mercredi 10 février 2021

"L’emmerdeur" et l’apogée des trente glorieuses


Bonjour à tous. 
Quand Edouard Molinaro réalise L’emmerdeur en 1973, il associe ces deux monstres sacrés après le succès de L’aventure c’est l’aventure un an auparavant. L’un est devenu un champion du box office dans des comédies de Lautner tout en alternant avec des films d’action et dramatiques. Le second a été le maître de la chanson française et s’est lancé dans une carrière cinématographique en tant qu’acteur mais aussi réalisateur. Le scénario de Francis Veber constitue ce qui allait devenir sa marque de fabrique en faisant s’affronter deux personnages aux personnalités opposées, l’un étant pénible et l’autre une forte personnalité. Le film fonctionne d’autant mieux que Ventura joue le rôle de Ralph Milan avec autant de sérieux que Brel joue François Pignon avec fantaisie. Ce duo mal assorti est écrit dans une période particulièrement bénéfique pour le pays et tout le film va illustrer cela avec tous les rêves que trente ans de croissance économique ont permis aux Français

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Le monde des VRP

Avec François Pignon, c’est le monde de la France qui travaille telle que les années d’après-guerre l’ont développé. Des activités industrielles, ici le textile, envoient leurs représentants de commerce vendre les collections dans les magasins. L’ère de la voiture bat son plein, nous y reviendrons, et les Voyageurs Représentants Placiers, les fameux VRP, l’utilise pour sillonner tout le pays.

Là est l’ingéniosité de Francis Veber, le scénariste. S’ils sont de caractères différents, si leurs missions ne sont pas les mêmes, leurs professions recouvrent en fait les mêmes caractéristiques

Ainsi François Pignon est un VRP qui vend des chemises. Il a son stock avec lui et propose même à Monsieur Milan de lui en offrir une en vérifiant s’il en a à sa taille. En bon VRP, il connaître son produit, les gammes, identifie le modèle qui lui siéra. Milan est également en quelque sorte un VRP. Il doit honorer un contrat, identifier son client, adapter son matériel à lui… puis l’éliminer. Milan est un tueur à gage.

Ces deux VRP ont le même fonctionnement. Leurs activités nécessitent de trouver du confort sur les trajets qui les amènent à leurs clients. Les hôtels bien sûr, comme celui où Pignon et Milan se retrouvent, mais aussi les stations essences proposant de la restauration rapide afin de pouvoir reprendre la route. C’est ainsi que Milan se retrouve dans un de ces snacks-station essence pour prendre un café, bloquant un chauffeur-routier avec son véhicule. Par cette séquence, c’est tout un symbole de l’activité des flux économiques que Molinaro met en scène. Les stations essences pour remplir les réservoirs des automobiles sont des lieux de convergences des différents professionnels sillonnant les routes.

Un pays libéral

Autour d’une simple séquence, le film montre combien la France est passée des restrictions d’après-guerre à une société de consommation. Ainsi, alors que Pignon conduit Milan en voiture, celui-là réalise qu’il n’a plus d’essence. Pourtant, il va passer devant plusieurs stations sans s’arrêter. Milan lui demande de s’arrêter mais Pignon refuse car il ne prend que de la Fina. Derrière cette bêtise sans nom se cache une logique. Pignon fait la collection des santons en plastique pour son petit neveu et ceux-ci se trouvent donc dans les stations Fina.

En quelques secondes, le film entre en connivence avec les spectateurs. Sans rien leur expliquer puisqu’ils savent déjà. On ne reconnaît que ce qu’on connaît. Ainsi, la multiplication des marques de distributeurs d’essence montre que l’économie française est concurrentielle, une des caractéristiques des économies libérales. Cette concurrence joue donc sur une guerre des prix – ceux-ci sont affichés à l’extérieur de la station et visibles de la route – par une identification aux marques par leurs logos, et par des pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle. Ici, des cadeaux offerts aux clients pour tout plein d’essence effectué. Cette stratégie de fidélisation peut paraître archaïque mais elle est encore pratiquée aujourd’hui par les entreprises de tous les secteurs, y compris dans le numérique !

