dimanche 6 novembre 2011

Le cinéma américain: une arme pendant la seconde guerre mondiale

Bonjour à tous,

Si la Seconde guerre mondiale a été considérée comme une guerre totale par les historiens, c'est que tous les moyens humains ont été mis à la disposition de l'effort de guerre. Le cinéma fut un de ces moyens. Par sa force suggestive, le septième art avait depuis longtemps été compris comme un outil de propagande sans pareil et ce, dès les opérateurs Lumière! Le cinéma soviétique avait rapidement assimilé l'intérêt de l'image pour transmettre des messages simples voire simplistes aux masses populaires. De son côté, le cinéma américain ne fut pas en reste. La Warner était devenue une véritable société de production pro- Roosevelt et ce dès les années 1930. Ainsi Les aventures de Robin des bois de Michael Curtiz pouvait-il apparaître en 1938 comme une métaphore de l'action sociale du président démocrate dans un film évoquant certes le moyen-âge mais ... en couleur! Dès lors, le cinéma devint-il lui aussi une arme de guerre, véritable outil de propagande en Allemagne comme en URSS ou en France, mais aussi et surtout aux USA, et ce, alors même que ce pays n'était pas encore entré dans le conflit!
Cet article n'a bien sûr pas la prétention d'être exhaustif au regard de la production de films américains réalisés pendant ce conflit. Mais il a pour objectif de montrer combien une lecture de la guerre est possible grâce au cinéma à partir d'une analyse critique, celle qui comprend que les informations données aux spectateurs sont à la fois celles officielles et aussi celles qu'il est en capacité de recevoir, pas seulement par ce qui était raconté, mais comment cela était montré à l'écran.

I. Une guerre de propagande
Ce que le cinéma américain n'a en fait jamais cessé de faire pendant tout le conflit, y compris quand les USA n'étaient pas encore en guerre, c'est dans un premier temps de préparer l'opinion publique américaine que la guerre était inéluctable et imminente. Pour cela, il fallut désigner et dénoncer l'ennemi, ce qui était d'autant plus facile quand celui-ci devint effectivement l'ennemi. Mais plus encore, le cinéma américain permettait de rappeler quelles étaient les valeurs qu'il fallait défendre.

Ainsi, dans Les aveux d’un espion nazi en 1939, Anatole Litvak montre la présence de la ligue germanique existant aux USA et se réunissant en plein New York. En s'appuyant sur une réalité, cette ligue ayant notamment organisé un meeting en plein Madison Square Garden, Litvak avertit les spectateurs américains du danger que représente ce parti nazi qu’on ne peut combattre que par la force. Les Nazis ne s’assimilent pas dans les pays où ils vivent et ligues germaniques (avec la symbolique et propagande nazie) veulent abattre les démocraties et la constitution américaine. En mêlant à son propos filmique des images d'archive, Litvak, juif né en Ukraine, qui a vécu en Allemagne avant de la quitter après l'arrivée au pouvoir d'Hitler, d'abord en France puis aux USA, en appelle au patriotisme américain. La force de son propos réside notamment dans une séquence où des vétérans de la Première guerre mondiale faisant partie de la ligue américaine n’hésitent pas à défendre les valeurs démocratiques de leur pays. Face à un nazi qui veut mettre fin à la constitution des USA, ce sont les Américains qui lui font face, notamment un d'origine allemande mais qui en appelle justement aux valeurs défendues par les USA, notamment la liberté d'expression et surtout, la démocratie.

En 1940, Charlie Chaplin réalise un autre film de contre-propagande, Le dictateur. Dans ce pamphlet, point d'images d'archives mais un détournement de toute la propagande nazie. En situant l'arrivée au pouvoir d’Hynkel (Hitler) comme conséquence de la crise économique et de la misère de la Tomainie (pays imaginaire identifiable sans aucun doute possible à la Germanie / Allemagne) Chaplin caricature le régime hitlérien. Autoritarisme, charisme, symbolique détournée, soumission du peuple, militarisme et haine des juifs. Il pastiche à la fois son jeu d'orateur avec ses envolées lyriques et ses mouvements de bras, mais aussi la veulerie de ses subalternes, la soumission de l'Etat major et du peuple, l'utilisation jusqu'au grotesque des symboles de son parti, avec une double croix en guise de croix gammée, et enfin l'expansionnisme et l'esprit guerrier qui l'anime. Cette idéologie raciste et antisémite peut amener à l’extermination d’un peuple et à diriger le monde. Car c'est bien dans ce domaine que le film de Chaplin est finalement le plus intéressant. Il présente les contradictions de ce dictateur qui veut exterminer les bruns, tous les bruns et à qui Garbitsch (avatar de Goebbels) conseille d'exterminer tous les Juifs d'abord. Quand Hynkel rêve d'un monde de blond, Garbitsch lui prédit un empire blond, avec à sa tête un dictateur brun! Visionnaire sur bien des points, notamment dans la frénésie d'Hitler de trouver des armes les plus meurtrières, dans sa volonté d'être le plus grand des dictateurs, y compris par la taille (il faut voir cette séquence dans laquelle il défie Napaloni/ Mussolini pour être celui qui sera assis le plus haut!), Chaplin envoie pourtant un message pacifiste et plein d'espoir. Si un des moments d'anthologie du film, même s'il est encore critiqué par certains, reste le discours final du barbier juif qui, pris pour le dictateur, adresse au monde un message d'amour universel, Chaplin avait déjà annoncé dans le film que le rêve d'Hynkel (Hitler) était de conquérir le monde. En le faisant jouer avec un ballon de baudruche représentant le globe terrestre, Chaplin signifiait bien aux spectateurs que les désirs de conquête du dictateur ne s'arrêteraient pas à l'Europe. Passant devant la "double croix" dans une chorégraphie sur une musique de Wagner, compositeur ayant magnifié la nation allemande et dont se revendiquait Hitler, ce globe devenait un jouet du dictateur imaginaire et pourtant si réel. Mais Chaplin ne croyait pas en la victoire de Hitler et sa satire poussant les thèses du nazisme jusqu'à son accomplissement ne pouvait pas même l'imaginer. L'éclatement du ballon dans les mains de Hynkel faisait de ce dictateur un personnage dangereux mais d'opérette dont la puissance ne valait que par la lacheté des hommes qui lui laissaient finalement faire ses caprices. C'est par la compréhension de l'ensemble du film que le discours du barbier devient intelligible et prend tout son sens, et donc beaucoup moins naïf que beaucoup trop de critiques l'ont analysé.
En 1941, un autre européen émigré, allemand de surcroît, réalise un film contre le régime hitlérien. Dans Man hunt, Fritz Lang rappelle à des Américains qui ne sont pas encore en guerre, que celle-ci existe déjà en Europe. Par une séquence introductive mémorable, le spectateur se trouve en Allemagne en 1941, dans une forêt, accompagnant un chasseur. Lentement, méticuleusement, celui-ci prépare son fusil et vise son gibier. Or c'est Hitler qui apparaît sur le viseur de l'arme. Ménageant le suspens, le chasseur tire sur le dictateur mais le fusil n'avait pas de cartouche. Tel un chasseur appréciant dans la chasse la possibilité d'abattre l'animal, le chasseur salue à distance sa cible. Mais soudain, sans un mot, il comprend que son gibier n'est pas un animal comme un autre. Il charge son fusil et reprend sa position. Il est empêché de l'abattre au dernier  moment. Par cette séquence, Fritz Lang va encore plus loin que Chaplin dans un registre différent. Si Chaplin était dans la satire, c'est que Hitler lui semble encore vulnérable au moment de la réalisation de son film. En 1941, Lang, d'origine allemande, sait qu'il faut être plus direct. Point de Hynkel. Il faut abattre Hitler. Il faut mettre le spectateur dans la disposition du chasseur de la scène introductive. Il faut que chaque témoin de la partie de chasse pense: "tire". Or le chasseur ne peut réussir son coup dans le film puisque le spectateur sait que Hitler est encore en vie. Ce sera donc à lui d'oeuvrer pour mettre fin aux horreurs perpétrées par Hitler ou par les autres nazis. Et c'est bien ce dont-il s'agit dans le film puisque la fiancée du héros sera éliminée par les nazis. Quand un des bourreaux demande au chasseur en quoi Hitler était coupable pour qu'il mérite d'être tué, il lui est répondu qu'il est coupable envers l'humanité! Son assassinat aurait en soi été une sanction validant une condamnation au nom d'un droit non encore défini par une quelconque autorité puisqu'il a fallu attendre le procès de Nuremberg et 1946 pour définir le crime contre l'humanité. Juridiquement contestable, les propos du héros de Fritz Lang n'en demeure pas moins important quant à l'élaboration de ce nouveau concept de crime non envers un ou plusieurs individus mais envers la communauté humaine tout entière. Par ces mots, Lang présente l'ennemi dans toute son horreur. Il n'est pas qu'un simple chef de guerre. Ce n'est pas le seul fait de tuer qui est condamnable mais au nom de quoi ces crimes sont commis. Et dans ce cas, au nom d'une idéologie raciste, antisémite et totalitaire.

