lundi 15 mars 2021

« Le maître de guerre » : un manager nommé Higway


Bonjour à tous,

Les films de guerre sont souvent très intéressant pour voir comment le management de groupe s'organise autour d'un chef, officier ou sous-officier. En 1987, Clint Eastwood réalisait Le maître de guerre, film jugé par certains comme trop pro belliciste et bien trop reaganien. Ce point peut être largement remis en cause, mais l’intérêt du film repose sur la relation qu’entretient le sergent Highway avec ses hommes. Or si le film fonctionne, c’est bien parce que beaucoup de ce qui est montré est en relation étroite avec des pratiques de management que tout le monde a pu connaître dans les entreprises.



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Le leadership

À partir du moment où le sergent Highway (Clint Eastwood) arrive en fonction, le cinéaste le caractérise comme un personnage ayant de l’expérience – il a combattu en Corée et au Vietnam – dont la valeur et la bravoure ont été largement reconnues au point d’avoir les plus hautes distinctions militaires des USA. Mais Highway est aussi un impulsif, bagarreur et peu respectueux des officiers qu’il estime incompétent.

Cette tête brûlée aime pourtant l’armée qui lui a permis de s’épanouir et dans laquelle il s’est fait des amis autant que des ennemis. C’est fort de cette envie de servir cette institution, de ses compétences et de son expérience que la mission lui a été donnée de diriger un régiment de reconnaissance au comportement très peu martial. Bien sûr, le cœur du film repose sur cette opposition : un groupe sans autorité, sans dynamique, sans cohésion face à un sergent devant réintroduire tout cela.

La première prise de contact est alors cocasse puisqu’il s’agit d’une confrontation entre deux autorités : celle légale et hiérarchique du Sergent face à celle du nombre constitué par le commando. Et si ce qui ressort est évidemment caricatural s’appuie pourtant sur des principes forts de management. Le chef, Highway, impose le silence – il jette la radio que s’obstinent à rallumer les soldats sous ses ordres. Ensuite il se présente dans son positionnement hiérarchique. Il s’adresse à tous en général en soulignant que sa légitimité n’est pas seulement due à son grade mais aussi à son expérience. Il interpelle chaque soldat ayant manifesté une quelconque opposition et les faisant acquiescer à ses propos et ses décisions. Enfin, il donne un objectif à son groupe : en faire des marines avec un échéancier immédiat.

Si la séquence est évidemment marquée du sceau de l’humour et de la brutalité militaire, la prise en main d’un groupe par Highway s’appuie bien sur l’affirmation d’un leader non issu du dit groupe mais imposé au groupe.

Établir des règles

Dès sa prise de contact, le sergent fixe des règles nouvelles pour ses soldats. Celles-ci reposent d’abord sur l’uniformité. Ainsi, les soldats doivent se présentés ensemble à la même heure dans la même tenue.

 

Dans une séquence très drôle, chaque soldat fait face à Highway à l’heure dite mais aucun n’est habillé de la même manière. Le sergent veut alors les uniformiser en les mettant torses nus. Il inspecte également la coupe de cheveux, les bijoux et autres objets portés par les soldats. Tous doivent avoir la coupe réglementaire ainsi que ne porter que ce qui est autorisé et nécessaire pour le combat. C’est ainsi qu’il casse les lunettes de soleil d’un membre du commando car « non biodégradable ».

En établissant ces règles, Highway renforce son autorité sur le groupe et le fédère. Et il ne s’agit pas seulement de s’habiller de manière semblable mais comme leur sergent. Au risque de se retrouver à nouveau torse-nu !

Si cela peut encore une fois paraître caricatural, la transposition dans les situations « civiles » est pourtant tout à fait faisable. L’uniformité vestimentaire se fait de manière naturelle dans les entreprises. Le costume cravate est porté dans les milieux financiers quand des tenues jeans t-shirts sont la règle dans les start-up ou entreprises de communication.

 

Le sergent enlève toute forme d’individualisme de ses soldats en les uniformisant d’abord, en les débaptisant ensuite, les désignant par des surnoms en fonction de leur physique, leur appartenance ethnique ou leur attitude. Méthode et surnoms qui seraient sûrement conspués aujourd’hui. Pourtant qui n’a pas connu au sein d’une entreprise des collègues désignés par leur surnom ? Parfois utilisés par eux seulement au sein de l’entreprise.