L’objet de la fidélisation est également intéressant puisqu’il s’agit de santons en plastiques. Cela montre d’abord une industrialisation de produits qui autrefois étaient des objets en terre cuite ou céramique. Comme l’essence, ils sont fabriqués à partir de produits pétroliers importés. Le pétrole est donc transformé par les raffineries pour en faire du carburant ou dans des usines de plasturgie pour en faire du plastique que des usines mouleront pour les transformer ici en santons. Cette production de masse réduit les coûts unitaires et démocratisent des objets qui étaient souvent conservés précieusement et transmis de génération en génération.

Cette fidélisation montre enfin que la France reste encore, en 1973 du moins, un pays foncièrement chrétien. Mais il s’agit d’un christianisme culturel où les objets religieux se vendent ou se gagnent dans des commerces sans aucun lien avec le culte. La crèche que réalise le neveu de Pignon a peu de chance d’être conservée. Il ne la fait que parce qu’elle est devenue objet de consommation et non de piété. Ces santons en plastique montrent également le peu de valeur conférés par ceux qui les collectionnent. Par une dévaluation des valeurs chrétiennes et de ses symboles, devenus objets de marketing !

Une France de la promotion soc iale

Enfin, le film met en avant ce qui caractérise les Trente glorieuses. Certes la femme de Pignon (Caroline Cellier) le quitte pour un notable neurologue (Jean-Pierre Darras) ce qui ressemble quand même à une ascension sociale plus classique par mariage. Mais l’idéal de Pignon est bien de pouvoir offrir à sa femme un pavillon individuel, symbole de la réussite sociale pour ceux qui n’étaient que des employés et à qui la croissance économique a permis d’accéder au statut de propriétaire. Cette ascension sociale se caractérise donc par des signes extérieurs de richesse qui passent par la voiture mais aussi par la maison.

Cette promotion sociale est aussi celle que permet l’école. Pignon veut des enfants pour qu’ils occupent un métier plus prestigieux que le sien, un avocat ou un pharmacien. Il y a cette idée que chaque génération peut progresser par rapport à la précédente. Loin des stéréotypes des décennies précédentes dans lesquelles les fils poursuivent le métier de leur père, Pignon n’envisage donc pas que son fils soit lui aussi un VRP. Cela est dû au fait qu’il n’est certainement qu’un employé. Il n’est pas artisan et n’a donc pas de succession patrimoniale en lien avec son métier à transmettre. IL est d’ailleurs curieux que les métiers qu’il cite soient à la fois des métiers intellectuels plutôt prestigieux mais également des professions libérales, donc indépendantes. Cette période ne fait donc pas la part belle aux métiers manuels mais au contraire aux métiers intellectuels à forte valeur ajoutée. Ceci s’explique entre autre encore une fois par la substitution des productions artisanales par la production industrielle qui démocratisent les produits, concurrencent les artisans et où les travailleurs se trouvent au bas de l’échelle sociale.

 

Avec L’emmerdeur, c’est une sorte d’instantané des derniers instants d’une confiance absolue des classes moyennes dans la prospérité. Cette même année allait éclater la première crise pétrolière qui allait secouer toutes les certitudes du film. L’industrialisation connaîtra un déclin du fait du renchérissement de l’énergie pétrolière, le chômage gagnera et rendra aux artisans leur prestige progressivement et l’école cessera également d’être cet ascenseur social dont se glorifiait les gouvernements successifs.

À très bientôt

Lionel Lacour

mercredi 3 février 2021

"La cité de la peur" : there is no business like show-business

 

Bonjour à tous.

Les comédies transgénérationnelles, celles que les parents montrent à leurs enfants et que les enfants intègrent dans leur propre culture, ne sont pas si nombreuses. Il en va des Tontons flingueurs, de La grande vadrouille ou du Père Noël est une ordure  et quelques autres, souvent des mêmes auteurs d’ailleurs. En 1994, Alain Berbérian réalise La cité de la peur sur un scénario écrit par les Nuls alors au sommet de leur gloire après le succès des deux saisons de Les Nuls, l’émission de 1990 à 1992. Ces stars comiques de la chaîne Canal + ont donc décidé de projeter leur talent sur grand écran, montrant que leur drôlerie inspiré des plus grands humoristes anglo-saxons pouvait être transposé en salle et sur la durée d’un film entier tout en conservant leur verve et leur spécificité reposant sur le décalage, le mauvais goût et l’implication des autres artistes dans leur délire. Mais c’est surtout dans l’univers du show-business qu’Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia plongent leur histoire. Et quoi de mieux que le festival de Cannes pour incarner le temple du show-business avec ses stars de cinéma, ses journalistes et ses groupies.

