Durant le 3ème Festival Lumière (du 3 au 9 octobre 2011) sera projeté le film de Richard Fleischer Soleil vert réalisé en 1973. Ce film est un classique du genre "anticipation" comme il y en avait tant en cette période, et qui prévoyaient soit l'apocalypse nucléaire (La planète des singes) soit la fin du monde et la barbarie de retour (New York ne répond plus). Mais ce qui fait la force de Soleil vert, c'est de mettre l'action dans le futur (qui l'est de moins en moins pour nous!) dans un décor loin d'être futuriste, rendant encore plus efficace la critique de la société des années 1970. Certains répondront que c'est l'essence même du film d'anticipation que de parler d'un futur proche pour évoquer le présent du film. C'est vrai. Sauf que plus le film vieillit, plus on réalise que ce film d'anticipation est une critique immuable de notre société de consommation, jusqu'à sembler ne plus devenir un film d'anticipation mais un film d'actualité!
Avant d'entrer dans le coeur du film, il y a toujours un générique qui présente parfois le décor, les personnages ou encore la situation. Celui de Soleil vert présente un contexte historique et économique qui est d'autant plus impressionnant qu'il se construit sur une musique divisée elle-même en trois temps. Le premier est assez lent, illustré en Split screen d'images nostalgique d'un temps passé, fin XIXème début XXème siècles, où les hommes vivaient à la campagne et de l'agriculture, découvraient les joies de la première automobile devenu véritable transport en commun! Puis le deuxième temps musical est marqué par une accélération du rythme correspondant à la marche du progrès du monde occidental. Toujours en split screen, l'écran voit se succéder des photographies de la croissance industrielle des villes américaines, l'explosion démographique et urbaine, la démultiplication de l'automobile entraînant pollution et gestion des carcasses de voitures s'amoncelant en périphérie des villes. Secondes après secondes, les images défilent et montrent une époque qui se rapproche de plus en plus du présent du spectateur, celui de 1973 mais aussi celui d'aujourd'hui, avec des illustrations devenues tellement symboliques comme le masque sur le visage des piétons luttant contre la pollution atmosphérique ou encore des métro bondés remplis par des employés chargés de pousser les derniers voyageurs dans les voitures! Dans le dernier temps musical du générique, les images sont montrées plus longuement, s'accordant à un tempo lui aussi ralenti. Ce moment sert de constat: qu'avons nous fait de notre monde moderne? Les étangs pollués aux hydrocarbures sont suivis de zones de déchets urbains et de décharges sauvages. L'espace naturel disparaît de l'image comme les zones agricoles d'ailleurs. Sur ce générique, aucun nom d'acteur ni de l'équipe technique. Il se compose comme un court métrage en préambule du film lui-même dont le titre apparaît sur la Skyline d'une ville polluée et embrumée, New York: Soylent green en Version originale, "Soleil vert" dans sa version française.
2. La congestion urbaine
Dès la première image, le spectateur se situe par rapport au temps futur annoncé: New York, 2022, soit près de 50 ans après, pour les premiers spectateurs du film. Mais dans seulement à peine plus de dix ans pour nous, spectateurs de 2011!
À cette précision temporelle et de lieu se rajoute un élément démographique: "Population: 40 000 000".
La paupérisation de ces villes provoque alors une ségrégation par classe sociale. Ainsi, la ville semble être le territoire de la misère tandis que des quartiers périphériques protégés tels des châteaux forts par des murs de béton et autre protection comme la surveillance vidéo - je rappelle que le film date de 1973 - accueillent les classes bourgeoises qui ont accès à l'énergie, à l'eau et aux aliments sans restriction aucune.
De fait, certains des classes populaires essaient de vivre dans ce monde de luxe et d'abondance par tous les moyens. Il en ressort que les hommes riches habitent des appartements meublés, c'est-à-dire avec les meubles inanimés mais aussi animés, par la présence de femmes. Celle(s)-ci est (sont) vendue(s) avec l'appartement et entretenue(s) par un majordome d'immeuble, lui aussi vivant avec les classes supérieures bien que faisant partie de la classe populaire.