Mais l'ennemi américain n'est pas seulement nazi. Il vient aussi de l'autre côté du Pacifique. Dans Dive bomber, Michael Curtiz, le réalisateur de la Warner et du pré-cité Les aventures de Robin des bois, tourne en  1941 un film à la gloire des médecins aviateurs, avec Errol Flynn en vedette! Tout le propos du film tient dans le courage des médecins qui ont testé les effets de l'altitude et de la vitesse sur les pilotes d'avion. Or ce fil rouge narratif a bien du mal à masquer l'entreprise du réalisateur. Filmé en couleur, ce long métrage commence par des images de l'aviation de chasse américaine, de porte-avions sur lesquels atterrissent les pilotes et leurs engins. Aucune image de médecins, malgré le carton qui signale que le film est bien à la gloire de ces médecins-aviateurs. Mieux, la première séquence qui poursuit le générique place l'action dans les euax du Pacifique, à Hawaï. La menace pour les Américains dont on voit l'armada à l'écran est bien de ce côté, avec un Japon impérialiste depuis les années 1930, et non vers l'Atlantique! Pourtant, la guerre en Europe n'est pas ignorée. Mieux, l'implication des USA est même clairement établie puisque, alors quel'action se situe désormais sur la côte Est du pays, un des pilotes héros du film a pour mission de convoyer des avions de la côte ouest américaine vers l'Angleterre. Sans évoquer clairement la guerre, de nombreuses allusions au conflit européen jalonnent le film. Le convoyeur applique ni plus ni moins le pricnipe du Cash and Carry que le gouvernement américain a proposé aux Britanniques pour les aider dans la guerre. De même, quand ce même convoyeur propose de payer un verre à ses amis, il plaisante en indiquant qu'il fera un chèque signé Winston C! Il y a donc bien alliance de fait avec le Royaume Uni. Toujours sans évoquer l'ennemi directement, les pilotes se racontent les tactiques mises en place par les pilotes de la R.A.F. cour attaquer d'autres avions. S'ils l'évoquent, c'est bien que la R.A.F. combat un ennemi qu'il n'est nul besoin de préciser pour les spectateurs. Voici donc comment l'opinion publique américaine est préparée à une future probable implication des USA dans la guerre qui sévit en Europe et qui existe aussi en Asie.
Il est plutôt remarquable de voir que de très nombreux réalisateurs qui se sont impliqués dans ces films de propagande étaient des émigrés de première génération. Ainsi, Michael Curtiz était originaire de Hongrie. Et même s'il était venu aux USA en 1926, il ne pouvait être insensible à ce qui se passait en Europe et notamment dans son pays d'origine.
Quand les USA entrèrent en guerre officiellement après l'attaque du 7 décembre 1941 sur la base navale hawaïenne de Pearl Harbour par les Japonais, le cinéma hollywoodien n'a pas cessé de produire des films de propagande dénonçant à la fois l'ennemi et rappelant les valeurs défendues par les USA. Et comme avant 1941, ce fut souvent des réalisateurs immigrés qui tournèrent ou furent chargés de faire ces films. Ainsi, Franck Capra était-il un immigré ayant quitté la Sicile pour les Etats-Unis avec ses parents en 1903. Il avait alors 6 ans. En 1917, il s'engagea dans l'armée américaine alors qu'il n'était pas encore américain, ce qui fut le cas après sa demande de naturalisation en 1920. S'étant révélé dans les années 1930 avec des comédies à succès dont New York - Miami ou L'extravagant Mr Deeds. En 1941, il réalise un film sur la montée du populisme et le contrôle d'un leader populaire par les puissances économiques du pays avec Gary Cooper comme vedette: L'homme de la rue  (Meet John Doe en version originale). Cette prise de position politique rompait avec ses comédies légères dont il était devenu un maître. Ainsi, et alors qu'il n'avait jamais réalisé de documentaires, il lui fut commandé une série de film documentaires de propagande dans une série désignée par le titre Pourquoi nous combattons dans laquelle il mit ses talents de réalisateurs de fiction pour monter des images d'archives venant notamment de la propagande nazie. Le travail fut d'une redoutable efficacité, mêlant le savoir-faire d'un cinéaste, la force des images et le souci pédagogique nécessaire pour comprendre les raisons du gouvernement américain à envoyer les "boys" américains sur les front européen et pacifique.