Les règles c’est aussi d’être présent. De respecter l’autorité. D’obéir à celui dont on dépend. Et l’ensemble crée la cohésion d’équipe autour d’un leader qui semble ne faire rien pour se faire aimer mais qui fixe le cap et n’en déroge pas.

Créer une solidarité du groupe

Une fois le leadership fixé et les règles établies, Eastwood peut alors développer les méthodes de management de son sergent. Car si les soldats lui doivent respect, lui aussi est soumis à une hiérarchie. Lui aussi doit obéir.

Si l’unité de son commando de reconnaissance passe  par le respect du chef gagné comme dit précédemment par la définition d’un cadre clair et rigide à l’intérieur de ce cadre, Eastwood montre un sergent sachant faire preuve d’humanité. Qu’un soldat vienne à manquer dans ses rangs parce qu’il doit travailler en plus de son service pour subvenir aux besoins de sa famille. Highway l’aide financièrement. Qu’un autre le défie physiquement et remette en cause son autorité, Highway le démolit devant les autres mais ne le dénonce pas à ses supérieurs. Qu’un de ses hommes faillisse à un entraînement et se fasse sanctionner par le commandant, et il vient non pas lui enlever la punition qui lui a été réservée mais lui donner du courage tout en le rendant fier de faire partie du groupe de reconnaissance.

Maître de son groupe, le sergent leur montre pourquoi il est le chef de ces soldats : il les protège. Nous sommes ici clairement dans une logique de management paternaliste visant à créer une solidarité de groupe au sein d’un ensemble.

Donner l’exemple

Le discours d’Eastwood n’est évidemment pas progressiste au sens du management actuel. Et certains pourraient aujourd’hui remettre en cause la brutalité de ses méthodes. Pourtant, le sergent Highway est un manager moderne au sens où il ne se cache pas.

Au cours des séances d’entraînement, le sergent court avec ses soldats qui, fougueux, veulent le mettre en défaut. Lui ne se laisse pas emporter par l’enthousiasme déraisonnable de ses hommes, continue à courir à son train puis dépasse ses soldats qui s’étaient arrêtés, exténués. Highway a donc adopté une méthode non violente reposant sur l’expérience personnelle de ses hommes plutôt que par la tentative d’un conseil oral illusoire. Les faits lui ont donné raison.

Au cours d’un autre entraînement, il tire sur ses hommes à balles réelles pour qu’ils identifient le bruit des armes de leurs ennemis. Cela se fait par surprise, au risque de les blesser. Mais il les soumet à un exemple concret de risque qu’ils pourraient rencontrer dans le cas d’une vraie guerre.

Lors d’un entraînement faisant s’affronter plusieurs unités, Highway se retrouve en tête-à-tête face à son commandant plus jeune que lui. Si pour le film il ne perd pas le combat, le plus important est surtout qu’il ne se dérobe pas à représenter son unité en le combattant.

Construire un lien avec son équipe : la devise

En fixant des règles simples mais claires, en définissant un objectif, en renforçant l’identité d’un groupe et la solidarité interne, Highway a donc créé une unité qui le respecte et sur laquelle il peut désormais s’appuyer.

Le film démontre d’ailleurs l’efficacité d’un management qui repose aussi sur des principes résumés en devise. Dès le premier jour de prise en main, Highway est venu réveiller ses hommes une heure plus tôt qu’annoncé la veille, leur rappelant que leur métier était soldat, pas fonctionnaire. Et qu’un soldat devait « s’adapter, improviser et dominer ».

C’est autour de cette devise que la relation entre Highway et ses soldats va se construire, participer à la cohésion du groupe et permettre l’accomplissement des missions leur étant confiées. Ainsi, c’est en s’adaptant et improvisant qu’un des soldats va découvrir quel T-shirt Highway portera le lendemain afin de ne plus courir torse nu pendant l’entraînement. C’est en improvisant, donc en ne respectant pas les règles qu’ils vont l’emporter au cours d’une manœuvre militaire, dominant l’autre commando.