En quelque sorte, Soleil vert, c'est Metropolis à l'horizontal!
De cet univers ressort une impression d'absence de pouvoir. Pourtant, celui-ci est bien présent, mais sans jamais être clairement défini hiérarchiquement.
Le pouvoir politique existe bien, il y a même une campagne politique qui est en cours avec affichage du principal candidat. Mais ce pouvoir politique n'est qu'un simulacre de pouvoir du fait que la pratique démocratique ne peut vraiment s'exprimer avec une population dont la première des préoccupations est de survivre en se nourrissant d'aliments industriels ("Soleil vert", "Soleil jaune"...) et en vivant dans des logements de fortune voire dans les escaliers. Ce pouvoir politique s'exerce pourtant mais en collusion avec un autre pouvoir, celui économique représenté par les dirigeants de la société Soylent, fabriquant les fameux Soleil vert. Cette collusion politico-économique arrive à maintenir un équilibre précaire de sécurité dans la ville. Un autre pouvoir ressort du film, c'est celui de la connaissance. En effet, l'appauvrissement des ressources naturelles et de la société ont contraint manifestement au renoncement à l'éducation. Le "livre" devient une richesse rare, préservée par quelques irréductibles, seuls capables de résister face au pouvoir économique que représente Soylent, et avec lui celui des politiques corrompus. Le pouvoir de l'Eglise est lui aussi régulièrement montré à l'écran. Ce pouvoir est un pouvoir moral, spirituel mais qui n'a plus d'influence sur le fonctionnement de la société. Au mieux est-il un refuge pour les miséreux et les âmes égarées, le tout dans une représentation médiévale. Pour que l'ensemble de ces pouvoirs s'affrontent, le scénario fait ressortir un dernier pouvoir, celui non organisé et qui sied si bien à la mentalité américaine: le pouvoir de l'individu libre d'agir, même contre les pouvoirs en place.
Trois personnages incarnent cette liberté: un dirigeant qui pris de remords se confesse à l'église et se sait alors condamné à être exécuté; un vieillard qui a connu un monde meilleur et qui refuse de vivre dans celui tel qu'il est devenu; enfin un policier qui enquête sur la mort du premier, malgré les pressions exercées sur lui par sa hiérarchie, le pouvoir politique et la multinationale.
4. Un film "décroissant"
Dès le générique, il s'agit bien de montrer que la sur-exploitation industrielle de la planète amène une pollution et un amoncellement de déchets que l'homme n'arrive plus à gérer. Le film s'inscrit ici dans un schéma de pensée de l'époque qui, sous l'influence du Club de Rome se concrétise par la rédaction d'un rapport en 1972 dit "Rapport Meadows" intitulé Halte à la croissance (Limits to Growth dans sa version originale). Ce rapport met en évidence les conséquences d'une croissance qui consisterait à exploiter de manière irraisonnée les ressources quelles qu'elles soient, au risque de subir une décroissance par pénurie et donc le chaos. C'est donc le vrai premier mouvement décroissant qui apparaît alors même que la première crise pétrolière n'a pas eu lieu. Le film serait donc une illustration de ce que le rapport Meadows dénonçait, illustrant de fait la conséquence de cette sur-exploitation des ressources terrestres.
À l'image, cela donne un ensemble de séquences que certains critiques d'aujourd'hui jugent naïves mais qui ont particulièrement marqué les spectateurs de l'époque. Ainsi, quand le policier incarné par Charlton Heston, rapporte de la viande de boeuf et des légumes chez lui, c'est Edward G. Robinson, le vétéran qui pleure devant cette nourriture devenue quasiment introuvable sinon hors de prix. Le voir cuisiner ces aliments, apprendre à son ami comment les déguster puis savourer ce repas pour nous si habituel mais que l'on comprend comme unique en 2022 stimule en nous, spectateurs, l'idée que manger des aliments issus de l'agriculture classique est un bien précieux.