1.     Le star system revisité

Un nanar absolu Red is dead est projeté en séance de presse au premier jour du festival de Cannes.  Hormis un jeu d’acteur exécrable, une réalisation pitoyable et un discours politique d’un simplisme confondant avec son fameux « meurs, pourriture communiste », les Nuls posent clairement les faits. Ce film est nul tout comme son acteur principal. Pourtant, à la suite d’un fait-divers en lien avec le tueur du film. Le projectionniste de la salle de cinéma où est projeté Red is dead est assassiné comme le fait le tueur du film, avec un marteau et une faucille. Or, malgré le rejet du film par la critique, l’attachée de presse Odile Deray (Chantal Lauby) décide de tirer avantage de ce meurtre et attirer l’attention des médias sur son film. Elle décide de faire venir au festival l’acteur Simon Jérémi (Dominique Farrugia). Les spectateurs découvrent médusés un personnage qui vomit quand il est heureux, a des goûts alimentaires répugnants et ressemble dès son arrivée davantage à un enfant attardé qu’à un adulte accompli. L’objectif d’Odile est de le mettre en scène comme n’importe quelle star du 7e art. Pour cela, elle le fait accompagner d’une voiture, d’un garde du corps et procède à un relooking surtout après qu’un deuxième projectionniste a été assassiné selon les mêmes circonstances. Simon se retrouve alors sous les feux des projecteurs alors même que son talent d’acteur ne le justifie pas.

Cette notoriété soudaine ne touche d’ailleurs pas seulement Simon. En effet, dans plusieurs séquences, le film illustre comment certaines personnes deviennent des sujets d’attention pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’elles font. Ainsi le commissaire Bialès (Gérard Darmond) est-il accueilli telle une rock star par les  journalistes quand il arrive sur les lieux d’un crime. Cette notoriété est à la fois suscitée par une presse en quête de sensationnel et par ceux qui voient l’opportunité d’être mis en avant. Ainsi le commissaire s’inquiète de la tenue qu’il porte et remercie son adjoint d’avoir prévenu la presse. Mais ce sont surtout d’autres personnages qui troublent le plus, provoquant le rire. En effet la veuve du premier projectionniste assassiné se retrouve être désormais invitée dans tous les événements people du festival jusqu’à remonter les marches, telle une star connue de tous. Même par les journalistes commentant cette montée. La sous-préfète au look de cougar est citée deux fois comme si cela était important. En revanche, les deux animateurs de la soirée peinent à reconnaître le premier ministre, qui ressemble vaguement à quelqu’un qui passe à la télévision.

Derrière l’humour se cache malgré tout une critique d’un système médiatique s’intéressant davantage à ce qui fait l’actualité sensationnelle qu’au contenu. Ainsi l’animatrice reconnaît explicitement qu’elle n’a pas le temps de voir les films, toute occupée qu’elle est à se préparer et à paraître. C’est également le public qui est moqué, celui qui se presse voir un film dont ils ne savent rien et dont l’actualité sanglante confère une valeur n’ayant aucun rapport avec sa qualité cinématographique. Cet engouement est d’autant plus factice que les spectateurs réclament le remboursement de leurs invitations car la projection a un peu de retard. A contrario, les vrais artistes acceptent d’être ridiculisés dans des rôles mineurs. Il en est ainsi des quatre projectionnistes interprétés par Tchecky Karyo, Jean-Pierre Bacri, Daniel Gelin et Eddy Mitchell.