Mais montrer l'ignominie du nazisme ne suffit pas. Il fallait aussi montrer en quoi le modèle américain était supérieur. Et c'est encore un réalisateur né en Autriche Hongrie qui réalisa son premier film américain en 1936 qui dans un film "policier" servait en réalité la propagande américaine. Ainsi, Otto Preminger réalisait en 1943 Margin for error. Preminger, juif lui-même, met en scène un policier américain juif qui réussit à convaincre un jeune diplomate nazi non de la supériorité mais de la grandeur des idéaux américains sur ceux nazis. Alors que ce jeune nazi découvre que par un problème d'ascendance familial, il n'est plus un nazi pur, le policier lui démontre que tout ceci n'est que propagande d'un dictateur qui a enelvé à son peuple toute liberté d'expression. Au contraire, être américain renvoie au droit du sol et non du sang. Les origines importent peu. Et de citer des gens originaires de toute l'Europe, tous Américains! Le message de Preminger est très fort. Au côté radical du nazisme répond la générosité américaine. En permettant à ce diplomate nazi d'intégrer la nation américaine, c'est bien la grandeur des USA qui est magnifiée. Et ce diplomate fait alors son devoir en s'enrôlant dans l'armée américaine pour devenir à son tour un héros, héros ordinaire mais héros américain!

II.  Une guerre sur tous les fronts

Ce que le cinéma américain réussit à faire en opposant les valeurs de libertés à l'idéologie nazie, il le réalisa aussi dans la présentation des différents fronts de la guerre. Aucun n'y échappa, même ceux fantasmés, notamment aux USA eux-mêmes, puisque ceux-ci craignaient la fameuse cinquième colonne que les nazis auraient déployée dans leur pays. Deux films illustrent parfaitement l'ouverture de ce front. Echec à la gestapo, réalisé par Vincent Sherman en 1941 juste avant l'entrée en guerre des USA témoignait de cette peur de voir le conflit européen entrer aux USA. Humphrey Bogart, connu surtout pour ses rôles de méchant devenait dans ce film un des pourfendeurs des nazis. En 1942, La cinquième colonne  d'Alfred Hitchcock poursuivait l'idée de se méfier des nazis qui pouvaient infiltrer la démocratie américaine. Au passage, on trouve dans cette angoisse de la cinquième colonne une des clés pour comprendre ce que fut après la guerre le maccarthysme.
Mais c'est bien sur les zones de combat que le cinéma américain joua un rôle dans la présentation aux citoyens des USA des Alliés, de leur manière de combattre et des raisons de repousser l'ennemi jusqu'à la victoire finale.
1. Combattre dans l’Europe occupée
Avec To be or not to be, le réalisateur né en Allemagne, Ernst Lubitsch, réalise en 1942 un film montrant ce qui servit finalement de déclenchement de la seconde guerre mondiale, la conquête rapide et brutale de la Pologne par la Wehrmacht le 1er septembre 1939. Or Lubitsch présente des Polonais qui ne se soumettent pas à l'occupant nazi, malgré la propagande hitlérienne qui sévit, notamment par la distribution de son Mein kampf mais aussi par les menaces affichées contre tous ceux qui pourraient se rebeller contre l'ordre hitlérien. En effet, Lubitsch rappelle que les camps de concentration sont ouverts pour tout résistant. Sur ce point, il faut cependant éviter de faire de l'Histoire à l'envers. Lubitsch ignorait l'existence des camps d'extermination comme d'ailleurs les Alliés eux-mêmes, même si certains historien remettent en cause ce point précis. En revanche, l'existence du système concentrationnaire était connu depuis 1933 puisque Hitler au pouvoir en avait déjà fait édifier en Allemagne pour tous les opposants à son régime.
To be or not to be est moins un témoignage qu'une oeuvre magnifiant la liberté. En effet, Lubitsch montre que les Polonais ont d'emblée résisté par des gestes symboliques, par des attentats et des sabotages, mais aussi par l'envoi de pilotes de chasse à Londres, à l'instar des Forces Françaises Libres. Mais surtout, par la suppression des représentations théâtrales par l'occupant nazi, Lubitsch montre une des facettes de ce totalitarisme, à savoir le contrôle de toute forme d'expression artistique libre. Or c'est par les comédiens que son intrigue aboutit à la défaite des autorités nazies dans son film!
La réistance a donc commencé au cinéma dès l'épreuve de force imposée par les troupes nazies aux Européens. Jean Négulesco, réalisateur roumain d'origine, montre cela également en1944 dans Les conspirateurs. Sabotages d’usines, de trains, meurtres de soldats allemand, le héros résistant du film semble harceler l'occupant des Pays Bas. Interprété par Paul Henreid, acteur autrichien ayant migré aux USA après l'ascension de Hitler au pouvoir, ce personnage voit sa tête mise à prix. Une seule solution lui est possible, migrer au Royaume Uni via le Portugal. Ainsi Londres est-il régulièrement présenté comme la terre d'accueil de toutes les Résistances européennes, capitale du seul pays à continuer le combat contre Hitler. Ce film fait appel à d'autres vedettes venues de l'Europe centrale ou de l'Est. Ainsi, le grand Peter Lorre, interprète du célèbre M le maudit de Fritz Lang fait-il aussi partie du casting. Hedy Lamarr, vedette du cinéma allemand des années 1930 tient-elle le rôle féminin principal.
Tous les films ne sont pas pour autant tournés par des émigrés européens. Raoul Walsh, né à New York, réalise en 1942 Sabotage à Berlin. Ce film montre combien le combat mené contre le IIIème Reich s'organise en Angleterre, en relation avec les Résistances européennes, notamment polonaises. Les personnages, soldats alliés, viennent de tout le monde libre, y compris l'Australie. Une séquence montre à quel point la logistique et la préparation des attaques alliées ne sont pas conduites à la légère: photos aériennes, plans et informations venant des Polonais permettent d'élaborer les actions militaires. Et lorsque la mission échoue, les militaires alliés, parmi lesquels on retrouve Errol Flynn et Ronald Reagan, savent réagir et continuer leur mission, en volant notamment des documents secrets, établissants des projets militaires nazis comme l'intensification de la production des avions Messerschmidt. En ajoutant quelques phrases anti-alliées que les nazis auraient écrites, parlant de la démocratie dégénérée américaine, l'effet sur la population américaine est évident: continuer à produire encore plus contre les Allemands qui veulent détruire les USA.
Usines allemandes tournées vers la production militaire intensive : ici avions Messerschmidt. Au passage, les Italiens, alliés de l'Allemagne nazie sont plutôt vus comme des ennemis peu dangereux et des alliés du Reich peu sûrs! Mais ceci est une constante des films américains que se retrouve dans d'autres films..
Mais c'est bien un émigré qui a fui l'Allemagne en 1937 car sa femme juive était menacée par le nazisme qui réalisa pour son premier film américain Hitler’s madman en 1943. PLus que d'autres, Douglas Sirk pouvait savoir ce dont étaient capables les nazis. Il choisit alors de raconter l'Histoire du peuple de Lidice, en Bohême Moravie massacré le 10 juin 1942 après que Heydrich, avait été exécuté le 27 mai 1942 par deuxrésistants Tchèques venant de Londres.  Mais avant d'arriver à cela, Sirk avait justement décrit comment le prince protecteur de Bohême Moravie traitait les Tchèques, notamment par la sélection des jeunes filles comme du bétail, et considérées par Heydrich comme inférieure aux Allemands (« dommage qu’elle soit tchèque »).  Une fois triées et sélectionnées pour être envoyées dans des maisons closes et sur le front pour le plaisir des soldats, les filles étaient présentées à un médecin dont le spectateur comprenait que l'objectif n'était pas de soigner mais certainement de pratiquer une stérilisation. Le filme magnifie alors la Résistance tchèque par sacrifice plutôt que d’obéir aux ordres nazis ; ainsi, une des femmes sélectionnées préfère mourir plutôt que de prostituée. Et, suite à l'élimination d'Heydrich et alors qu'il fut décidé de raser et d'exterminer tous les habitants de Lidice, c'est tout ce peuple qui résiste en ne fuyant pas et en chantant face à la mitrailleuse qui les massacre. Le film se conclut par un vrai moment de cinéma. En effet, alors qu'il n'y a plus âme qui vive dans le village, des personnages sont présentés sur fond de feu et de chaos, marchant vers la caméra, regard vers l'objectif. Ils s'adressent aux spectateurs américains, leur rappelant qu'ils ont combattu pour la Liberté, et qu'ils ont besoin d'aide pour qu'il n'y ait plus d'autres Lidice. Un des Tchèques porte même un chapeau de cow-boy montrant bien que les Tchèques d'un jour pourraient être les Américains d'un autre. Ils s'adressent en anglais bien évidemment. Lidice est donc une sorte de rappel du fameux "Pourquoi nous combattons". Et pour que le message passe encore davantage, le film se termine sur un message d'espoir de nature clairement  messianique.

