marque "Lutetia". Nous sommes loin du lendemain de la guerre, des tickets de rationnement et autres restrictions. Le père organise chaque week-end des rallyes automobiles. Nous sommes donc bien dans une société qui s'est enrichie mais qui manque d'aise puisque l'appartement est désespérément trop petit. Durant le repas, le père évoque la future naissance d'un enfant pour la cousine Huguette. La mére répond alors: "4 en trois ans, c'est du lapinisme". Nous avons ici deux comportements démographiques qui traversent la France de l'après guerre. A la fois le "Bébé Boum" qui a entraîné une augmentation des familles nombreuses. Mais aussi, de par la réaction de la mère, un héritage du malthusianisme si présent en France. Sa réaction violente laisse donc aussi penser que les naissances peuvent se contrôler par divers moyens. Ainsi, nous apprendrons au cours du film que le jeune Antoine a failli ne pas naître puisque sa mère voulait se faire avorter, moyen de contraception "a posteriori" et bien sûr encore illégal en 1959, date de sortie du film, et donc dans les années 1940 à la naissance d'Antoine.
Cette société de consommation, représentée par les congés ou encore la bouteille de limonade de marque va se décliner tout au long du film, sous divers aspects. Ce sont d'abord les loisirs qui sont présents dans le film de Truffaut et en premier lieu, le cinéma qui fait rêver les enfants. C'est la consommation d'objets merveilleux comme des lunettes très particulières qu'un des camarades a pu s'acheter. Ce ne sont pas des lunettes de vue. Il s'agit bien de gadget inaccessible quelques années auparavant encore et qui seront l'objet de la vengeance des écoliers contre le propriétaire de dites lunettes puisqu'il fut le dénonciateur d'Antoine Doinel. C'est aussi la fête forraine avec ses attractions qui font s'évader de leur quotidien ceux qui y participent. Ainsi Antoine s'amuse-t-il terriblement dans cette centrifugeuse qui lui permet de s'affranchir de la pesanteur et de se sentir libre de ses mouvements, à l'inverse de ce qu'il peut vivre chez lui ou à l'école. Ce sont aussi les plaisirs nocturnes et érotiques que nous apercevons lorsqu'Antoine est emmené par la police.
Enfin, cette société se déchristianise malgré les reliquats de l'autorité de l'Eglise. Lorsque Antoine et René se moque d'un ecclésiastique en soutane en lui disant "bonjour Madame", l'irrespect peut apparaître bien mineur dans la France du XXIème siècle. C'était bien plus provocateur en 1959. Mais cela montrait que les enfants n'avaient plus peur de se moquer d'un représentant de l'Eglise. C'est que la morale chrétienne est baffouée pendant tout le film, et en premier lieu par la mère d'Antoine. En effet, celle-ci trompe allègrement son mari, jusqu'à se faire surprendre par son fils. Or jamais dans le film il n'y aura un reproche fait pour cette tromperie. Jamais Truffaut ne mettra en défaut cette femme par son mari. S'il a des doutes, cela ne se manifeste que par des disputes stériles. Et si elle reconnaît à la fin du film à Antoine que toute sa vie elle a été mal jugée par "les autres", elle affirme avoir toujours su vivre avec. Il n'y a donc aucun message moral chrétien dans le film condamnant la mère.


3. Des adultes miniatures
Si la société est en mutation économique ou dans ses mœurs, en revanche, le rapport aux enfants semble être assez conservateur. Même si le père peut âpparaître "moderne" en plaisantant facilement avec son fils qui n'est pas son fils naturel, en cuisinant en attendant le retour de sa femme du travail, en reconnaissant au commissaire laisser des libertés à son garçon, il n'en demeure pas moins un père qui peut avoir recours à la violence physique et publique quand il gifle Antoine pour ses mensonges, et ce dans l'école, devant tous ses camarades.
L'éducation relève des responsabilités très précoces données aux enfants qui peuvent apparaître excessives aujourd'hui. C'est à Antoine qu'est confiée la liste des courses qui doivent être faites après sa journée de classe. C'est Antoine qui descend tous les soirs la poubelle et qui débarrasse la table. Ces "corvées" peuvent sembler bien peu de choses. Mais le film progresse en montrant justement que les responsabilités qui incombent à Antoine augmentent et qu'à mesure, ses aspirations à plus de libertés augmentent aussi, et avec elles, ses "bêtises". Quand il commet son délit le plus important, le vol de la machine à écrire dans l'entreprise de son père, il confie son vol à un adulte qui essaie de l'escroquer. Mais il se comporte comme un adulte pour récupérer sa machiine. Dans l'incapacité de la vendre, il décide alors de la rapporter avec son ami René. Pour ne pas être pris, il se met un chapeau pour ressembler à "un nain" (sic). Il devient de fait non plus un enfant, c'est à dire un "petit d'homme"  mais un "petit homme" qu'il n'est pourtant pas!
Son arrestation par un employé le conduit à être amené par son père à la police. L'autorité parentale disparaît derrière l'autorité institutionnelle. Or son délit est bien léger à bien y regarder puisque la machine à écrire est restituée le jour même. Mais la sanction est terrible. Les plans sur son enfermement dans le commissariat au milieu de prostituées ou d'autres vrais bandits marquent un véritable choc entre son statut d'enfant et celui qui lui est conféré par les autorités policières: il est un délinquant. Or ce sentiment d'injustice que nous ressentons est dû au travail de Truffaut. Il nous a montré un jeune garçon qui fait des blagues potaches d'enfants. Il tire à la sarbacane, il dessine des moustaches à une image de pin-up, il vole une bouteille de lait pour se nourrir lors de sa fugue. Il n'est qu'un enfant déboussolé. Mais la société traite ces gestes d'enfants comme des gestes de précriminels. Il n'y a aucune empathie, aucune psychologie enfantine. Il sera traité comme un danger, mis dans un centre surveillé dans lequel se trouvent d'autres jeunes de son âge. Truffaut choque même les spectateurs en montrant de très jeunes enfants mis en cage comme des animaux. Ce n'est que la conclusion de la procédure judiciaire qui l'a amené à ce centre. Prise d'empreintes et de photos, tel un criminel. Au détour d'un plan sublime, Truffaut nous montre Antoine derrière la grille de la porte arrière d'un fourgon de police regardant les lumières de la ville, une larme d'enfant coulant sur sa joue.

Dès lors, la dernière séquence ne peut être qu'un appel à la liberté et au refus d'une société si violente pour une jeunesse que l'on traite comme des dangers en puissance pour la société. Courir vers la mer c'est aller vers un espace de liberté absolu.


Conclusion
Truffaut réussit pour son premier film à évoquer cette société française et ses tiraillements en pleine période de croissance et de progrès mais pourtant encore tellement accrochée à des valeurs et des principes de plus en plus dépassés. La Nouvelle vague n'allait pas faire autre chose que de remettre en cause cette société archaïque et dénoncer en même temps le cinéma qui la représentait voire la magnifiait, "le cinéma à papa".
Godard dans A bout de souffle ou Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7 mais encore Louis Malle dans Le feu follet mettront autant de force et de talent à critiquer l'ancienne société et à annoncer une nouvelle société, celle qui sera réclamée en mai 1968.

A bientôt

Lionel Lacour