 

2.    Un focus taquin sur l’industrie cinématographique

Ainsi, c’est bien l’industrie cinématographique et ceux qui en vivent qui est gentiment, mais sûrement moquée dans La cité de la peur. Et notamment ce qui concerne l’après-production. Ainsi, il s’avère que le rôle des attachés de presse est primordial pour le succès d’un film. C’est ce que fait d’ailleurs avec passion Odile Deray en essayant de vendre un film calamiteux par l’organisation d’une séance réservée aux journalistes. Mais c’est également elle qui utilise le « buzz » autour de Red is dead et des assassinats de projectionniste pour relancer la promotion jusqu’à l’organisation d’une séance en clôture du festival. Rien n’indique d’ailleurs que ce film était prévu en projection dans la salle du Palais du festival. Le succès de cette promotion que le réalisateur montre une montée en puissance dans la communication, avec une attachée de presse gérant en quelques jours et dans des bureaux flambant neufs une équipe de communiquant déployant toutes les possibilités de marketing. Car derrière le succès médiatique du film, c’est la carrière d’Odile qui est en jeu. Peu importe le sort des personnes qu’elle côtoie, elle ne pense qu’aux retombées médiatiques. Et le « bad buzz » autour des meurtres n’est que du buzz pour le film dont elle a la charge. Jusqu’à ce qu’elle intéresse même des cinéastes étrangers !

Ainsi, le rôle des journalistes-critiques de cinéma est relégué au second plan. Ceux qui ont vu le film le premier jour du festival n’en ont pas parlé parce que trop mauvais, ou ne sont pas allés jusqu’au bout de la projection. À aucun moment il n’est mentionné dans La cité de la peur que le film ait été mal accueilli par eux. L’aspect qualitatif est donc relégué derrière des considérations autres. Et si le film des Nuls insiste à ce sujet, c’est aussi pour se moquer d’une cinéphilie parfois pointue que représente Cannes. Ainsi sont régulièrement cités les films projetés en compétition, avec des titres improbables, de réalisateurs inconnus venant des pays d’Europe centrale ou d’Asie. Ces films sont sélectionnés pour des critères qualitatifs mais si la lecture de leurs titres des films fait rire les spectateurs de La cité de la peur, c’est que cela renvoie aussi à un certain snobisme du festival de Cannes, sélectionnant parfois des films qui ne seront que peu programmés en salle et très peu vus. De fait, Red is dead peut être très mauvais. Sa carrière ne sera pas moins calamiteuse que certaine des films sélectionnés mentionnés.

En fait, les Nuls montrent surtout que le cinéma, et avec lui, le festival de Cannes – comme les autres événements du 7e art – sont surtout un business. Et au-delà des salles de projection, La cité de la peur insiste sur l’organisation du festival. Car s’il y a une sélection de films en compétition, Cannes est surtout pour les professionnels un moment privilégié pour faire connaître leurs projets, leurs productions. À plusieurs moments d’ailleurs apparaît un panneau indiquant « marché du film ». Il s’agit bien de quelque chose de choisi par la réalisation car Berbérian tourne en dehors de la période du festival. En effet, les habitués de cet événement auront remarqué l’absence des installations éphémères à proximité du palais et qui accueillent toutes les grandes institutions privées et publiques de l’industrie cinématographique. En disposant plusieurs fois ce panneau « Marché du film », le réalisateur rappelle que le cinéma est certes un spectacle – la preuve, il en fait une œuvre lui-même – mais aussi et surtout un business. Cela se traduit donc par des salles réservées aux professionnels ayant des badges spécifiques, des services de sécurité etc.

 

3.     Le business où tout est spectacle

Quand Serge (Alain Chabat) arrive à l’aéroport de Nice en tant que garde du corps du comédien Simon, il présente la voiture dans laquelle ils vont rejoindre comme une vraie publicité, ce que le réalisateur s’empresse de représenter ainsi avec des plans pastichant les spots publicitaires des véhicules censés vendre du rêve plus qu’une voiture. Il y a donc, au détour d’un gag, une confusion entre réalité, ils vont prendre une voiture, et l’illusion donnée par la mise en scène d’un véhicule ordinaire devenu un spectacle en soi.

Cette confusion va aller crescendo avec le spectacle que représentent les assassinats des projectionnistes. Les protagonistes, directs ou indirects, de ces crimes en série deviennent des personnages à part entière. Les veuves sont scrutées comme des héroïnes et acclamées sur le tapis rouge à égalité avec les artistes. Jusqu’à Emile le projectionniste amoureux d’Odile et le véritable assassin, qui montant les marches du palais pour projeter Red is dead attire l’attention des fans comme des animateurs. Il est un spectacle à lui tout seul car il pourrait être la prochaine victime. Le réalisateur insiste avec l’utilisation du ralenti et d’une musique de thriller. Tout est spectacle donc dans le cinéma, en dehors même du contenu des films.