2. Combattre sur le Front Est
Si le cinéma européen impliqué dans le combat à l'Est de l'Europe a montré cette partie du conflit, comme Marc Donskoi en 1943 dans L'arc en ciel montrant la résistance des Partisans face aux nazis et aux traîtres ou pour le cinéma italien L’homme à la croix de Roberto Rosselini en  1942, présentant les Bolcheviks comme des barbares blasphémateurs face aux Italiens respectant le droit de la guerre, c'est bien le cinéma américain qui trouble dans sa présentation du conflit dans cet espace géographique.
Dans Mission to Moscow, Michael Curtiz réalise en 1943 un tour de force extraordinaire. En s'appuyant sur le témoignage de l'ambassadeur américain Joseph E. Davis qui le fut en URSS, le réalisateur présente un portrait incroyable de Staline, véritable propagande que le parti communiste n'aurait pas renié! Mieux, dans une séquence dans laquelle l'ambassadeur américain explique la nécessité d'aider Staline, le voici qui justifie contre la réalité historique et l'attaque de la Finlande par l'Union soviétique et le pacte germano-soviétique, qui aurait été signé pour donné du temps aux occidentaux! L'action du film se passe avant le 7 décembre 1941, c'est-à-dire avant l'attaque de Pearl Harbor. Le film sert en fait à justifier l'aide accordée aux Soviétiques, idéologiquement ennemis des Américains. Il fallait donc présenter l'URSS comme un pays allié, ennemi d'Hitler avec un dictateur à la limite de l'humanisme! Même Roosevelt est convoqué pour permettre à l'URSS de bénéficier du "Crédit bail" accordé aux pays alliés dont le Royaume Uni était jusqu'alors l'essentiel utilisateur. Michael Curtiz souligne à quel point l'élite politique et économique des USA se sentait isolée des menaces extérieures. Mais dans un plan mêlant le drapeau japonais à un zéro, avioin de chasse nippon à la date du 7 décembre 1941, le réalisateur fait basculer le film dans la guerre totale, présentant la nécessité de combattre et de sortir de l'isolationnisme. De manière très appuyée, toute alliance contre nature est justifiée pour combattre les deux principaux ennemis: l'Allemagne et le Japon. Aux images d'archives présentant la résistance soviétique contre l'armée allemande se succèdent d'autres images, composées celles-ci en studio, présentant l'aspect mondial de la guerre, à Gudalcanal ou au Sahara, montrant le sacrifice des soldats des pays se battant pour un monde libre! Très didactique, le film va même jusqu'à représenter une grande salle d'état major cernée des drapeaux des pays constituant déjà les Nations unies, salle au centre de laquelle se trouve une table recouverte d'une carte désignant les différentes zones de conflits. Mais si ce film a bien pour objectif d'intégrer l'idée d'alliance avec Staline pour les spectateurs américains, c'est bien auprès d'eux et des valeurs américaines que le film se termine sur une image véhiculant les valeurs chrétiennes dignes d'un sermon d'église évoquant l'Ancien Testament, sur fond d'image en ombres chinoises révélant des silhouettes d'individus dont on reconnaît des origines diverses et se dirigeant vers une route illuminée par les rayons solaires, autre évocation chrétienne.
Mais ce film n'est pas le seul film américain à vanter les mérites des partisans soviétiques. Jacques Tourneur, dans un des films qui, de son propre aveu est à oublier - à lire dans l'entretien qu'il accorda à Bertrand Tavernier que celui-ci a transcrit dans son livre Amis américains - a mis en scène l'histoire d'amour d'un partisan et d'une jeune Russe au moment de l'invasion allemande en 1941 lors de la mise en oeuvre de l'opération Barbarossa dans Days of glory en 1944. Le partisan est interprété pour son premier rôle au cinéma par Gregory Peck. Film de guerre et romance coïncide pour finalement aboutir à convaincre les Américains que la Résistance  soviétique se fait par le sacrifice de très nombreux partisans qui meurent pour une cause patriotique. Pas de happy end  pour les deux amants dont la jeune femme, interprétée par Tamara Toumanova, une danseuse russe qui avait quitté son pays dans les années 1920,  qui décide d'intégrer les partisans et de rejoindre son fiancé alors même qu'elle sait que sa vie est perdue puisque les puisque les puissants chars allemands arrivent sur eux. Pourtant, le commentaire final en voix off témoigne du courage de ces partisans qui ont su repousser et contenir les troupes motorisées de la wehrmacht. Encore un film américain que la propagande soviétique n'aurait pas désavouée et qui recoupe le film de Marc Donskoi sur l'héroïsme des partisans russes! Vus aujourd'hui, ces films, Mission to Moscow et Days of glory  apparaissent comme des ovnis cinématographiques quand on sait ce que sont devenues par la suite les relations américano-soviétiques à partir de 1945!

