mercredi 14 avril 2021

"Les Vikings" : manager un groupe, projet collectif ou ambition personnelle?

Bonjour à tous,

En 1958, Richard Fleischer réalise Les Vikings, un film d’aventure époustouflant plongeant dans l’histoire européenne et ses mythes. Il réunit Kirk Douglas et Tony Curtis, deux ans avant leurs retrouvailles dans Spartacus de Stanley Kubrick. Produit entre autres par la Bryna, la société de production de Kirk Douglas (mais non mentionnée au générique), Les Vikings racontent une histoire d’amour autant qu’une histoire de conquête. Mais c’est surtout la question du leadership qui va se poser tout au long du récit.

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Un peuple, trois leaders ?

Au début du film, le leader incontesté est le chef est le Roi Ragnar (Ernest Borgnine). Il est celui qui guide les expéditions de ses Vikings au-delà des fjords jusqu’en Angleterre. Si son fils Einar (Kirk Douglas) est impétueux et prompt à vouloir devenir le chef, il lui reste soumis et obéit à ses ordres. Mais quand Ragnar meurt, il devient le chef de son clan de manière héréditaire, même s’il lui faut s’imposer aux différents hommes qui redoutent justement son côté spontané et personnel. Enfin, Erik (Tony Curtis), est un esclave qui va réussir à se hisser à la hauteur d’Einar en termes d’autorité et de commandement, jusqu’à devoir évidemment s’affronter un jour.

Le concurrent contre qui s’unir

L’objectif présenté dans le film est Morgane (Janet Leigh). Aux mains d’Aella, le roi anglais (Franck Thring), celle-ci est kidnappée par Einar puis libérée par Erik et finalement rendue à Aella. Or celui-ci amputé Erik bien que la lui ayant ramenée et tue Ragnar. Erik décide alors de s’allier à Einar pour récupérer Morgane. Or Einar la désire aussi. Ainsi, l’objectif commun est de mettre en sourdine les différends qui séparent Einar et Erik.

Des ressources humaines mobilisées, une dyarchie efficace

Les deux leaders ont manifestement un enjeu personnel dans leur projet. Et celui-ci mobilise des combattants qui n’ont absolument pas cet enjeu. Comme dans une entreprise, les dirigeants sont motivés par un objectif personnel : l’argent, la réussite sociale, l’image de soi. Or tout ceci ne suffit pas à motiver les employés de l’entreprise. Aussi, Erik et Einar vont jouer sur ce qui fédère le clan. Venger Ragnar, leur roi, ciment de cette société viking tué par l’Anglais. Cet enjeu est également commun pour Einar – Ragnar est son père – et pour Erik, qui a livré Ragnar et n’en a eu comme récompense d’avoir la main tranchée par Aella.

Mais ce qui fait que les combattants vont suivre leurs leaders, c’est qu’ils leur reconnaissent des compétences. Einar est un chef de guerre hors pair et Erik détient le secret pour se déplacer par brouillard jusqu’aux rives de l’Angleterre. Et il sait surtout où se trouve le château d’Aella.

Une stratégie qui s’appuie sur les qualités des ressources humaines

Quand les troupes vikings débarquent sur les rives du château emprisonnant la belle Morgane, tourné en Bretagne au château de Fort la Latte, ceux-ci déploient leur savoir-faire. Fleischer filme cela comme si chaque geste était industrialisé et où le geste de chaque Viking était automatisé pour pouvoir transporter le bélier géant qui permettrait d’enfoncer les portes monumentales d’accès au château. De la même manière, les vikings s’équipent et se positionnent de manière semblable afin de faire le siège du roi anglais. Seuls les deux chefs sont extraits de cet ensemble où chaque soldat paraît interchangeable. Quand Erik commande, une rangée de Vikings se relève et tire une salve de flèche puis se baisse en se protégeant de leurs boucliers. Et ainsi de suite. Erik montre une qualité de chef que rien ne laissait supposer a priori, lui ancien esclave. Mais il a su mener à bon port les drakkars, ce qui lui accorde toute crédibilité. De son côté, Einar est un leader qui brille par ses caractéristiques individuelles. Il est moins un organisateur qu’un pionnier. Il improvise pour agir, tout en étant en concertation avec les différentes actions de ses hommes. C’est lui qui permet de faire baisser le pont levis et de pénétrer dans la barbacane ave le bélier. Une fois fait, les qualités des Vikings s’expriment face à leurs ennemis qu’ils trucident allègrement. Quant aux deux leaders, l’objectif est à portée de leur main. Erik se charge d’éliminer Aella, Einar de libérer Morgane du donjon.

La fin du mode projet, retour à la normale ?

Une fois les objectifs atteints, vengeance collective du roi par la mort d’Aella, libération de Morgane pour les deux leaders, les Vikings se retrouvent désormais avec deux chefs, dont le scénario révèle qu’ils ne sont jamais que les deux faces d’une même pièce. Ce que montre le film, c’est qu’Einar a pensé d’abord à son intérêt personnel quand Erik s’est occupé de l’intérêt collectif en éliminant le roi anglais, qui détenait certes la femme qu’il aime mais qui était celui qui avait tué sauvagement Ragnar. Tué Aella était la clé pour atteindre les deux objectifs du projet. Erik a donc exécuté la mission pour se retrouver face à celui qui devient désormais son adversaire. Paradoxalement, le scénario va affaiblir Einar en le rendant, le temps d’un instant, moins égoïste. Ce dont profite Erik pour le tuer et donc devenir l’unique chef. Cette mort est une mort symbolique, comme celle d’un leader qui aurait bien fait son travail, mais dont l’intérêt personnel ne peut être une qualité suffisante pour mener un groupe. La fin du film est de ce point de vue édifiante. Par une cérémonie grandiose et spectaculaire, c’est tout le peuple viking qui rend hommage à Einar en brûlant le drakkar mortuaire où se trouve la dépouille de celui qui fut leur chef, sous les yeux d’Erik, leur nouveau roi.

 

Il y a donc continuité du clan, comme il y a continuité d’une entreprise, une fois le projet fini. Et comme dans une entreprise, certains leaders peuvent être promus ou confirmés, et d’autres remerciés mais ne plus pouvoir continuer de diriger le groupe, sans que cela ne remette en cause leurs qualités – d’où l’hommage rendu à Einar – mais qui ne suffisent pas pour autant à mener les hommes dans la cohésion. Au-delà de la mort d’Einar, Les Vikings illustrent parfaitement que l’ambition personnelle n’est pas en soi un problème dans la direction d’un groupe ou d’une entreprise. Mais elle peut mener à la fin de ce groupe si elle est la seule motivation. En guidant les Vikings vers la victoire, Erik leur a permis de réussir le projet collectif tout en atteignant son projet personnel. Son autorité s’est imposée quand celle d’Einar était remise en cause. Erik est donc un manager moderne !

À très bientôt

Lionel Lacour

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