très régulièrement, les spectateurs de films évoquent, parlent ou critiquent les "happy end" des films. Ce terme est ce qu'on appelle un faux ami. En traduisant littéralement, cela donne donc "une fin heureuse, joyeuse". Cette traduction correspond souvent à la réalité de la traduction, avec des films divers et notamment des films pour la jeunesse dont l'objectif serait de fixer sur pellicule (ou numérique maintenant!) la morale de la société. Le film La boum de Claude Pinoteau en 1981en est un exemple, même si la famille présentée était déjà différente de celle modèle des années 1960 en France. Pourtant, cette expression est plus complexe qu'il n'y paraît. Quand le code Hays fut mis en place, le "happy end" ne correspondait pas seulement à terminer un film par une fin "heureuse"mais à une fin morale, c'est-à-dire à une fin dont les représentants de l'ordre, de la morale et du bien l'emportaient sur les autres, les bandits, les dépravés et autres contrevenants aux bonnes moeurs. Cette approche permet alors de mieux saisir l'évolution des sociétés quant à ce qui est représentable ou non.
Respecter le "happy end": pourquoi?
Que ce soient l'URSS ou les USA, la France ou d'autres pays européens, tous ces pays ont eu une production cinématographique qui a suivi cette règle du "Happy end", forcée par la loi, par la règle ou par l'usage. Bien évidemment, les films soviétiques ne pouvaient finir autrement que par une valorisation du modèle communiste dans la séquence finale. La liste des films est assez pléthorique pour n'en citer que quelques uns, du Cuirassé Potemkine en passant par tous les autres chefs-d'oeuvres des années 1920 au film Les moissons et autres films de pure propagande des années staliniennes et de ses successeurs. Le cinéma hollywoodien ne fut pas en reste. Le code Hays des années 30, le soutien des majors durant la seconde guerre mondiale puis la guerre froide, et notamment pendant le maccarthysme, ont eu pour conséquence de voir triompher le bien défini par l'establishment le plus souvent puritain et anti-communiste.
En France, le cinéma n'est pas beaucoup moins éloigné de cette ligne du respect de l'ordre dans ses films. Les gangsters se font tuer ou arrêter par les policiers. Et si parmi ces derniers il y a des traîtres, nulle rédemption possible. Un flic pourri n'est pas récupérable.
Le respect du "happy end" classique dans les films est donc un signe évident du respect d'un ordre établi et des valeurs qu'il est sensé représenter pour la société. Au contraire de la littérature, le cinéma est jugé comme étant plus nécessaire à contrôler dans le message qu'il véhicule. La nature même de la création cinématographique permet davantage de contrôle que pour d'autres créations artistiques. Le financement provenant de sociétés privées ou d'Etat, celles-ci veillent scrupuleusement à ce que le message ne soit pas subversif, ou en tout cas, le moins contraire à ce qui correspond à leurs valeurs.
Nombre de films qui ont pu apparaître comme des contestations de l'ordre établi ne font cependant que conforter cet ordre par un "happy end". Parmi les films les plus célèbres dans ce cas se trouve Metropolis dont la fin contraste singulièrement avec le discours global du film. Le patron de l'entreprise finit bien par serrer la main du mouvement contestataire ouvrier, laissant augurer un avenir meilleur sans remettre finalement en cause l'ordre établi.
Curd Jurgens veut Brigitte Bardot dans son lit, mais elle est mariée à Jean-Louis Trintignant. Un scénario torride pour une fin malgré tout très morale! |
Même dans le film Le cave se rebiffe en 1961 dont les héros sont des truands faisant de la fausse monnaie, le "happy end" est en quelque sorte sauvé. En effet, si deux d'entre eux réussissent à récupérer l'argent - vrai - en échange de celui qu'ils ont imprimés - et donc faux! - le film se finit tout de même par un carton rappelant que tous les protagonistes de l'histoire furent arrêtés par la police!
Il est donc évident que le cinéma, même "libre" de pression d'Etat, est un art dont la propension à remettre en cause des valeurs d'ordre public ou morales est assez conditionné à une évolution tendancielle de l'opinion publique. Les films - et même les séries - destinées aux adolescents peuvent de prime abord être perçues comme contraires à la morale et aux représentations traditionnelles du respect des valeurs notamment familiales. Or il est très rare que la morale de ces films - et donc de ces séries - ne revienne pas à un retour vers un ordre établi, quitte à voir les parents ou les institutions mises en causes dans le film faire un pas vers les jeunes. C'est peut-être ce qui amènera au qualificatif de progressiste!