Et c’est parce que cette relation s’est construite sur le principe du cadre défini dans lequel la liberté d’agir pour le bien du groupe et pour sa réussite que les soldats autrefois indisciplinés refusent de dénoncer Highway d’avoir utilisé des munitions réelles et le protègeront à leur tour quand ils le retrouveront dans une cellule de dégrisement.

Un management efficace

Le film est un film de guerre et de divertissement et propose un discours de direction d’équipe particulièrement rugueux, où la bienveillance peut parfois sembler manquer.

Pourtant, le film se conclut sur une vraie intervention armée pendant l’intervention en 1983 sur l’île de Grenade. Et au cours de l’intervention du commando de Highway, les soldats ont dû s’adapter à une situation qui était différente de celle prévue. Ils ont improvisés en attaquant quand ils ne devaient que repérer pour finalement libérer des prisonniers et gagner la bataille, le tout sous le regard d’un sergent plus superviseur que réel acteur, laissant ses hommes agir  et faire des choix, veillant à la sécurité du groupe et pour le bien de la mission.


En regardant donc plus attentivement le film et en enlevant le folklore militaire et viril de tout long-métrage de guerre, il s’avère qu’il s’agit bien d’une proposition de management d’équipe par un leader à la fois comme personne ressource, référent d’autorité et protecteur du groupe autour d’un cadre clair de fonctionnement. Il a préparé son équipe à affronter des obstacles avec des outils précis tout en leur donnant une autonomie d’action leur permettant d’agir quand un obstacle inconnu se présentait : « S’adapter, improviser, dominer »

 

 

 

 

 

lundi 8 mars 2021

"Le cas Richard Jewell" – Autopsie d'un employé modèle

 

Bonjour à tous

Après que Paul Greengrass et David O. Russel avaient été pressentis pour sa réalisation, c’est donc Clint Eastwood qui a repris le projet en réalisant Le cas Richard Jewell en 2019. Et autant dire que celui-ci entre complètement dans la trajectoire cinématographique du géant hollywoodien. Celle de la définition du héros à l’américaine, sauvant la vie des autres au risque de perdre la sienne, au propre comme au figuré. Comment ne pas voir une filiation entre Richard Jewell et Chesley Sullenberger dans Sully sorti en 2016 ? En fait, comment ne pas voir une filiation entre Richard Jewell et presque tous les héros du cinéma d’Eastwood tant ceux-ci ont du mal à vivre ce statut dans une société en quête permanente de héros tout en cherchant à le déboulonner de son piédestal aussitôt mis dessus. Surtout si le héros ne ressemble pas à celui auquel tout le monde rêverait.


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Richard Jewell : un CV pas formidable

Jewell nous est présenté brut. Son expérience est faite de petits boulots comme dans la première séquence du film dans laquelle il est un simple employé en cabinet d’avocats affecté aux fournitures. Il a été auparavant policier mais il a été viré de son poste. Il sera également surveillant dans un campus universitaire.

Parmi ses qualités se trouve donc l’ordre et le respect de l’autorité, que ce soit celle de ses supérieurs ou celle que représente les institutions d’Etat. Par-dessus tout, le drapeau américain symbolise une valeur supérieure.

Parmi ses passions, il y a la chasse et donc les armes. Il en possède quelques-unes d’ailleurs. Et il aime les jeux vidéo qui lui permettent de tirer.

Enfin, parmi ses qualités, il y a l’empathie, le respect du travail, l’assiduité. Il se rend au travail alors qu’il est malade ! Il est méticuleux et rigoureux.

Parmi ses défauts, il y a un manque d’indépendance. Il vit encore chez sa mère. Et bien que très patriote, il n’a pas payé ses impôts depuis quelques années. En bon américain WASP, Il aime manger de la junk food et s’empiffre de nourriture grasse. Richard Jewell est blanc et il est obèse. Ce n’est pas très hollywoodien comme personnage. Mais voilà, il n’est pas un héros hollywoodien. c’est un Américain moyen comme on en rencontre partout. C’est un simple employé. Et il est moustachu.

