il y a quelques années, lors d'une formation pour des enseignants, l'un d'entre eux me demanda si pour moi, Rambo était une source historique. Cette interrogation provoqua de ma part une certaine consternation. En effet, qu'est-ce qu'une source historique? Est-elle liée à la qualité de l'oeuvre étudiée ou bien est-ce un témoignage de l'époque étudiée? Devrait-on éliminer certaines inscriptions latines ou grecques sous prétexte qu'il y aurait des fautes d'orthographe? Il en est donc de même pour les films dont la qualité cinématographique n'a rien à voir avec le témoignage historique qu'ils peuvent révéler de leur époque.
Au-delà de cet aspect sur la validité de "source" historique de Rambo, c'était bien le jugement esthétique qui m'ennuyait. En effet, Rambo est un film particulièrement intéressant cinématographiquement parlant comme nous allons le voir ci-dessous. Pourtant, il suffit de prononcer ce mot, RAMBO, pour provoquer sourires et moqueries sur le personnage. C'est que ce personnage n'est pas resté celui que nous découvrions dans le premier opus en 1982 réalisé par Ted Kotcheff. Il est devenu ce symbole du cinéma américain reaganien au fur et à mesure que les années 1980 avançaient jusqu'à la caricature. Il en fut de même pour Rocky, interprété par le même Sylvester Stallone qui devint à son tour une caricature après trois épisodes plutôt bien accueillis jusqu'en 1982 jusqu'à ce que le quatrième opus plonge Rocky en pleine guerre froide!
Stallone, Rocky et Rambo forment désormais une sorte d'unique personnage, à la fois réac, violent, manichéen, profondément américain sans aucune nuance. C'est oublier que ces personnages et les films qui les ont fait découvrir étaient autrement plus intéressants!
Quand Stallone présente son scénario, il s'impose également pour interpréter le rôle du personnage principal, Rocky Balboa. Réalisé par John G. Avildsen en 1976, Rocky n'est pas l'histoire d'un super héros ni d'un héros classique de western ou même des films de Peckinpah ou de Siegel. C'est un minable boxeur qui travaille à la solde d'une sorte de mafieux pour récupérer des créances. Les quartiers populaires de Philadelphie constituent le décor du film et c'est bien la misère sociale qui est présentée, avec ces Italiens qui vivent ensemble dans le même quartier, ces braseros autour desquels se réunissent les paumés le soir, ces jeunes désoeuvrés. Mais Rocky, c'est aussi un hymne à l'Amérique, celle qui rêve encore du Melting pot. C'est Rocky et Paulie qui, quoi qu'italiens, célèbrent Thanksgiving, c'est le champion du monde Apollo Creed, un noir, qui célèbre une bataille de la guerre d'indépendance américaine, Bunker Hill, quasiment constitutive de l'identité américaine, lui vraisemblablement l'ancien descendant d'esclave.
Quand Apollo propose à Rocky, par son agent, de combattre pour le titre, Rocky refuse non par peur, mais par honnêteté: il ne vaut pas Apollo et le combat serait mauvais. L'agent lui rappelle qu'aux USA, tout le monde peut avoir sa chance. C'est l'histoire du film. Saisir la chance qui est offerte. Peu importe la conclusion. Quand Rocky accepte le combat, il entraîne avec lui tout son monde, de son coach à son patron. Sa fiancée, la depuis fameuse Adrian, se métamorphose en accompagnant ce challenger. C'est comme si cette chance offerte a un individu profitait à toute une communauté et même au-delà. La séquence d'entraînement conduit Rocky a courir dans tout Philadelphie.
Et, suivi par les jeunes de la ville pour qui il devient une sorte d'espoir, Rocky grimpe les marches du Philadelphia Museum of Art, symbole de son ascension et de sa reconnaissance pour la chance qui lui a été offerte. Le combat importe alors très peu. Irréaliste, inspiré du combat entre Mohamed Ali et Chuck Wepner, il est resté célèbre pour sa conclusion, Rocky hurlant le prénom de sa fiancée tandis que le nom du vainqueur se fait presque de manière discrète. C'est que Rocky a justifié l'opportunité proposée. Il est allé au bout des 15 rounds du combat, malgré ses chutes au tapis, faisant tomber à son tour le champion. Sa défaite est anecdotique. La vraie victoire est celle gagnée sur lui même, lui qui n'était qu'un loser. Il a prouvé qu'il valait mieux que ses petits combats de clubs. Il est devenu quelqu'un malgré la défaite. Les deux suites sont globalement dans la même veine. Rocky II est le quasi remake du premier avec une victoire de Rocky à la fin. Rocky III, l'oeil du tigre est plus spectaculaire, offre davantage de combats aux spectateurs et continue à vanter les mérites du modèle américain. Si Clubber Lang veut défier Rocky qui annonce pourtant sa retraite, c'est pour les mêmes raisons qui ont permis à Rocky de devenir le champion: il veut sa chance. Vainqueur de Rocky, Clubber Lang a pourtant deux défauts majeurs pour être un bon américain: il est irrespectueux de tous ceux qui perdent, ce qui contredit donc le message du premier épisode, et il est, aussi étrange que cela puissa paraître, beaucoup trop individualiste. En effet, contrairement à l'image que nous pouvons nous faire de la société américaine, l'individualisme ne peut se concevoir que s'il y a une conséquence pour la communauté. Là encore, le message du film de 1976 était clair. Rocky devient quelqu'un parce que son combat individuel devient le combat de ses proches, de son quartier, de sa ville. La défaite de Clubber Lang est donc celle de l'individualisme égoïste.