D’ailleurs, Berbérian signifie cette omniprésence du spectacle par l’utilisation de procédés suscitant l’émotion à tous propos. Ainsi, quand Serge Karamazov doit éviter des mimes en faisant un saut sur la Croisette, le réalisateur utilise le gros plan sur le visage du garde du corps, le tout au ralenti pour accentuer encore plus les sensations. Quand il atterrit, des juges sortis de nulle part viennent mesurer la longueur du saut avec un record du monde ! Certes le décalage de la situation crée l’hilarité. Cela manifeste pourtant aussi que la réalisation audiovisuelle des compétitions sportives insiste de plus en plus sur l’émotion au-delà de la performance pure. Ce qui montre bien que ce « tout spectacle » est présent partout, pas seulement au cinéma. Et que ce « tout spectacle », comme pour l’industrie cinématographique,  ne prend pas en compte seulement le qualitatif !

Le spectacle est donc une clé de la société contemporaine. Et cela est relayé par les médias de l’immédiateté de 1994 dans un film qui ne connaît pourtant pas encore les réseaux sociaux. C’est ainsi que la télévision est omniprésente, que ce soit sur les lieux d’un crime avec foison de caméras relayant en direct l’arrivée du commissaire ou interviewant des victimes. La presse écrite se nourrit également de ces crimes en série pour « feuilletonner » et proposer chaque jour des titres plus accrocheurs pour vendre leurs journaux.

Comme un pied de nez arrive alors la séquence de la Carioca sur une musique latino génialement adaptée par Philippe Chany, longtemps compositeur attitré des films avec Alain Chabat. Elle doit occuper les spectateurs en salle face au retard de la projection du film Red is dead. Serge Karamazov entame ainsi un solo de trompette enchaîné par une chanson, bientôt rejoint par le commissaire. Séquence improvisée dans la narration du film, Berbérian en fait une sorte de réplique de comédie américaine avec des décors certes minimalistes mais créant une ambiance exotique, le tout mis en scène avec une vraie élégance artistique, le rire étant suscité par ce couple improbable de deux hommes effectuant une chorégraphie ambiguë. Cette séquence magistrale et mémorable au point d’être rejouée en 2019 au Festival de Cannes pour les 25 ans du film est de fait le seul moment de spectacle artistique de La cité de la peur - hormis la séquence finale de Red is dead – tout le reste n’étant que spectacle médiatique reprenant les codes des spectacles artistiques.

 

Le succès de La cité de la peur repose donc sur le talent de l’équipe des Nuls, de leurs acolytes habituels et des seconds rôles prestigieux. Les auteurs ont su transposer leur imaginaire fécond télévisuel sur un format plus long, enchaînant humour potache, gags et incises aussi efficaces sur petit écran que sur le grand. Mais le succès est aussi dû au regard porté par ces humoristes sur un univers dont ils connaissent parfaitement les contours et les limites, créant des notoriétés sur une exposition télévisuelle qui ne dure que le temps de l’émotion et de l’événement. Un système où personne n’est dupe du jeu et où chacun essaye de tirer profit. Car si les télévisions se précipitent sur les faits divers et les individus, la célébrité qui en découle vient aussi que chacun recherche ce que Warhol définissait par le quart d’heure de célébrité permis par les médias de masse. Depuis ce film, rien n’a changé. Au contraire. Les réseaux sociaux créent même le phénomène de viralité amplifiant la notoriété immédiate de parfaits inconnus. Et ce n’est pas Tomy, le pêcheur de coquilles Saint-Jacques de Saint Malo qui pourra dire le contraire après le reportage lui étant consacré en décembre 2020 par France 2, créant un engouement inouï autour de sa personne !

À très bientôt

Lionel Lacour

mardi 26 janvier 2021

"Les Bronzés font du ski" : une leçon d’économie !