L’employé modèle

Richard Jewell aime l’ordre et le fait respecter quand il est embauché pour cela, comme dans cette cité universitaire, jusqu’à outrepasser les limites de sa fonction pour obéir aux attentes de ses supérieurs. Lorsqu’il est embauché pour la sécurité des Jeux Olympique d’Atlanta en 1996, il respecte scrupuleusement le protocole, exaspère ses collègues quand il suit un personnage au comportement inquiétant, fait sourire ceux qui surveillent sans vraiment surveiller.

Richard ne le fait pas pour lui. D’ailleurs, chacune de ses interventions est l’occasion de se sentir humilié par ceux le traitant de « gros ». Et pourtant, il accomplit ce qui est sa mission. Il en note d’ailleurs les contours quand il est recruté. Et quand il découvre un sac suspect dans le parc olympique, il contraint ceux qui en ont le pouvoir à appeler le service de déminage. Une fois la bombe effectivement identifiée, Richard met toute son énergie à disperser la foule mais également les différents services travaillant à proximité de la bombe. Ultime récompense quand un de ses collègues lui dit que plus jamais il ne se moquerait de lui.

Si la bombe explose faisant des victimes, il apparaît pourtant évident que sans l’intervention de Richard, le nombre de morts aurait pu être plus important. Interrogé par la presse, il ne cesse de minimiser son rôle de « héros » rappelant qu’il n’a fait que son travail, aidé par tous les autres. Il est un employé dans un collectif. Mais les Américains aiment les héros. Il sera ce héros. Malgré lui.

Ne jamais révéler les dysfonctionnements d’autres services

Le FBI a été mis en défaut. En faisant de Richard Jewell un héros, la presse en a fait une cible pour les policiers fédéraux. Malgré leurs moyens et leurs compétences, ils n’ont pas su déjouer l’attentat alors que Jewell a réussi à force d’observation.

Reste à savoir qui a déposé la bombe. C’est là que le CV de Richard va servir à nouveau. Pourquoi a-t-il été viré quand il a été flic ? Ceux qui le reconnaissent dans les médias voient dans son zèle passé une possibilité d’activisme et de recherche de reconnaissance.

Le FBI trouve alors dans le profil de l’employé modèle les failles pour le faire tomber : il est perfectionniste, veut prouver qu’il fait bien son travail et il est soumis à l’autorité. Il est le candidat parfait pour masquer la faute professionnelle de ceux qui auraient dû faire ce que Richard a fait.

Eastwood montre tous les degrés hiérarchiques du domaine de la sécurité. Richard est au bas de l’échelle. Il doit donc être éliminé. Dans une entreprise, il serait placardé, on lui trouverait une faute grave, il serait harcelé et ferait un burn out. Le FBI va faire la même chose mais en ayant les moyens de l’accuser d’avoir commis l’attentat. Quand bien même les preuves discréditent l’accusation. Peu importe, Richard est coupable. Cela est vu à la télévision.

Des « réseaux sociaux » au réseau professionnel

Si en 1996, Internet en est à ses balbutiements, ce que subit Richard Jewell par la presse est concentré par l’effet cinématographique et renvoie aux campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux visant à détruire les individus. L’affaire du professeur Lemaire à Trappes en février 2021 en est un exemple parfait.

Ainsi, quoi de mieux que la presse pour relayer la non information sur les soupçons pesant sur Richard Jewell. Ce ne sont pas des « likes » qui harassent Richard mais des journalistes qui campent devant son domicile. Et chaque phrase prononcée sonne comme un aveu auprès de l’opinion publique. Chaque imprécision devient la preuve de sa culpabilité. Dès lors, celui qui a bien fait son travail devient le coupable et ceux qui ont failli se rachètent une virginité en arrêtant un suspect. Haro sur le héros devient alors le mot d’ordre.

Richard choisit alors un avocat. Il est celui avec qui il travaillait au début du film et qui a reconnu ses qualités, ne le traitant pas pour ce à quoi il ressemblait, un gros, mais pour ses qualités. D’où ce surnom de « Radar » parce qu’il était vigilant à ce qui l’entourait. Si c’est son côté maniaque du travail bien fait qui a jeté le soupçon sur Richard, c’est son professionnalisme qui permet à Richard Jewell de trouver un soutien en dehors de son entreprise. C’est son professionnalisme qui a fait qu’il a été reconnu par son avocat. C’est son professionnalisme qui lui a permis de constituer, même modestement, un réseau professionnel lui étant profitable à terme.