La séquence finale est de ce point de vue très intéressante. Barricadé dans le bureau du shérif après avoir détruit la moitié de la ville Rambo se trouve face au colonel. Il explique alors ses états d'âme: insulté par les civils, ne trouvant pas de boulot, traité d'assassin et de bourreau, Rambo ne comprend pas ce mépris de la part de ces Américains car il n'a fait que ce que l'armée et donc son pays lui ont demandé de faire. Il témoigne de la manière dont un gamin vietnamien a fait sauter une bombe, se tuant et avec lui un soldat américain, montrant à quel point les Américains ne pouvaient pas lutter contre un peuple prêt à envoyer ses enfants mourir pour repousser les Américains. C'est enfin la désocialisation des vétérans que Rambo exprime à son colonel. De manière hallucinante, Rambo pleure alors et se réfugie dans les bras du colonel. Un enfant dans les bras de son père.
Le film est filmé comme la guerre du Vietnam s'est déroulée: un incident anodin sur un homme surpuissant qui va alors tout détruire, et comme la pente savonneuse sur laquelle avait glissé les USA au Vietnam, Rambo ne pourra plus faire machine arrière sinon à détruire tout sur son passage tout en sachant qu'il finira par perdre. Rambo est l'allégorie des USA: surpuissant, sa musculature ici n'est pas inutile pour le propos du film, mais un colosse finalement fragile. Le héros du film finit donc menotté. Fin étrange donc pour un film américain avec un happy end dans le sens où Rambo a détruit toute une ville, tué un homme et s'est rebellé contre la police. Mais la morale du film montre bien que Rambo est une victime et qu'il paie pour ceux qui l'ont abandonné: l'Etat, l'armée, les civils.
Qu'est-il donc arrivé à ces deux personnages pour qu'ils deviennent à ce point des porte-drapeaux des USA dans leur combat contre le bloc soviétique?
Celui qui tardera le plus à entrer dans ce conflit est Rocky. Dans le quatrième épisode, réalisé en 1985 par Sylvester Stallone (comme les deux précédents épisodes d'ailleurs), l'URSS est représentée sous deux formes. Une habituelle de l'apparail étatique, et l'autre, sous la forme de l'homo sovieticus en la personne d'un boxeur nommé Ivan Drago. C'est l'opposition entre le monde professionnel de la boxe des USA et celui amateur, mais bien sûr soutenu par l'Etat, de l'URSS.
Quand Apollo veut rencontrer Drago dans un combat alors qu'il est à la retraite depuis plusieurs années, c'est pour des raisons purement idéologiques que réfute Rocky. Mais Drago gagne ce combat exhibition et tue Apollo. Rocky accepte le combat contre Drago en mémoire de son ami. Le combat aura lieu en Russie. L'entraînement des deux boxeurs est une des parties les plus intéressantes du film, qui globalement est assez mauvais. Mais du point de vue de la représentation des deux modèles idéologiques, Stallone oppose bien deux conceptions. Celle américaine fait de Rocky un personnage qui s'entraîne en harmonie avec la nature, courant en montagne, aidant les personnes dans le besoin, le tout surveillé par les KGB. On a même droit à une ascension comme celle de Philadelphie, mais cette fois-ci au sommer d'une montagne vertigineuse. De son côté, Drago devient cet homme machine dont tous les progrès sont mesurés électroniquement. Aucune part pour la liberté, pour la fantaisie. Tout est encadré par le régime, sur fond de couleur rouge, bien entendu!Rocky triomphe cependant de Drago, soutneu lui par tout un peuple, de sa femme et son fils à tous les USA. Dans son discours d'après combat, Stallone fait alors dire à son personnage quelque chose d'assez stupéfiant pour 1985: deux hommes qui s'entretuent, "c'est quand même mieux que 20 millions". Et de rajouter après s'être rendu compte que le public avait changé d'attitude à son égard pendant le combat, que "si lui avait changé, et que [eux] avaient changé, tout lemonde peut arriver à changer!"
