en 2009, en clôture du festival Lumière organisé à Lyon, Thierry Frémaux avait programmé une version restaurée du chef-d'oeuvre de Sergio Leone: Le bon, la brute et le truand réalisé en 1966. Clint Eastwood, le premier lauréat du prix Lumière avait été très impressionné de voir une salle de plusieurs milliers de spectateurs venus voir ce film. Mais le plus impressionnant était de revoir ce film sur très grand écran. En effet, il est un lieu commun que de dire que le cinéma doit se voir... au cinéma! Or pour un historien qui travaille sur la source filmique, c'est encore plus important. Et pour ce film, celà revêt encore plus d'importance. Car ce film évoque autant la guerre de sécession que l'horreur d'autres guerres, celles que les Européens ont connu durant le XXème siècle.
Bande annonce:
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Ce qui trouble le spectateur tout au long du film, c'est la débauche de moyens militaires des deux camps pour emporter la victoire. Les armements sont des canons de portée plus ou moins longue. L'usage des explosifs est lui aussi généralisé. Quant aux soldats, ils sont extrêmement nombreux à combattre et à mourir. C'est l'ensemble de la population américaine qui est touchée par ce conflit et le film relate cela au travers de nombreuses séquences.
Ainsi les bombardements à coup de canon viennent jalonner les séquences. Et les résultats aboutissent à la destruction des villes visées par les belligérants. On retrouve là exactement la stratégie menée lors de la 1ère guerre mondiale qui par la destruction de villes permettaient aux différents camps d'avancer et de grapiller du terrain sur l'ennemi. Quand vers la fin du film, Tuco (Eli Wallach) se sauve avec Blondin (Clint Eastwood) des hommes de Sentenza (Lee Van Cleef), la ville dans laqulle ils se trouvent n'est plus qu'un tas de ruines, détruite à coups de canons dont on ignore finalement qui est l'ordonnateur de ces tirs: nordistes ou sudistes?
Cette mobilisation totale pour gagner chaque cm² si caractéristique de la 1ère guerre mondiale est représentée dans la séquence dans laquelle un commandant nordiste dit à Blondin et Tuco qu'il doit conquérir un pont face aux Sudistes sans le détruire. Le commandant est lucide face à la folie meurtrière d'une telle stratégie et rêve de faire sauter le pont. Une telle situation peut ressembler à bien des situations que les livres d'Histoire relatent sur la 1ère guerre mondiale. La bataille du chemin des dames ne relevait pas moins d'un jusque boutisme de l'état major français.
Le caractère total de cette guerre se confirme enfin par la mortalité extrême des soldats. Le nombre de morts à la guerre de sécession transparaît à l'écran de très nombreuses fois et de diverses manières. Morts au combats, morts dans un chariot, agonies lors d'étapes des régiments et enfin, dans la séquence finale, par un cimetière militaire circulaire aux tombes innombrables. Sergio Leone, en s'appuyant sur une musique sublime d'Ennio Morricone, nous présente le caractère vertigineux de la destruction humaine de cette guerre. En effet, ce cimetière n'est pas sans rappeler d'autres cimetières. Ceux des deux guerres mondiales dans lesquelles les croix s'alignent de manière géométrique et dont le nombre déshumanise finalement encore davantage le conflit. Chaque mort n'est plus un nom, plus un soldat, mais une simple élément du conflit dont on imagine aisément que peu de personnes viennent se recueillir sur la tombe.
Ce qui n'apparaît pas dans ce film, ce sont les motivations des combattants. Pas de cause anti-esclavagiste pour les nordistes, et l'esclavagisme des sudiste cité une seule fois, par le capitaine yankee ayant pour mission de ne pas détruire le pont. Pas de refus de fédéralisme pour les sudistes. Rien que des motivations bassement humaines, médiocres et liées au profit. Avec tout de même parfois un peu d'humanité. Parfois seulement.
Le film de Leone s'inscrit dans ce que certains appelleront le "western spaghetti". Cette appellation péjorative correspondait à un style nouveau que le réalisateur italien apportait au western. Gros plans des regards en cinémascope, exagération et outrance des gestuelles des hommes se faisant tuer, violence extrême et parfois sadique. Cette dernière caractéristique est d'ailleurs une des critiques les plus fréquentes de ceux qui préféraient le western américain classique. Pourtant, Leone n'était que dans la continuité de John Sturges dans Les sept mercenaires. Et Peckinpah fera bien pire dans ses westerns, notamment dans La horde sauvage. Leone lui rendra d'ailleurs hommage au travers du film de Tonini Mon nom est personne en mettant le nom de Peckinpah sur une tombe et en mettant en scène une autre "horde sauvage"!