C’est ainsi que l’avocat rappelle à Richard que ses accusateurs ne valent pas mieux intrinsèquement que lui. Qu’il ne leur est pas inférieur. Dans ce réseau professionnel de la sécurité, il y a ceux qui ont failli et celui qui a réussi.

Un employé modèle type ?

Si l’action se passe en 1996, comment ne pas voir que le propos est finalement intemporel. Le film montre tout d’abord que les compétences de chacun peuvent servir à un projet commun. Richard n’a pas le profil physique de celui qu’on attend pour la sécurité. Mais il est attentif et vigilant. Aux autres de savoir être rapide ou puissants, aux autres de savoir désamorcer ou pas une bombe. Richard connaît le protocole qui souvent s’avère sans intérêt mais terriblement utile quand la situation se produit.

Ensuite, le film révèle que la vie privée n’a pas à interférer dans la perception d’un employé. Peu importe que Richard aime chasser et possède des armes. Il n’en fait pas usage dans son métier. Il est respecteux des ordres. Son ambition n’est pas de devenir directeur d’un service du FBI ni même d’être connu ou reconnu comme un héros dans la rue mais d’être juste reconnu par ses pairs. Ce qui est déjà beaucoup.

Enfin, chaque personnage travaillant pour la sécurité a le même objectif : veiller à ce que la population ne soit pas mise en danger par quiconque. Cette mission est donnée par un patron symbolisé par le drapeau américain. Eastwood ne montre pas de directeur ou d’autre patron « humain ». Derrière ce drapeau se trouve bien l’Etat fédéral et tout ce que cela implique.

Richard Jewell, même en n’étant qu’un modeste employé d’un service de sécurité privé, sans avoir les caractéristiques convenues, physiques ou intellectuelles, a eu la même mission, à son échelle, de veiller à la sécurité de la population. Il ne faut pas lui demander d’intervenir autrement et ailleurs. Mais il fallait lui reconnaître ses compétences plutôt que de voir dans ses différences une preuve d’une quelconque culpabilité.

 

L’arrêt de la procédure d’enquête ressemble à la fin d’une procédure de licenciement. Ce n’est pas l’Etat qui a failli mais des hommes d’une des institutions de l’Etat. Aussi, quand l’avocat retrouve Richard quelques années plus tard pour lui annoncer que le vrai coupable a été arrêté, il se rend au bureau d’un shérif où Richard travaille désormais au sein de la police. Ses compétences ont enfin été reconnues. Il a étoffé son CV. Il n’en a pas voulu à son « patron » symbolisé par le drapeau.  Il n’est pas ce héros que les Américains idolâtrent. Il est un citoyen moyen. Il a juste changé la photo de son CV. Et il ne porte plus la moustache.

jeudi 25 février 2021

"Judoka" – Voyage dans l’identité du directeur du Festival de Cannes

 


Bonjour à tous, 

Une fois n'est pas coutume, cet article n'est pas consacré directement au cinéma mais à un protagoniste du cinéma français et mondial: Thierry Frémaux.  Après Sélection officielle  en 2017, le directeur de l’Institut Lumière et des plus prestigieux festivals de cinéma, Cannes et Lumière, ne parle plus de cinéma dans Judoka paru le 12 février 2021 aux éditions Stock. Ou un peu. De manière décalée. Il fait partie de ces célébrités qui ont pratiqué le judo. S’il n’a pas été un champion comme Thierry Rey, David Douillet ou Teddy Riner,  il revendique depuis toujours haut et fort tout ce qu’il doit à cet art martial japonais. Et désormais il l’écrit. Parfois il évoque bien sûr La légende du grand judo d’Akira Kurosawa. Parfois il se permet une comparaison avec Hollywood ou une virée avec Tarantino. Mais là n’est pas son sujet.