3. Combattre hors d’Europe : l’Afrique et le Pacifique
Ce que montraient les films américains évoquant le front russe, c'était la capacité du cinéma hollywoodien à évoquer la guerre dans sa globalité, à justifier les alliances improbables en racontant des histoires dans lesquelles les Américains pouvaient finalement se retrouver eux-mêmes. D'où ces histoires d'amour en plein récit militaire. Ainsi en fut-il pour les autres zones de combat.
Billy Wilder né en 1906 dans l'empire austro-hongrois, puis ayant travaillé à Berlin quitta l'Allemagne par crainte que ses origines juives ne lui porte préjudice. Arrivé dans les années 1930 à Hollywood, il y travailla comme scénraiste avant de devenir réalisateur. En 1943, il tourne son troisième long métrage, Les cinq secrets du désert, mettant en scène les victoires du Maréchal Rommel - interprété par le grand Erich Von Stroheim, un Autrichien - avant sa défaite en octobre 1942 face aux troupes du Général Montgommery à El Alamein. Dans ce film, Wilder réussit le tour de force de raconter une des premières grandes victoires des Alliés en utilisant des images tournées en plein désert présentant les forces blindées anglaises. Mais il parvient à intégrer plusieurs autres ingrédients dans son histoire, à commencer par une explication fictionnelle des victoires de l'Afrika Korp. A cette explication fantaisiste s'ajoute une opposition entre un officier britannique, joué par Franchot Tone et une jeune française interprétée par Anne Baxter. Celle-ci reproche aux Anglais d'avoir abandonné les soldats français sur le port de Dunkerque en juin 1940. En réponse, l'officier britannique lui explique que les Anglais ont eux aussi perdu des hommes dans cette débâcle mais que c'était le prix à payer pour pouvoir continuer le combat contre l'ennemi. De cette opposition naîtra néanmoins une histoire d'amour en contre-point de la grande Histoire racontée par le film. Mais Les cinq secrets du désert sont aussi une veritable enquête policière pour comprendre comment Rommel réussit à vaincre les Alliés. Enfin, et comme cela a déjà été expliqué pour un autre film - voir Sabotages à Berlin de Raoul Walsh - l'allié italien représenté par un général se prenant pour un ténor d'opéra est surtout ridiculisé et montré finalement comme un homme ne reprenant en aucun cas une menace mais juste un allié de folklore, prompt à rompre cette alliance. En finissant son film par la possible retrouvaille entre les deux amoureux lors de la conquête menée par les britanniques des différents villages qui mènent d'El Alamein à la Tunisie, le film permet à tous les spectateurs d'y trouver leur compte: une histoire romantique pour les uns, un film de guerre pour les autres mais où dans tous les cas ce sont les Alliés qui triomphent, avec un rapprochement franco-britannique en prime.