 


Bonjour à tous

Tous les hivers, une chaîne de télévision programme le film culte de Patrice Leconte Les bronzés font du ski sorti en 1979. Si les spectateurs retrouvent les héros du premier opus Les bronzés sorti un an auparavant, ils vont aussi assister à un ensemble de situations renvoyant à la production, au management et à la relation client. Une base de travail formidable pour toutes les écoles de commerces en quelque sorte !


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Une société de services et de loisirs

Dès le début du film, Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) se trouve dans une gare parisienne pour partir en vacances dans une station de ski. Il a donc recours au service des transports collectifs pour rejoindre ses amis pour faire du ski. Et tout le film va décliner ensuite les services qui gravitent autour de cette activité touristique.

Ainsi Jean-Claude dort dans un hôtel et prend des leçons de ski avec un professionnel, Bernard et Nathalie (Gérard Jugnot et Josiane Balasko) louent leur matériel de ski dans lequel travaille Popeye (Thierry Lhermitte). Quant à Gigi (Marie-Anne Chazel), elle tient un restaurant dans la station de Val d’Isère où tous se retrouvent donc. Quant à Jérôme (Christian Clavier), s’il est médecin, il passe aussi son temps libre à skier et à emprunter les remontées mécaniques, un autre service loué aux touristes.

Ainsi, tout au long du film, c’est une bonne partie de l’économie touristique qui est déclinée reposant essentiellement sur des services mis en place pour les résidents éphémères. À ces services globaux s’ajoutent des services désignés aujourd’hui comme « premium » proposés en plus ou spécifiquement aux clients souhaitant des prestations moins ordinaires et forcément plus chères. Ainsi Popeye donne des cours particuliers à des clientes fortunées. De même, la bande d’amis organise une journée hors-piste avec dépôt de chacun en hélicoptère au sommet d’une montagne. Le surcoût de ces prestations est censé apporter un progrès plus rapide dans la maîtrise du ski ou des sensations plus fortes que celles de dévaler des pentes damées !

Une société de consommation

Le développement de la société de loisirs a entraîné une consommation lui étant spécialement dédiée. Mais si l’équipement pour le tourisme d’été est assez limité, ce n’est pas le cas pour le tourisme en montagne. Et le film va là encore déployer toutes les consommations spécifiques et les moyens pour pousser à la consommation.

Ainsi, le tourisme en montagne est clairement un tourisme de classes moyennes ou supérieures ayant les moyens de s’équiper. Vêtements chauds et adaptés à la neige, matériel pour rouler sur la neige comme les chaînes aux roues, matériel pour skier… L’arrivée de Bernard et Nathalie montre même des parvenus s’habillant avec des vêtements de marque à la mode comme Daniel Hechter. Si la marque est un critère de consommation, il en est un autre qui est celui de l’identification à des champions. Ainsi Jérôme est fier de skier avec des skis qui ont fait deuxième à Crans Montana, faisant référence aux compétitions du championnat du monde de ski. Mais Val d’Isère est montrée comme une station accueillant un tourisme de masse. Aussi les personnages du film ne sont pas ceux fréquentant les stations huppées des Alpes. Val d’Isère n’est pas Courchevel ou Megève. C’est pourquoi le film insiste sur les éléments rappelant que si le tourisme se démocratise, il touche des touristes n’étant pas encore des grands bourgeois. Cela passe par l’uniformisation des objets de consommation comme la Renault 20 de Bernard qu’il confond avec la même Renault 20 d’un autre touriste.  Ce sont aussi les skis qui se ressemblent tous car étant tous de même marques. Ce qui est d’ailleurs à l’origine d’un gag entre Bernard et un autre skieur lui ayant pris ses skis neufs au lieu des siens plus anciens !

Cette uniformisation des produits industriels se voit pourtant opposer l’existence de produits plus locaux et plus authentiques que recherchent ces touristes. Bien sûr la fondue savoyarde fait partie de ceux-là et il faut voir la colère de l’équipe quand Marius (Maurice Chévit) met du fil dentaire dans la préparation pour faire un gag mais gâchant le repas. Cette authenticité se retrouve aussi quand des Italiens rencontrés dans un refuge cuisinent pour tous des « spaghetti al pesto ». 