Quand Rambo est laché par les administratifs de la CIA, l'abandonnant lui et les prisonniers qu'il a libérés, c'est en quelques sorte toute l'administration américaine des années 1960 et 1970 qui est dénoncée, celle qui renonce devant l'ennemi, celle qui sous le gouvernement Carter avait laissé des Américains prisonniers dans leur ambassade à Téhéran sans réellement intervenir. Rambo réussit à ramener les soldats au camp américain puis s'en prend à celui qui l'a trahi, lui signifiant que désormais, il faudra libérer les autres prisonniers au risque de retrouver Rambo sur son chemin. Cette séquence spectaculaire et acclamée dans chaque salle de cinéma américaine trouve son écho dans la réponse de Rambo à son colonel: "je veux que mon pays nous aime autant que nous nous l'aimons." Ainsi le traumatisme post-Vietnam n'a pas encore tout à fait disparu, même en 1985. Si le film est très manichéen, dénonçant la barbarie communiste, Rambo II est un film surtout patriotique, ce qui explique son succès au Box office.
[en parlant de Rambo] "Pour qui le prenez-vous, Dieu?"
"Non, Dieu aurait pitié!"
Rambo est donc une machine de guerre prête à tout pour sauver "Son" colonel. Impitoyable avec les ennemis, il vient également aider les Afghans dans leur combat. Dans une scène surréaliste, les chefs de guerre moudjahidins lui expliquent leur combat et ce qu'ils veulent défendre. Parmi ces chefs se trouve un certain commandant Massoud! Le film date de 1988, soit 13 ans avant que ce personnage ne soit abattu par les talibans. Surtout, Massoud n'était vraiement connu que des spécialistes de la guerre en Afghanistan. Ce détail montre combien ces films, même manichéens, même particulièrement douteux tant du point de vue idéologique que cinématographique, sont particulièrement documentés pour renforcer la crédibilité de ce qui peut l'être. Que Rambo aille ensuite plus vite à cheval que les hélicoptères qui le poursuive relève pour les spectateurs des exagérations des films d'action de ce genre.
Ce qui est plus curieux est bien que le discours soit aussi virulent contre le soviétique alors même que, nous l'avons vu, Rocky IV montrait une inflexion favorable vis-à-vis de Gorbatchev. On peut alors voir que celui qui est dénoncé est un homme, le colonel Zaysen, plus que l'URSS. Une sorte de personnage qui aurait outrepassé ses prérogatives de militaires. L'URSS n'est donc pas épargnée au sens où c'est sa présence en Afghanistan qui a permis à Zaysen d'être le bourreau des Afghans. Mais l'URSS, et avec elle son dirigeant principal, est dépassé par ces chefs locaux. En ce sens, Rambo III annonce déjà la fin du contrôle de l'URSS sur ses armées et donc son affaiblissement.
Reagan pouvait alors dire en 1985 qu'il saurait quoi faire la procahine fois que des Américains seraient faits prisonniers après avoir vu Rambo II, il fit, lui et son administration, la même analyse que les scénaristes de Rocky IV et de Rambo III: l'URSS était plus vulnérable que jamais avec à sa tête un dirigeant prêt à un rapprochement avec le bloc de l'Ouest. Il fallait donc jouer sur cette situation pour déstabiliser davantage l'URSS et par là même, le bloc de l'Est tout entier.
Pour conclure, les séries des "Rocky" et "Rambo" s'est quasiment éteinte dans les années 1990. Bien sûr le personnage de Rocky n'était plus crédible en boxeur si bien que Rocky V transforma en 1990"l'étalon italien" Rocky en coach, proposant un film plus dans la lignée du premier opus,la fraîcheur en moins. Rocky VI autrement appelé Rocky Balboa ne fit pas que donner un nom à son héros sur l'affiche. Le film de 2006 semble boucler une boucle entamée trente ans auparavant. A la fois nostalgique avec une séquence de générique de fin montrant tous ceux gravissant les mêmes marches que Rocky à Philadelphie, le film semble vouloir sortir le personnage de Rocky de la caricature dans laquelle il était entré avec Rocky IV. John Rambo, sorti en 2008, relève de la même logique que Rocky Balboa. Nostalgie et plaisir de retrouver un personnage entré dans la culture mondiale mais volonté aussi d'en faire un héros moins manichéen dans un film plus personnel. Là n'est pas la question de la réussite de ces films. Ce qui est sûr, c'est que Stallone aura été un de ces rares acteurs à être confondu, associé et assimilé avec le nom d'un héros qu'il a interprété. Stallone aura été assimilé à deux héros américains collés à tout jamais aux années Reagan, sans pouvoir depuis vraiment s'en dissocier.
A bientôt
Lionel Lacour
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