Avec Judoka, 
Thierry Frémaux, jeune ceinture noire
Thierry Frémaux nous emmène oin dans le temps et l’espace, dans une autobiographie kaléidoscopique dans laquelle cet art martial a construit sa personnalité nourrie d’expériences, de compétitions, de succès et d’échecs, de rencontres, d’émotions, d’adrénaline, d’efforts physiques, de renoncements parfois mais aussi, et peut-être surtout, de racines. Dans cette balade autour du judo, certains y apprendront les origines de ce sport de combat, son introduction en France ou sa philosophie. D’autres y découvriront l’influence des maîtres –
sensei – sur les jeunes judokas français. D’autres encore y verront que le destin prestigieux de l’auteur, comme le disait Maxime Le Forestier, est né quelque part. Quelque part en province, à la fois si proche et si loin de Paris. Ce quelque part qui vous renvoie à l’authenticité d’une balade en montagne, de repas entre amis. Mais aussi quelque part ailleurs que dans la manière de penser le monde à la française. Comme si le judo apportait à ses pratiquants en général, à Thierry Frémaux en particulier, un morceau du Japon et de ses traditions, quelque part à Vénissieux, à Lyon ou dans le Vercors. Et dans Judoka, ce quelque part se rappelle à lui.

Par son style alerte, les plus grandes stars de Sélection officielle devenaient soudain accessibles à tous. Plus humains, plus proches, plus communs. Or, comme les frères Lumière rendaient extraordinaires des situations ou des lieux les plus anodins par la simple magie d’être mis en images, Judoka procède exactement de la logique inverse. Ainsi le directeur du festival de Cannes évoque Pierre Blanc de Décines ou Alain Lherbette de Givors et autres très bons judokas de la région lyonnaise, à commencer par ceux de son club de Saint Fons. Mais aucun n’a été champion du monde ou olympique et leurs noms ne sont connus que des plus initiés aux alentours de la capitale des Gaules. Pourtant, Thierry Frémaux les rend extraordinaires par leur volonté de se consacrer totalement à leur discipline, par l’aura qu’ils dégagent à l’échelle locale, et par leur amour de la transmission de leur savoir. Dans Judoka, ils deviennent aussi importants que Jean-Luc Rougé, le premier français champion du monde de judo.

Exotique avec son vocabulaire japonais spécifique, érudit par ses recherches sur Jigoro Kano, fondateur du judo, ou les autres grands noms de la discipline, intimiste dans la plongée de ses souvenirs d’enfant et d’adolescent, Judoka est un cheminement qui intéressera ceux qui veulent comprendre pourquoi tous ceux ayant porté le judogi jusqu’à la fameuse ceinture noire continuent à se considérer comme « judoka » même après avoir arrêté depuis longtemps de fouler les tatamis, qu’ils aient pratiqué ou pas le plus célèbre et populaire des arts martiaux. Parce qu’après avoir été judoka, on est judoka.


Et pour prolonger, vous pouvez découvrir l'entretien exclusif que Thierry Frémaux m'a accordé pour Fild à propos de Judoka.

À très bientôt

Lionel Lacour



jeudi 18 février 2021

« Le cave se rebiffe » Une histoire de management d'un projet d'entreprise!

Bonjour à tous,

Longtemps, Le cave se rebiffe a pu s’enorgueillir d’être le film le plus diffusé par la télévision française. Réalisé en 1961 par Gilles Grangier, il avait toutes les qualités pour rassembler les spectateurs devant l’écran. Le duo Gabin/Blier tout d’abord, les dialogues de Michel Audiard ensuite, et une histoire tirée de la trilogie de Max le menteur d’Albert Simonin dont le premier volet a donné le très sérieux Touchez pas au grisbi en 1954 par Jacques Becker et le troisième le parodique Tontons flingueurs en 1963 par Georges Lautner. De ces trois adaptations complètement indépendant,  Le cave se rebiffe est certainement la plus pittoresque et raconte une histoire de faux-monnayeurs. Pourtant, les bons mots d’Audiard et les performances remarquables de tous les comédiens s’appuient sur une véritable activité d’une  entreprise industrielle cherchant à développer un produit jusqu’à sa commercialisation.


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L’opportunité d’un marché

Eric Masson (Franck Villard) est un entrepreneur en automobiles américaines. Endetté auprès du banquier Lucas Malvoisin (Antoine Balpétré) et d’un financeur Charles Lepicard (Bernard Blier), ancien patron d’une maison close, vient en rendez-vous pour rembourser ses dettes sur le développement de ses activités auprès de General Motors. Or Masson propose à ses créanciers une affaire plus prometteuse consistant à fabriquer de la fausse monnaie.