Le terroir se retrouve enfin quand les amis sont réfugiés chez des vrais montagnards. Gigi est subjuguée par un napperon fait à la main loin des standards des textiles industriels. Mais ce terroir offre également des produits non aseptisés aux goûts très prononcés et fabriqués artisanalement. Cette découverte donne lieu à une double séquence où les héros du film doivent manger un plat fait de restes de couennes et de fromages, puis boivent un alcool très fort. L’authenticité est parfois violente et ne correspond plus aux goûts désormais normés des citadins !

Mais c’est aussi dans le logement que se révèlent plusieurs stratégies de consommation. Si Jean-Claude réside à l’hôtel, la croissance économique des Trente glorieuses a amené à l’idée que le luxe était de devenir propriétaire de son logement puis d’une résidence secondaire. Des solutions ont donc été trouvées pour permettre d’atteindre ce rêve de classe moyenne à moindre coût. Ainsi Bernard et Nathalie ont acheté un appartement en « Time share », achetant non un bien immobilier mais une période d’utilisation de ce bien. De fait, ils sont copropriétaires avec jouissance du bien selon une période définie par contrat. L’illusion de la propriété est maintenue avec la possibilité de mettre sa carte de visite à la porte d’entrée et de disposer d’une décoration personnelle à son arrivée ! On est donc loin des chalets et des palaces de certaines stations luxueuses. Enfin, si Jérôme et Gigi vivent dans un petit chalet, Popeye, bien que saisonnier, doit vivre chez ses clientes au gré de ses aventures amoureuses, preuve que le coût du logement est aussi un problème pour ceux travaillant dans les stations le temps des périodes touristiques.

Relation clients et management des équipes

Le plus étonnant dans ce film reste la représentation du management et de la relation avec la clientèle, montrant de fait combien ces questions se posent déjà dans une France en pleine crise économique et devant repenser son modèle économique en s’adaptant.

La relation clientèle est montrée à différents moments dans l’écoute des professionnels à l’égard des clients. C’est par exemple la réceptionniste de l’hôtel qui doit faire face à la demande de chambre double de Jean-Claude. Ce sont les conseils donnés par le professeur de ski à ce même Jean-Claude pour qu’il améliore sa technique de ski et son fameux « planté de bâton ». C’est enfin Popeye qui conseille ses clients pour l’achat de matériel de ski, notamment des chaussures pour Nathalie.

Mais le film montre que cette relation positive avec la clientèle ne semble pas toujours aller de soi. Ainsi Gigi s’agace face à un client demandant une crèpe au sucre non présente sur la carte de son restaurant. Si la situation fait rire et l’exigence du client (Bruno Moynot) paraît exagérée, la réponse violente de Gigi et de son cuisinier témoigne de l’incapacité d’un commerçant à répondre à une demande simple d’un client aux arguments pourtant limpides : « vous avez de la pâte, vous avez du sucre… » Dans le même couple, le médecin Jérôme doit faire face à des clients peu ordinaires amenant leur cochon malade. Dans une colère semblable à celle de Gigi, Jérôme refuse de servir son client, rappelant qu’il est médecin et pas vétérinaire. Mais cela montre aussi qu’il a su un jour s’adapter vis-à-vis de personnes n’ayant manifestement pas de vétérinaires à proximité. Or cette adaptation entraîne chez ses clients une habitude. Ce qu’il a fait une fois, pourquoi ne le referait-il pas ? Quant aux activités de sport d'hiver, le service client laisse à désirer. Quand Jean-Claude Dusse prend son télésiège, il ne le prend pas en douce ou hors délai. Or l'employé des remontées mécaniques interrompt leur fonctionnement alors que Jean-Claude se trouve au milieu du trajet. Certes cela permet un gag devenu célèbre où il attend la nuit pour se laisser tomber dans la neige. Mais cela montre un service défaillant et peu précautionneux de ses clients. Il est évident que cela entrainerait aujourd'hui une poursuite en justice! 