Ce rapprochement entre Français et Alliés anglo-saxon se retrouve aussi dans Sahara de Zoltan Korda en 1943, réalisateur d'origine hongroise et grand admirateur de l'empire britannique. Il tourna d'ailleurs la majorité de ses films sur la présence britannique dans les colonies sont Quatres plumes blanches ou Le livre de la jungle. En faisant tourner Humphrey Bogart dans Sahara, Korda s'assurait un acteur qui devenait un des plus utilisés pour le cinéma de propagande américain et donc une crédibilité supplémentaire quant à ses propos. Korda reproduit dans le désert l'Alliance avec des soldats américain, britannique, français et des colonies. Face à eux, un italien et un pilote d'avion allemand, tous deux prisonniers des premiers. Le film présente surtout les motivations différentes des Alliés mais avec un but commun. La présence du Français est un positionnement clair pour Korda faisant des vrais Français des Français qui combattent les Nazis en les haïssant. Mais c'est autant la description des représentants de l'Axe que l'histoire en elle-même qui compte. Le pilote allemand est montré comme d'une arrogance rare, demandant à ceux qui l'ont abattu de se rendre alors même qu'il est lui-même encerclé par ces soldats alliés. Il refuse d'être fouillé par le soldat noir car il est d'une race inférieure. Le caractère raciste de ce pilote ne fait plus aucun doute sur son idéologie nazie. C'est encore un rappel aux spectateurs américains, et notamment les noirs américains, que combattre les nazis, c'est aussi combattre un pays raciste... pire que les USA eux mêmes et leur ségrégation? Mais c'est encore sur le rapport entre l'Italien prêt à trahir et l'Allemand, prêt à commettre les pires atrocités que le film a un intérêt majeur. En analysant ces films évoquant ces alliés de l'Axe, le cinéma américain crée une nette différence entre les deux ennemis, le plus dangereux étant sans aucun doute l'ennemi nazi.
En revanche, quand il s'agit de raconter des histoires de guerre ayant lieu dans le Pacifique, l'ennemi japonais est présenté tel l'ennemi nazi, tout aussi endoctriné et dangereux. Dans Destination Tokyo, Delmer Daves tourne son premier film en 194 avec deux stars du cinéma américain, Cary Grant et John Garfield. L'action se passe essentiellement dans un sous-marin américain commandé par Cary Grant. Le film rappele aux spectateurs américains que les USA réagirent rapidement après l'attaque de Pearl Harbor en bombardant dès décembre 1942 le Japon et Tokyo. Le film a pour vocation de montrer encore une fois l'effort de guerre des Américains pour combattre l'ennemi japonais. L'utilisation de codes secrets, de sonars dans les sous-marins témoignent de la mobilisation de toutes les technologies pour triompher des Nippons. Le soutien des familles dont les enfants jouent avec des reproductions des sous-marins en jouet, le rôle des pin up affichées sur les parois des navies illustrent encore que ce sont tous les USA qui combattent à leur niveau pour remporter la victoire. Sur les torpilles lancées contre les navires de guerre japonais, Delmer Daves laisse à la caméra le soin de bien montrer les différentes inscriptions écrites par les marins, que ce soit des mots d'amour à leur fiancée, des moqueries contre le mikado, caricaturé évidemment, un des mots en hommage à d'autres marins décédés. Mais cet effort de guerre est également celui des Japonais et le film témoigne de cela aussi. En effet, si le combat dure, c'est que le Japon a mobilisé toute sa puissance pour se doter d'une flotte puissante avec de nombreux porte-avions notamment. Mais il sait également se défendre en protégeant ses côtes par des barrières de mines sous-marines.
Bien des films hollywoodiens ont présenté les combats menés par les Américains dans le Pacifique contre les Japonais. Mais celui d'Edward Ludwig apporte un point de vue original. Dans Alerte aux marines réalisé en 1944, le réalisateur présente quelques aspects fondamentaux de la victoire possible des Américains. Tout d'abord, il montre combien la mobilisation des Américains est continue avec le rôle des leaders charismatiques pour entraîner derrière eux de nouvelles mobilisations. Ainsi, le chef d'entreprise Donovan interprété par John Wayne devient-il une fois enrôlé un facteur de recrutement. Le rôle des médias est de ce point de vue rapidement montré mais essentiel car il est le moyen d'informer les autres lecteurs qu'il s'est enrôlé.
Le film s'attarde alors sur l'entraînement proposé à ces hommes qui sont de tous les âges et de tous les horizons. Derrière une chanson dynamisante s'entendent des paroles rappelant encore pourquoi il faut comabattre: se souvenir toujours du 7 décembre. Mais c'est surtout la nature de l'entraînement qui peut amuser aujourd'hui et qui pourtant explique un peu plus la force de l'armée américaine durant cette seconde guerre mondiale. En effet, les nouvelles recures font à la fois des exercices physiques, du maniement d'armes, du combat à main nue, mais aussi comment dormir dans un hamac! Plus important encore est la justification de l'intdu recrutement de Donovan. C'est un entrepreneur en travaux publics. Il est donc un spécialiste pour contruire des infrastructures routière et autres. Le film témoigne donc encore de la mobilisation de toutes les compétences américaines pour triompher dans cette guerre. Or la guerre du Pacifique était menée avec une stratégie de conquêtes des îles les unes après les autres. Il fallait donc les aménager pour les transformer en terrain d'aviation pour pouvoir ensuite partir à la conquête des îles suivantes. C'est donc bien l'effort logistique et non guerrier qui est mis en avant dans ce film, effort consenti par les USA et leur population nombreuse prête à se mobiliser par tous les moyens. Ludwig construit son film par étape successive des qualités de Donovan, l'Américain modèle type. Face à des situations extrêmes, il est capable de désobéir à des ordres ou d'agir en prenant des initiatives. Ceci lui est reproché par son supérieur mais ce dernier lui reconnaît pourtant ces qualités et, après avoir été blessé, lui laisse le commandement pour conquérir une île face à des Japonais lourdement armés notamment en chars blindés. Enfin, le film doit tout autant magnifier l'effort américain que diaboliser l'ennemi. Et le moyen le plus simple dans cet exercice est de rencre immonde l'ennemi, soir par l'idéologie, ce qui était le cas avec les nazis, soit par l'enlaidissement physique, ce qui fut le cas pour les Japonais d'Alertes aux marines. Ce qui était d'autant plus efficace qu'au physique laid des soldats japonais était associé un sourire sarcastique et cruel alors qu'ils allaient utiliser le canon de leur char contre les gentils Américains!



 III. La France pendant la guerre: Hollywood pour la France Libre
Le cinéma français a connu une production pendant la "drôle de guerre" évoquant la guerre comme par exemple le film de Georges Lacombe Elles étaient douze femmes réalisé en 1940.

Même après la défaite, le cinéma français continua à produire des films, dont certains étaient franchement pro-vichystes comme le film Monsieur des Lourdines de Philippe de Hérain, beau-fils du Maréchal Pétain sur un scénario du collaborationniste Alphonse de Chateaubriand. D'autres étaient au contraire critique vis-à-vis de ce régime policier et Les visiteurs du soir de Marcel Carné en 1942 Le corbeau de Henri-Georges Clouzot en 1943 correspondaient à ces films. Mais l'essentiel du cinéma français était un cinéma sans prise de position suffisamment notable, et en tout cas, jamais ouvertement favorable aux FFL et à de Gaulle et pour cause dans un régime autoritaire et anti-républicain!
Une fois encore, c'est le cinéma américain qui va raconter et mythifier la résistance française dans tous ses aspects.

1. Une critique sévère de Vichy
En 1942, Michael Curtiz tournait le plus célèbre des films sur la Résistance européenne et française: Casablanca. Ce film est d'abord la présentation d'un territoire resté sous contrôle de la France sous gouvernement de Vichy et du Maréchal Pétain. La scène introductive présente d'ailleurs l'exode des Français après l'armistice du 22 juin 1940 et la ligne de démarcation. Certains veulent rejoindre Casablanca sous administration française pour rejoindre le Portugal et ensuite Londres. Or Casablanca est montré autant sous autorité française que sous contrôle allemand. L'action commence d'ailleurs par la volonté d'arrêter des Résistants ayant en leurs mains des documents importants volés aux nazis. Or c'est toute la police et la gendarmerie françaises qui sont mobilisées pour arrêter ces Résistants dont l'un est abattu devant une affiche avec le portrait de Pétain sur laquelle est écrit: "Je tiens mes promesses, même celles des autres". Cette affiche, qui a réellement existé, illustre terriblement l'état de la collaboration de Vichy avec l'Allemagne nazie, en opposition avec ceux qui résistent et se référant à la France Libre, les papiers du Résistant abattu en témoignant puisqu'il y avait un document avec la Croix de Lorraine, symbole des fidèles de De Gaulle. Tout le film montre alors la situation intenable des défenseurs de l'ordre vichyste face à la réalité du pouvoir nazi incarnée par la présence des SS dans la ville. Le capitaine Renault, interprété par Claude Rains, le prince Jean des Aventures de Robin des bois, joue alors ce rôle du représentant du pouvoir de Vichy. Pourtant, son rôle devient clairement ambigü pour les spectateurs jusqu'à ce qu'il tire sur le major SS, mettant fin de fait à sa situation de représentant du pouvoir légal. Pour symboliser ceci, le capitaine Renault jette la bouteille d'eau de Vichy à la poubelle, Curtiz s'attardant par un gros plan sur cette image forte du rejet d'un régime de collaboration pure.
Dans Passage to Marseille réalisé en 1944 par ce même Michael Curtiz, Claude Rains, encore lui, joue le rôle d'un commandant des FFL. En accueillant des journalistes anglais, il leur demande qui ils viennent interviewer? Le traître comme le dit Laval? Le film s'adressant aux spectateurs Alliés, l'effet, combiné à la présentation glorieuse des Forces Françaises Libres, est évidemment de justment rappeler que ceux qui ont trahi la France se trouvent être ceux qui dirigent et soutiennent Vichy.