Le film aborde alors rapidement sur une réflexion commune des trois potentiels associés sur la faisabilité d’un tel projet. Lepicard les ramène à la raison car cette activité est nouvelle pour eux trois. Mais il connaît un spécialiste qui pourrait valider ou pas un tel projet. L’investissement coûterait un voyage en Amérique latine pour présenter la nature de l’entreprise à un certain Ferdinand Maréchal dit Le dabe (Jean Gabin).

Face aux arguments de Charles, Le dabe lui montre tous les inconvénients d’un tel projet, à commencer par la versatilité d’une devise qui peut être démonétisée sans prévenir ! Il fait valoir d’ailleurs son expérience face à la démonétisation du Florin par la Reine Wilhelmine des Pays-Bas en 1945 !

« Dis-toi bien qu’en matière de monnaie, l’Etat à tous les droits, le particulier aucun ».

Derrière cette boutade, il s’agit bien de voir qu’une entreprise économique doit prendre en compte tous les paramètres, à commencer par la stabilité d’un marché ! Et l’expérience qu’apporte Le dabe est évidemment de première importance.

Malgré ses réserves, Le dabe accepte finalement l’association proposée par Charles Lepicard. Pour des raisons finalement « déraisonnables ». Là encore, l’acceptation du spécialiste prend en compte un autre aspect de l’aventure d’un entrepreneur car si le Dabe sait le risque de la fausse monnaie, il en sait aussi les profits potentiels. Lepicard joue alors la carte de l’affectif. Il change le projet initial de faire des fausses Livres Sterling et affirme au Dabe que la fausse monnaie devait être des Florins. L’entreprise est une prise de risque et un engagement personnel. Le dabe prend donc ce risque.


Un chef de projet véritable chef d’orchestre

Si ce sont les trois associés qui sont à l’initiative de l’entreprise, Le dabe en est le chef de projet car il en a les compétences. Il organise la production en choisissant le lieu, les machines et les individus.

Chaque associé apporte une valeur ajouté. Le banquier et Lepicard apportent les financements, Eric Masson doit chercher le matériel et est transformé en directeur de production, en charge de recruter le graveur. Car si le projet est alléchant pour les premiers associés, c’est qu’il était lié à leur relation avec un graveur hors pair, Robert Mideau (Maurice Biraud). Il est précédé d’une réputation, d’un CV que seul Le dabe peut confirmer

Le dabe se charge aussi de trouver des fournisseurs et des clients. Ainsi va-t-il chez Mme Pauline (Françoise Rosay) pour s’approvisionner en papier. Quant à son client, il s’adresse à lui par un réseau professionnel, dans un vocabulaire codé.

Enfin, le chef de projet établit le planning de la production afin de procéder à l’impression, découpage et conditionnement des billets, nettoyage et destruction des éléments compromettants pour enfin procéder à la livraison et au paiement de la production par le client.


Un management qui repose sur les compétences

Le dabe maîtrise son secteur d’activité, de la production jusqu’au périmètre limité de son marché. Il est en mode B2B (Business To Business) et sait que cette production n’est pas duplicable car elle est en mode « prototype ».  C’est sur ces bases qu’il réclame 50% des bénéfices, sûr de ses compétences permettant de mener à bien l’opération. Le film montre d’ailleurs parfaitement la loi de l’offre et de la demande dans le marché des ressources humaines car c’est Le dabe qui fixe ses conditions à ceux venus le chercher. En contrepartie, il s’engage à une obligation de résultat pour lequel il s’engage.

Le dabe évalue également les compétences du graveur. Robert est d’abord montré comme un professionnel aguerri connaissant parfaitement les machines sur lesquelles il devra travailler. Mais c’est surtout sur son travail de gravure que Le dabe identifie le talent de Robert. Une scène mémorable permet alors de comprendre que Le dabe se fait passer pour le commanditaire de la gravure pour faire de Robert l’homme important de l’opération de fausse monnaie. D’abord par la flatterie dans sa comparaison de Robert avec les grands artistes « Laissez-moi vous appeler Robert comme on dit Léonard ou Raphaël » puis valorisant talent « Ne pas reconnaître son talent c’est faciliter la tâche des médiocres ».