Mais Les bronzés font du ski montre aussi les rapports entre patron et employé. Et c’est avec le personnage de Popeye que les situations sont déclinées. D’abord dans le magasin dans lequel il travaille. Employé par son ex-femme et son ex-beau-frère, il est régulièrement raillé et dénoncé devant les clients. Le malaise généré est montré par les postures prises par les clients, Bernard et Nathalie et les explications que Popeye trouve pour justifier les propos à son encontre. Or il apparaît manifeste pour le spectateur que le patron n’a pas le bon comportement, réglant un problème avec un employé devant des clients. Certes ceux-ci sont des amis de Popeye, mais ils peuvent être aussi des prescripteurs du commerce. Cette attitude managériale est évidemment moquée dans le film et influe sur la relation client puisque le patron refuse une remise aux clients s’étant pourtant largement équipés. Popeye est encore au cœur d’une relation patron-employé quand il se fait renvoyer par le mari d’une de ses clientes, de fait son employeur. Le spectateur identifie évidemment le licenciement pour faute lourde puisqu’on comprend que Popeye n’a pas seulement donné des leçons de ski. Si la séquence est drôlement filmée et interprétée, elle montre aussi la violence qui peut exister dans les relations employeurs et employés.

Enfin, Popeye est aussi montré comme un manager de projet quand il guide ses amis dans la sortie hors-piste qu’il organise. Tel en entreprise, il doit amener son équipe d’un point A à un point B en les aidant et en faisant valoir ses qualités d’expert. Or il s’avère que ses compétences ne sont pas à la hauteur créant une situation de désagrégation du groupe, chacun remettant en cause violemment, verbalement ou physiquement, l’autorité du chef d’équipe. Que ce soit face à une concurrence – des Italiens accaparent la meilleure partie d’un refuge – ou que ce soit dans la connaissance du terrain – Popeye se trompe pour rejoindre la station de ski.

De fait, Popeye ressemble à ces managers qui s’appuient sur leur charisme mais dont les compétences pour diriger une équipe sont vite remises en cause. En revanche, il apparaît meilleur dans l’action pure plutôt que dans la décision, mettant ses qualités individuelles au service du groupe perdu. De fait, ces qualités sont importantes dans une équipe et c’est finalement Jérôme qui va reprendre le management du groupe, se servant des compétences de Popeye, sélectionnant ceux pouvant mener l’action de secours à bien et veillant à l’efficacité de celle-ci. Jérôme, loin de son attitude suffisante et prétentieuse observable dans tout le film a réussi à montrer ses qualités de leader tout en ménageant son ami Popeye pour conserver ses réelles qualités.

 

Ainsi, cette comédie culte développe tout un discours autour de l’économie. Elle identifie un secteur d’activité, le tourisme d’hiver, et l’inscrit dans un propos plus large en intégrant ceux qui participent globalement à l’économie : les clients, les employés et les patrons. Hormis les services publics des trains, montrés cependant comme un service commercial comme un autre, le grand acteur économique absent de ce film reste donc la puissance publique. Jamais celui-ci n’intervient. Nous sommes clairement dans un film libéral dans lequel les enjeux économiques ne sont pas encadrés par  les collectivités territoriales ou les aides de l’État, pourtant présentes pour le développement de ces stations. Si ce film devait être tourné après la pandémie, pas sûr que l’État puisse être autant absent et que les relations clientèles soient montrées ainsi !

À très bientôt

Lionel Lacour

vendredi 22 janvier 2021

Quel antisémitisme au cinéma?

 

Bonjour à tous,

Depuis des années, je publie des articles analysant comment le cinéma traite des questions contemporaines ou de celles qui ont marqué l'Histoire de l'Humanité.

Ainsi, un bon nombre de mes articles concernent la représentation du génocide juif dans les films. Quand j'ai ensuite voulu écrire un article sur la représentation de l'antisémitisme actuel se retrouvant dans les sphères gauchistes et islamistes, je me suis rendu compte que quasiment rien n'avait été produit et cette absence m'a particulièrement interpelée. 

Une fois n'est pas coutume, je partage sur ce blog un article publié ailleurs. La plateforme d'information Fild pour qui j'écris de nombreux articles depuis plusieurs mois a en effet accepté de partager mon article à ce sujet dont voici le lien:

Quel antisémitisme au cinéma?

Je remercie Emmanuel Razavi et Peggy Porquet de permettre à ce que de tels articles puissent être publiés à grande échelle et j'espère que vous y trouverez un intérêt aussi. 

A très bientôt sur ce blog pour un article 100% Cinésium!

Lionel Lacour