Le "happy end" au sens du respect des valeurs de l'ordre public traditionnel est donc un élément identifiant fort pour analyser une société, les valeurs qui l'animent et les marges d'évolution possible.
Les deux vagabonds héros du film Les temps modernes de Charlie Chaplin |
Le cinéma, même américain, n'a pas attendu la fin du code Hays pour remettre en cause l'ordre établi et encore moins pour finir par une absence de "happy end". En 1937, Chaplin dans Les temps modernes n'était-il pas beaucoup plus subversif que Fritz Lang dans la conclusion de son film. Quand Fritz Lang faisait se serrer les mains du patron et de l'ouvrier, Chaplin fait errer les deux amants vagabonds et clochards rejetés de la société à laquelle ils aspirent pourtant dans une séquence mémorable. Pas de "Happy end" ici puisque l'ordre établi et les valeurs du modèle américain sont clairement dénoncés. Loin de permettre à tous de pouvoir devenir quelqu'un, le modèle américain vu par Chaplin est un modèle qui exclut les plus modestes de l'illusoire "rêve américain". Le film fut néanmoins un succès, peut-être parce que Charlot était un marginal pour la société américaine et que finalement, il n'était pas un personnage dans lequel l'Américain moyen pouvait vraiment se projeter.
Ce ne fut pas le cas dans le film de Renoir La règle du jeu. En 1939, le film explose la société française, montrant qu'elle reste une société hiérarchisée malgré la république et que les valeurs qui l'animent sont finalement loin d'être une réalité. L'antisémitisme touche tout le monde, y compris le petit personnel! Mais surtout, alors qu'il y a eu un meurtre, celui-ci sera finalement couvert par un témoignage affirmant que ce fut un accident. Ainsi, l'ordre public ne pouvait être rétabli puisque le crime n'était pas puni, sous couvert de tas de bonnes raisons soi-disant morales elles-mêmes. C'est bien ce que dénonçait d'ailleurs le réalisateur. Les personnages incriminés, les héros du films auxquels les spectateurs s'étaient attachés s'en sortaient, ce qui pouvait constituer un "happy end" au sens commun mais pas au sens réel. Les spectateurs français étaient donc mis face à une réalité dans laquelle ils pouvaient certainement se projeter, il suffit de se souvenir de la tirade de Jean Renoir affirmant que tout le monde mentait depuis 1936, mais à laquelle ils ne pouvaient pas adhérer. Accepter cette fin, c'était accepter ce que disait le film. Que le criminel, le fut-il par accident, soit arrêté et condamné, aurait conforté les spectateurs dans l'illusion de leur société. Le film fut un échec malgré ses qualités indéniables. Mais la remise en cause du "happy end" n'était pas acceptable. Pas encore.
Les échecs, ou les succès, des films ne s'explique pas seulement par le respect ou non du "happy end". Le non respect de ce dernier doit, pour être accepté, renvoyer à une forme proche de la parabole, comme peut l'être Charlot, ou bien correspondre à une évolution de la société à qui est destiné le film.
La fin du "happy end"?
Il est de coutume de dire que le premier film américain à ne pas avoir respecté le "happy end" est le film Guet apens de Sam Peckinpah avec Steve Mc Queen et Ali Mc Graw. Ces hors la loi, poursuivi par la police réussissent à s'en sortir s'en avoir à rendre des comptes à la justice. Depuis ce film, le cinéma américain n'a plus été inhibé, concluant régulièrment par des fins dans lesquelles des personnages ayant agi en contradiction avec l'ordre établi n'ont pas été inquiétés par ce dernier, voire ont pu prospérer. C'est par exemple le cas du héros de Impitoyable de Clint Eastwood en 1992 qui après avoir tué plusieurs individus devient un homme d'affaire, c'est tout du moins ce que dit le carton final du film.