Pour revenir au film Le bon, la brute et le truand, c'est bien la violence de chaque instant qui est montrée dans le film. Tuco est un bandit dont les crimes et délits sont récités à chaque arrestation et avant chaque pendaison. Celles-ci sont interrompues par Blondin qui n'hésite pas à tuer dès que ses intérêts pécuniaires sont en jeu. Quant à Santanza, sa cruauté est présentée dès la première séquence dans laquelle il apparaît pour ne jamais cesser. Cette violence extrême montre une société américaine peu pacifiée et baignant dans la mort brutale. Les deux guerres mondiales semblent alors se confondre dans la manière que Leone a de présenter cette violence. Tout d'abord, c'est la prise de conscience de la folie meurtrière, de l'anéantissement des troupes pour rien, pour un pont. Le commandant nordiste est obligé de boire pour ne pas désobéir. Le traumatisme est autant dans le nombre de morts que l'attaque quotidienne provoque que dans la responsabilité individuelle d'envoyer ces hommes à une mort certaine. C'est aussi l'effacement des individus en tant qu'être humains. Ainsi, dans la séquence finale, bien des tombes ont une croix sur laquelle est marqué "unknown", symbole du massacre mais aussi de la non reconnaissance de ceux qui se sont battus. Il est le soldat "inconnu" vénéré dans quelques pays européens au lendemain de la Grande guerre. C'est bien face à cette inhumanité que Leone vient de temps en temps ajouter des séquences apaisantes. C'est Sentenza passant au milieu d'agonisants qui vient les réconforter et leur mettre une couverture dessus, c'est Blondin qui donne un cigare à fumer à un très jeune soldat sur le point de mourir. Une séquence drôle du film vient de fait préfigurer cet aspect de la non reconnaissance des soldats entre eux. En effet, alors que Tuco et Blondin sont à la recherche d'un trésor habillés en soldats confédérés (sudistes), Tuco croit reconnaître au loin un régiment ami. Or, à mesure qu'ils s'approchent, les soldats à la tenue grise révèle leur appartenance au camp fédéré. Leone se sert de cette confusion pour illustrer l'absurdité de la guerre de peuples s'entre-tuant alors qu'ils ne se distinguent finalement que par leur uniforme. Même la langue leur est commune, accentuant encore la folie de cette guerre.
En revanche, ce sont d'autres caractéristiques du film qui renvoient à une autre guerre, la seconde guerre mondiale. En effet, lors de la séquence dans laquelle Sentenza est officier de l'armée nordiste et s'occupant d'un camp de prisonniers, le spectateur n'est pas loin d'y retrouver certains éléments des camps de concentration nazis et de leurs pratiques. La torture que subit Tuco alors même que le capitaine en charge du camp en appelle à l'humanité dans le traitement des prisonniers est à ce titre saisissant. On y voit les motivations de la torture, l'appât de l'or, mais aussi la participation sauvage et aveugle du tortionnaire, tandis que le donneur d'ordre semble parfaitement serein. Cette représentation du nazi dans l'uniforme nordiste était particulièrement provocateur. Et comme les bourreaux SS, Sentenza bénéficie d'un sobriquet, "Angel Eyes". Pour eux qui douteraient de cette analogie, il suffit de revoir Marathon man pour se rappeler que le surnom du nazi interprété par Lawrence Olivier était "L'ange blanc". Tout comme les camps nazis, il y a dans le camp de prisonniers du film un orchestre qui joue une musique pour couvrir les hurlements des torturés. Et un dialogue laisse entendre que ce que subit Tuco n'est pas une première, que bien d'autres prisonniers ont été torturés de la sorte.
Le défi final du film oppose donc les trois personnages dont un représente un personnage hors de la tradition du western, une incarnation du mal absolu: Sentenza. Tuco est l'incarnation du hors la loi traditionnel des films de westerns vu comme une caricature et comme une sorte de personnage en fin d'existence dans la société. Blondin n'est pas moins un bandit. Il tue à ses heures si besoin. Il est le "Bon" bien que ses méthodes ne respectent qu'une loi, la sienne. Il n'est pas étonnant que le premier soit tué, que le deuxième soit manipulé et de fait ridiculisé et que le dernier soit celui qui triomphe. Mais la morale de Leone est loin d'être optimiste.
Clint Eastwood - Blondin |
En racontant une guerre que finalement peu de réalisateurs ont filmé sous cet angle, Sergio Leone l'Européen, rappelait que les USA avaient connu bien avant les Européens une guerre dite "moderne". Cette comparaison entre Première Guerre mondiale et Guerre de Sécession est contestée par certains historiens comme notamment John Keegan dans son livre La guerre de sécession. Mais bien des aspects communs apparaissent entre cette Civil war (nom américain de la Guerre de Sécession) et les deux guerres mondiales. À commencer par la mort de masse et l'aspect idéologique du combat.
Film anti-guerre donc, mais aussi message aux Américains: non, l'horreur de la guerre totale n'est pas le seul fait des Européens. Le mal peut toucher, a touché aussi les Américains.À très bientôt
Lionel Lacour
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