Mais c'est peut-être dans Le port de l’angoisse d'Howard Hawks en 1944 que la réalité du régime de Vichy est la mieux présentée, celle d'un régime policier et ridicule qui s'excerce sur tout le territoire français resté sous l'administration de Vichy, et notamment dans les Antilles françaises. En effet, la police n’a rien d’autre à faire que de demander les noms de ceux qui osent critiquer Vichy,  même ironiquement ou modérément. Ce qui est le cas dans une séquence dans laquelle un client de Harry, interprété par (encore) Humphrey Bogart, se demande ouvertement pourquoi le drapeau français n'est pas en berne alors que le pays a perdu la guerre. Mais Vichy n’a pas les moyens de ses ambitions et les deux Américains ne sont pas arrêtés, démontrant s'il le fallait encore l'impuissance de Vichy malgré ses velléités répressives.






2. La résistance française : clandestine en France, mythifiée à Hollywood
Casablanca, au-delà de la présentation de la réalité du régime de Vichy, présente aussi les différentes facettes de la résistance. Certains Résistants montrés comme des héros qui doivent agir dans la clandestinité et s’opposer à la police française risquent leur vie. D'autres résistent par des petits gestes, de manière ponctuelle, profitant de chaque occasion pour rappeler leur soutien à la République. D'autres le deviennent en abandonnant le légalisme vichyste et en passant par la légitimité de la Résistance armée. C'est le cas du capitaine Renault. La résistance passe aussi par l’affirmation de valeurs républicaines, défendues notamment par Victor Laszlo, un Résistant hongrois interprété par Paul Henreid. Dans une des séquences les plus célèbres et les plus émouvantes du film, ce sont tous ces Français ou Résistants qui se retrouvent à chanter dans l'American Café tenu par Rick (Humphrey Bogart!)  La Marseillaise pour répondre à un chant de guerre allemand entonné par les SS.  Cette séquence voit des gendarmes, des simples Français, un Résistant hongrois traqué par la gestapo chanter cet hymne républicain condamné par Vichy, demandé par Victor Laszlo, autorisé par l'Américain Rick sous l'oeil goguenard du chef de la police de Vichy et provoquant le silence et le renoncement du major SS. Séquence improbable évidemment mais qui n'était destiné qu'à présenter une France favorable à la République et à la Liberté. Le revirement de Renault à la fin du film montre également qu'être vichyste n'était pas être nazi car cela était une attitude qui pouvait être légaliste. Le renoncement à Vichy passait par la compréhension de ce régime, un régime réellement collaborationniste. Ce qui fit le succès du film fut aussi lié à l'histoire d'amour impossible entre Rick (Bogart) et Ilsa (Ingrid Bergman), conclue par une scène mythique sur un aérodrome. Enfin, ce que le film permettait de voir, c'était un casting d'Européens ayant quitté leur pays après l'arrivée au pouvoir d'Hitler ou ses conquêtes militaires. Ainsi Peul Henreid, Peter Lorre mais aussi Ingrid Bergman, Conrad Veidt ou encore Marcel Dalio, non crédité au générique.
C'est cette France héroïque que Tay Garnett présentait dans La croix de Lorraine en 1943 avec Jean-Pierre Aumont, acteur français ayant servi dans l'armée française de 1939 à 1940 et ayant débarqué aux USA en 1942, et avec Gene Kelly, acteur encore débutant. L'histoire montre des soldats français qui sont faits prisonniers par l'armée allemande après qu'ils avaient refusé l'armistice. Certains d'entre eux essaient alors de s'évader tandis que Paul essaie lui de survivre et d'améliorer ses conditions d'emprisonnement en composant avec les nazis. Ce film renvoie à la Résistance des troupes françaises dont certaines se sont rassemblées justement derrière le symbole gaulliste de la croix de Lorraine.
C'est d'ailleurs sur ce même symbole que le film déjà évoqué Passage to Marseille s'ouvre: un avion de guerre vole la nuit en direction de l'Allemagne et passe au travers de la DCA. Une lumière révèle la croix de Lorraine sur le flanc de la carlingue de l'avion, accompagnée par une musique reconnaissable: "En passant par la Lorraine". Le bandeau du pré-générique rend hommage à tous les Français qui combattent l'ennemi nazi, cette France éternelle qui n'a jamais cessé d'exister (sic). Ainsi, dès le début du film, le positionnement est clairement en faveur des FFL et donc de De Gaulle, ce qui contraste avec les positions officielles américaines, du moins avant que de Gaulle ne se soit définitivement imposé comme le seul interlocuteur officiel de la France Libre. Et quand celle-ci est présentée en Angleterre, on montre l'ingéniosité des Français qui réussissent à se camoufler dans la campagne anglaise, échappant de fait aux bombardements allemands! C'est donc bien la position de Churchill qui l'a emporté: faire de la France Libre de De Gaulle la vraie France, renvoyant Vichy à un régime ayant trahi la République.
Enfn, dans Le port de l’angoisse, cette résistance s’appuie sur une organisation secrète, prête à se sacrifier pour sa cause, pour la liberté et malgré la répression allemande. Dans une séquence dans laquelle Bogart / Harry protège un Résistant de la police de Vichy et des nazis, celui-ci fait la démonstration de la victoire inéluctable de la Résistance. En effet, la force de la Résistance réside sur le fait que chaque Résistant n'est qu'un maillon d'une chaîne, que si l'un d'eux meurt, il y en aurait toujours un pour reprendre la mission de sabotage, d'assassinat ou d'évasion de prisonniers. Ces arguments  reprennent clairement ceux d’un des couplets de la Marseillaise, mais aussi du  Chant des partisans dont le texte fut écrit en 1943 par Joseph Kessel et Maurice Druon à Londres.