De même, dans une séquence mémorable, Edward G. Robinson se rend dans une institution - il faut taire ici le pourquoi - dans laquelle il voit un montage d'images de la nature, faune, flore, océans et autres merveilles terrestres sur une musique de Vivaldi. Charlton Heston découvre alors ce monde dont il ignorait tout et comprend alors quelles merveilles existaient avant que le monde deviennent un univers quasiment stérile croulant sous la canicule. Car c'est aussi une des conséquences que le film illustre de la sur-exploitation . Elle a provoqué un réchauffement planétaire si bien que pouvoir se rafraîchir par de la climatisation est un luxe au-delà de l'imaginable, même pour nous!
A l'arrière plan, le jeu vidéo "moderne" de 2022...
On est loin des Play Station et autres Wii!
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Comme tous les films d'anticipation, il faut envisager une évolution scientifique moderne afin de faire comprendre aux spectateurs qu'on est dans le futur. Or, si tout les points précédents ont finalement non seulement bien vieilli mais correspondent aussi et encore aux enjeux économiques et sociétaux d'aujourd'hui, la modernité "anticipée" d'aujourd'hui est largement dépassée. Le plus bel exemple relève des jeux vidéos avec lesquels jouent les femmes "mobilier". Ils ressemblent à ceux de la fin des années 1970. L'évolution technologique que nous avons connu depuis ne pouvait être envisagée à ce point en 1973. Ce qui donne un aspect kitsch à cette caractéristique du film.
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Dans ce film est enfin posé la question du rapport de l'homme à la mort.
En effet, comment doit-on ou peut-on mourir dans un monde surpeuplé? Et que faire des cadavres dans ce même monde pollué et où la nature semble se réduire à un point tel que seuls les océans pourraient encore nourrir les populations de la planète grâce aux entreprises agro-alimentaires?
Plus loin encore, la réflexion tourne finalement sur notre humanité. Serons -nous encore des hommes dans un monde à ce point vidé de tout lien avec la nature, jusqu'aux besoins les plus essentiels, à savoir se nourrir sans recours à des produits industriels. Ainsi, Fleischer nous amène à réfléchir sur la condition même de l'homme et sur la question de la fin de l'humanité. L'organisation et encadrement par l'État de la mort des individus, qui viendraient donc volontairement mettre fin à leur vie, est manifestement dénoncé comme une régression et un aveu d'impuissance par les autorités elles-mêmes. Le film pose donc des questions sur le bien fondé à autorisé ce suicide assisté, non en jugeant moralement pourquoi ceux qui souhaite avoir recours à cela, mais en se positionnant par rapport aux autorités politiques qui l'accepteraient.
Comme vous l'aurez compris, ce film est d'une grande richesse par les thèmes qu'il brasse et par l'actualité étrange qu'il a encore. Il faut sans cesse se rappeler que le film est de 1973 et que les questions d'écologie et de développement durable ne sont pas nées avec Nicolas Hulot ou Al Gore. Bien sûr, le film est marqué par une esthétique très seventies. Pourtant, tous les enjeux d'une société modernes sont là. Peut-on continuer à croître sans cesse au risque non seulement de détruire la planète mais même l'humanité dans tous ses aspects.
Construit comme un polar, le film est en fait un vrai plaidoyer pour la sauvegarde non pas d'une "nature musée", mais d'une humanité qui continuerait à croître en harmonie avec la nature. L'aspect suranné du film est donc largement dépassé par le message qu'il porte et que, dans un dernier plan sublime, Charlton Heston transmet à son tour à tous les spectateurs qui ne peuvent accepter de voir leur monde se transformer comme dans Soleil vert.
Un film à revoir de toute urgence et à montrer à tous ceux qui ne l'auraient pas encore vu.
À bientôt
Lionel Lacour
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