Quant aux associés, hormis leur statut d’associés, Le dabe les traite seulement en fonction de leurs seules compétences. Soit financier. Soit physique. Ainsi Eric Masson, bien qu’étant celui à l’initiative du projet, se retrouve à faire de la manutention pour récupérer les rames de papier pour les billets de banque. Ce qui en dit long sur l’appréciation que Le dabe en a. D’où sa description à Madame Pauline : « Un grand, l’air con, avec des petites moustaches. […] Un gabarit exceptionnel, si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon, il serait à Sèvres. » Mais peu importe, Le dabe a besoin de Masson pour les basses besognes. Et il l’emploie.

Mener à bien le projet

Comme tout film de gangsters ou d’aventure, il y a des conflits et des traîtrises. La qualité d’un chef est de pouvoir les identifier et de les neutraliser. Or le film montre combien l’entreprise économique, même illégale, crée des tensions entre les différents protagonistes. Ainsi, parce que les trois associés se sentent floués par leur chef de projet qui s’accapare 50% des bénéfices, ils décident de le doubler en produisant davantage de faux billets, s’approvisionnant chez un autre fournisseur – de moindre qualité – et impliquant le cave – Robert dans leur combine.

Ainsi, les modalités du projet ont été modifiées au risque d’aboutir à son échec. Pourtant, Gilles Grangier met en scène une rencontre entre Le dabe et Robert durant laquelle le premier va estimer le temps de production des faux billets. Le film a présenté Le dabe comme un professionnel de la fausse monnaie et donc ses évaluations de délai pour chaque opération (impression, massicotage, destruction des chutes…) ne sont pas des approximations. Or Robert, lui aussi caractérisé comme un vrai spécialiste, annonce des délais plus longs. Pour produire plus que ce que le plan de travail avait envisagé ?

De fait, chaque spectateur peut se projeter dans ces luttes d’influences mêlant les différents cadres et les employés. Chacun comprend que Le dabe s’est rendu compte de l’entourloupe qui se prépare et invite Robert à ne pas faire d’heures supplémentaires.  Ainsi, les compétences du chef de projet ont permis au Dabe d’identifier le dysfonctionnement dans la production et l’a fait comprendre à son technicien. Les deux seuls vrais professionnels  du projet se sont donc reconnus en tant que tels.

Par cette rencontre, Le dabe rétablit le plan de production initialement décidé, élimine du projet ceux ayant risqué de le faire échouer et finalise la distribution avec son client. Robert le rejoint pour profiter des bénéfices tandis que les trois autres compères ont tout perdu.

« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

Si le film se finit par la réussite d’une affaire illégale, il finit surtout par le succès d’une entreprise économique dans laquelle l’efficacité et le professionnalisme l’ont emporté. C’est ainsi que les trois associés se sont fait doubler par l’employé qu’ils avaient eux-mêmes essayé de détourner de sa mission. Leur échec est celui de leur incompétence combiné à leur quête du profit. En effet, ils ont voulu produire davantage de faux-billets avec un papier de médiocre qualité ce que Le dabe a identifié au premier regard quand les trois autres s’en satisfaisaient, au risque de faire capoter l’entreprise. Mais surtout, c’est cette incompétence qui leur a finalement fait tout perdre plutôt de de se partager les 50% de bénéfices restant. C’est la morale de toute activité économique qui doit rémunérer ceux apportant la plus grande valeur ajoutée au projet.  

Ici, les actionnaires ont voulu gagner autant que ceux qui ont les compétences sur toutes les parties opérationnelles. Dans le film, ce sont ces derniers qui l’emportent – même si les auteurs ajoutent un carton final affirmant que Robert et Le dabe seront arrêtés justifiant le « bien mal acquis ne profite jamais » – sur les premiers. Vu aujourd’hui, cette morale apparaît incongrue tant le rapport de force semble parfois renversé entre les productifs et les financeurs au sein des entreprises. Du moins dans les grandes entreprises. Mais pour les petites entreprises, il est fort à parier que la morale du film est toujours d’actualité !

 

À très bientôt

Lionel Lacour