vendredi 14 septembre 2012

Alyah: pas un film communautariste

Bonjour à tous,

Une fois n'est pas coutume, je voulais proposer sinon une critique de film, du moins une approche pas seulement historienne ou sociétale d'un film. En effet, le 19 septembre sortira le film Alyah réalisé par Elie Wajeman. Pour son premier long-métrage, il semble aborder un thème très identitaire puisque le titre évoque le terme correspondant au départ des juifs d'Europe ou d'ailleurs pour rejoindre Israël, Terre promise patrie des Juifs du monde entier.
Avec un tel point de départ, le risque était grand de tourner vers un film centré sur la communauté juive de France et de Paris, même si le film est pour bonne partie tourné dans le Grand Lyon avec une co-production de Rhône-Alpes Cinéma. Il était à craindre les clichés sur cette communauté, dans la caricature type La vérité si je mens, ou dans l'apologie de cette communauté qui a souffert et qui souffre encore.
Or, Elie Wajeman ne s'intéresse guère à l'aspect religieux de l'Alyah. Au contraire, il montre combien ces départs de Juifs vers Israël peut être motivé par d'autres considérations, et notamment celle de vouloir tout simplement changer de vie, comme on migrait aux USA au XIXème siècle ou encore aujourd'hui.


Bande Annonce:


 Isaac, Cédric Kahn, et Alex, Pio Marmaï,
sur la tombe de leur mère
Une communauté juive pas si uniforme
Une des premières qualité du film est d'enfin montrer une communauté présentée souvent comme une et indivisible. Les Juifs ne sont pas LES JUIFS. Si certains sont d'une piété indéniable, d'autres, comme les deux héros, Alex (Pio Marmaï) et Isaac son frère aîné (Cédric Kahn pour la première fois devant la caméra).
Si l'ex d'Alex travaille dans une école juive, elle ne comprend pas ce besoin de faire son alyah. Pas de tropisme israélien donc pour tous les Juifs de France, même si Nathan le cousin d'Alex a fait cette migration.
Même l'union familiale sacrée entre les Juifs est remise en cause dans le film. On peut être frères, s'aider - dans le film, c'est Alex qui aire Isaac! - sans pour autant être régulier avec lui. Isaac n'hésite pas à voler Alex pour payer ses dettes auprès d'un truand. Quant à leur père, il s'est éloigné d'eux, vraisemblablement après la mort de leur mère.
C'est enfin une non revendication de la judaïté d'Alex qui montre que cette identité ne passe pas par l'ADN mais bien par une pratique culturelle. Quand Alex veut faire son Alyah, il doit s'imprégner d'une culture juive qu'il ignore, à commencer par la langue d'Israël, l'hébreu.

Cédric Kahn, bluffant en frère minable et parasite
Une image différente du monde interlope
Isaac fait des trafics en tout genre qui le conduisent à trahir son propre frère en lui volant l'argent prévu pour son départ en Israël. En effet, Alex doit rejoindre Nathan en s'associant à lui à un projet de restaurant. Il doit apporter 15 000 euros. Or Alex n'est finalement pas beaucoup plus moral que son frère puisqu'il n'est qu'un dealer de shit. Pour rassembler la somme, il passe par le trafic de cocaïne. Cette vision classique de l'enrichissement par le deal n'est pas une nouveauté en soi. Des films noirs américains aux polars français des années 1950, cette thématique a été tant de fois portée à l'écran que dresser la liste des films serait fastidieuse. Mais ce que montre Wajeman est la facilité de ce trafic. Facilité par l'approvisionnement, facilité dans l'écoulement. Mais plus que cela, son héros ne répond pas au cliché du dealer et les consommateurs se recrutent dans toutes les strates de la société. Le trafic se fait partout, dans une cage d'escalier, dans un appartement lors d'une fête entre amies, au restaurant... Le dealer n'est pas un junkie mais a un objectif personnel: il veut aller en Israël. Le paradoxe est donc là, dealer le plus possible pour aller en terre sainte! Dans une esthétique très différente, Wajeman rejoint de ce point de vue là le héros de Ken Loach dans Sweet sixteen qui dealait pour acheter un mobil home à sa mère quand elle sortirait de prison. Mais Alex ne deal pas de manière altruiste. L'argent accumulé doit lui permettre de fuir un univers dans lequel il ne contrôle finalement rien.

Jeanne, grande Adèle Haenel et Alex:
une histoire d'amour sans clichés et beaucoup de finesse.
Loin là encore des clichés des trentenaires ne sachant pas quoi faire de leur vie et avec lesquels le spectateur devrait compatir, Jeanne pose tous les éléments qui ont jalonné le film et qui constituent autant de freins à l'accomplissement de celui qu'elle aime. Par la magie de cette séquence, Elie Wajeman démonte à la fois les schémas classiques de ces crises existentielles irrémédiables des films français habituels et qui se résolvent souvent de manière artificielle, la plupart du temps, le héros ou l'héroïne trouve enfin l'amour, clé de ses problèmes. Mais surtout, il permet à son personnage de se donner une ambition en cessant d'être le velléitaire qu'il a toujours été. Son Alyah n'a rien d'une migration pour une patrie ou pour une foi chevillée au corps. Ce n'est finalement même plus une fuite, mais la volonté de repartir sur de nouvelles bases. Même si cela doit passer par un séjour à Tel Aviv dans un pays dont il ne connaît toujours pas la langue! La séquence finale est reliée à celle dans laquelle Jeanne lui fait l'analyse de sa vie tout en lui déclarant sa flamme, mais à la différence de la plupart des films français, le réalisateur nous donne une fin à la fois logique mais qui nous laisse envisager bien des possibilités sur l'avenir d'Alex, en Israël ou en France, sans ou avec Jeanne....

Bref, un film rafraîchissant d'un nouveau réalisateur qui a écrit un scénario à la fois ambitieux mais ancré dans le réel, qui, sait traiter différents thèmes de manière subtile en se servant d'un prétexte qui aurait pu être un chausse-trappe. S'il crée de l'empathie pour le personnage d'Alex, celui-ci n'est jamais présenté comme un héros. Au contraire, il n'a jamais cessé de mentir à tout le monde, à commencer sur ses activités illégales, sachant que ce qu'il fait est mal mais le faisant quand même. Ajoutez à cela une distribution parfaite qui joue juste les situations sans jamais avoir recours à des artifices de jeu - on en hurle pas dans Alyah - et une mise en scène sobre ne recourant pas à des facilités de plus en plus fréquentes hélas dans la production française - on appréciera que les scènes d'amour n'aboutissent pas inexorablement à des scènes de sexe, ce qui augmente la sensualité des relations entre Alex et Jeanne - et vous aurez droit à un film français ambitieux et plus qu'intéressant.

À bientôt

Lionel Lacour

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