Du côté français, le non alignement sur le "happy end" classique s'observe aussi dans bien des films. Yves Boisset, dans Dupont Lajoie en 1975 ou dans Le prix du danger renonce au "happy end" de manière très déconcertante. Dans le premier cas, le violeur d'une jeune fille interprété par Jean Carmet laisse s'organiser et même participe à une ratonnade sur des travailleurs immigrés clandestins accusés d'avoir perpétré ce crime. Il s'en sort impuni par la justice française. La séquence finale voit un des rescapés du lynchage venger son frère en tuant le vrai violeur. Ce crime ne peut être impuni non plus. Mais en finissant sur ce meurtre, Boisset ne prône pas la légitime défense mais dénonce le racisme et une société qui est incapable de faire respecter l'ordre, couvrant des crimes croyant maintenir un ordre social mais générant une violence incontrôlable. Dans Le prix du danger en 1983, c'est une chaîne de télévision qui crée un jeu dans lequel les participants acceptent d'être des chasseurs ou d'être chassé contre un pactole. Le film dénonce bien évidemment les dérives possibles de la télévision. Mais surtout, et alors que des meurtres sont perpétrés, les règles du jeu dénoncées et les tricheries démasquées, le candidat interprété par Gérard Lanvin est finalement mis en hôpital psychiatrique. Le jeu télévisé est quant à lui maintenu et même développé sans que les autorités de l'Etat n'interviennent. Cette absence de "Happy end" était plus acceptable pour la société que pour La règle du jeu car le film se voulait être de l'anticipation dans un pays imaginaire. La morale contraire à la morale de l'ordre établi était acceptable car elle ressemblait finalement à celle d'un signal d'alarme contre une telle évolution de la télévision et pour laquelle la majorité des spectateurs pouvait se sentir impliquée en refusant justement une telle dérive.
"Happy end" et "happy end": la question de l'empathie
Si le "happy end" est plutôt la règle dans les films, celui-ci doit donc se distinguer par plusieurs formes. Le "happy end" conventionnel dans lequel les héros représentent le bien et la morale l'emportent sur ceux qui n'agissent pas en conformité avec l'ordre établi et qui sont punis. C'est le principe de Robin des Bois ou de Zorro. D'autres films peuvent laisser l'illusion d'un "Happy end" parce que les héros du film réussissent alors même qu'ils sont des bandits. Les tontons flingueurs relèvent de ce registre, comme Guet apens cité plus haut.
Enfin, vous avez des films dont les héros sont des hors la loi ou des êtres foncièrement mauvais mais qui, par le récit et la mise en scène, génèrent en vous une certaine emapthie. C'est le cas de Bonnie and Clyde, Easy rider et même plus récemment La chute dans lequel le personnage de Hitler a une approche plus humaine qu'abituellement. Pourtant, la fin les condamne, dans les cas cités par la mort, respectant le principe du "happy end".
Il se peut parfois que deux "happy ends" soient possibles. C'est le cas des Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang. Ce dernier voulait que son héros, Mr Fox interprété par Stewart Granger laisse un jeune héros en mourant sur une embarcation en pleine mer. Fox était un trafiquant et en mourant, il était finalement puni par une morale supérieure à laquelle il se soumettait, laissant le jeune garçon désormais libre. Le "happy end" était dans la morale même si le héros pour lequel le spectateur avait de l'empathie devait mourir. Les studios l'obligèrent à réaliser une autre fin en ajoutant une séquence dans laquelle le jeune garçon qui a hérité de la propriété de Fox, annonce qu'il attend le retour de son ami, une sorte de père de substitution. Avec cette fin, le "happy end " est différent. Il laisse planer un suspens sur la mort de Fox. Mais surtout, il consolide l'idée très conservatrice d'une cellule familiale forte, fut-elle adoptive, liant le fils à son père, le tout adossé à une logique patrimoniale. Cela fut imposé par les studios à Fritz Lang qui fit de son film celui qu'il détesta le plus de son oeuvre!
Le "happy end" a donc une véritable fonction pour le réalisateur. Il est le garant d'un ordre établi, qu'il soit celui de la famille ou de la société. Rompre avec cet ordre ou le remettre en cause, c'est le témoignage que celle-ci est en mutation et dénonce cet ordre, soit qu'il ne corresponde plus aux aspirations de la population soit parce que l'institution censée faire respecter cet ordre est défaillante.
L'historien, le sociologue, le politique et tous ceux qui doivent analyser l'évolution de la société et consulter son poul devraient parfois prendre conscience que le respect ou le non respect d'un "happy end" dans certains films est souvent révélateur d'une réalité de la société dont la mutation doit être prise en compte pour apporter soit une analyse pour les uns, soit une solution politique pour les autres. Cela peut valoir bien des sondages sur l'état de la société!
A bientôt
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