CONCLUSION
Les efforts de guerre menés par les Américains sont donc présents dans tous les films, présentant leur présence sur tous les fronts, mobilisants toutes les forces vives de la nation.
Mais le cinéma était lui-même une force vive et il était à la fois le témoin et l'acteur de cette mobilisation. Certains réalisateurs tournèrent un nombre incalculable de films pour soutenir l'effort de guerre. Ce fut le cas également pour certains acteurs. D'autres participèrent directement au conflit comme John Ford ou James Stewart. Et surtout,, la production des films était en réaction avec chaque fait de guerre qui pouvait servir à la propoagande alliée. Si bien que le cinéma de cette période pouvait être autant un spectacle qu'une source d'informations imagées de ce que la presse pouvait raconter dans les manchettes des journaux. Toutes les majors contribuèrent à cet effort de guerre mais la Warner fut la plus prolifique. De son côté, le cinéma allemand fit de même, présentant d'ailleurs moins les faits de guerre que des films à portée idéologique, dénonçant le libéralisme et le capitalisme des Anglais et la dégénérescence de la démocratie américaine. Elle mit elle aussi tous les moyens pour maintenir la population allemande dans l'illusion de la victoire. Mais après 1942, les faits contredisaient la propagande nazie.
La production américaine d'après guerre sur le conflit ne manqua pas, magnifiant davantage les hommes que les Etats. Mais ce qui manque, ce sont des films sur les deux barbaries de la guerre: le génocide juif et des peuples jugés comme des sous-hommes et l'usage de la bombe atomique. Si le cinéma aborda le génocide plus tard, il n'y a pas, à ma connaissance, de film de fiction évoquant directement Hiroshima ou Nagasaki, si ce n'est l'allégorie japonaise Godzilla d'Ishiro Honda en 1954 et le film d'Alain Resnais Hiroshima mon amour en 1959 par l'évocation évidente de ce à quoi renvoyait le titre. Mais point de film américain...

A bientôt

Lionel Lacour

mercredi 26 octobre 2011

Toutes nos envies: quand Lioret filme les maux de nos sociétés modernes

Bonjour à tous,

Philippe Lioret revient en novembre à l'écran avec le 200ème film produit par Rhône-Alpes Cinéma et tourné à Lyon. Je ne pouvais donc pas manquer d'évoquer ce film d'autant que Lioret nous avait époustouflé avec Welcome.
Comme il le dit très justement, son film est une adaptation très libre du livre d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne dont il tire finalement que deux éléments: une affaire judiciaire qui est une histoire vraie, et une histoire humaine qu'il fait se croiser et s'entremêler. Ce blog n'ayant pas pour vocation d'être un blog de critique cinématographique, je m'arrêterai donc sur les choix des scénaristes, Philippe Lioret et Emmanuel Courcol, déjà présent à l'écriture pour Welcome.




La juge, Claire, interprétée par Marie Gillain
1. Une plaie sociale: le surendettement
Ce que Lioret utilise comme fil conducteur est une histoire banale de surendettement qui touche tant de Français et d'Occidentaux. Cette intrigue n'est pas la plus présente à l'écran. Pourtant, chaque spectateur peut reconnaître ce dont il s'agit, qu'il soit victime ou non de ce phénomène. A partir du cas d'une jeune mère de famille qui est en surendettement, Lioret nous amène à comprendre le lent processus qui conduit les plus faibles des sociétés à vouloir consommer, aidés par des offres de prêts bancaires alléchantes. Qu'ils s'appellent "crédit revolving" ou "réserve gratuite", c'est bien de cette société de consommation qu'il s'agit de pourfendre. S'appuyant sur l'oeuvre d'Emmanuel Carrère qui reprenait justement lui-même le cas de deux juges qui réussirent à contrôler les sociétés de crédit pour limiter les cas de surendettement, Lioret montre combien les clients de ces crédits se retrouvent tels des poissons dans les mailles d'un filet de pêche. Plus ils essayent de s'en sortir, plus les mailles se resserrent sur eux. Par quelques séquences, la descente aux enfers de ces familles sont évoquées, sans misérabilisme. La jeune femme doit quitter son appartement pour vivre dans un foyer avec ses enfants. La jeune juge, interprétée par Marie Gillain le découvre par les scellés sur la porte de l'appartement.
La loi semble alors favorable aux puissants, ici les sociétés de crédits puisque l'expulsion a lieu avant la date légale d'impossibilité d'expulsion.
En prenant cette situation de départ, le film propose au spectateur de réfléchir sur des thèmes qui lui sont de plus en plus familier et qui ne lui sont pourtant pas toujours présentés de la même manière notamment dans la presse et surtout à la télévision. Soit la lecture est compassionnelle avec la tragédie des familles expulsées, effaçant les raisons pour lesquelles elles peuvent être justement expulsées du domicile qu'elles occupent, faisant du créancier un immonde personnage, soit c'est le point de vue du propriétaire qui est présenté comme subissant le non-paiement des loyers et le montrant dans l'impossibilité d'être payé ou même de disposer de son bien foncier car la loi protège les occupants pendant la période hivernale.
Ces deux points de vue sont absents du film de Lioret. Pas de compassion sensationnelle sur la famille expulsée. Il aurait pu filmer l'expulsion. On découvre juste les scellés. Au lieu d'une famille détruite, c'est une mère digne qui offre à boire à la juge qui l'aide comme elle peut. Cette partie du film est réalisée de manière très clinique, montrant davantage les rouages et juridiques et judiciaires que vivent les expulsés. Jamais le propriétaire de l'appartement n'est mis en accusation. Il n'est pas responsable. En revanche, les sociétés de crédits sont clairement sur le banc des accusés, notamment quand ils se retrouvent face aux juges. Tout aussi clinique est la description du processus entamé par les deux juges pour trouver une faille dans le rejet par la cour de Cassation de leur action en justice les conduisant à la Cour européenne de justice. Cette froideur technique du droit contraste alors avec le traitement des rapports humains entre les différents protagonistes du film, directs ou indirects.

Claire et Stéphane, deux juges qui se découvrent
par la maladie de Claire
2. Les sociétés occidentales face à la maladie
Ce que montre le film et constitue finalement l'essentiel du récit, c'est une société qui est à la fois de plus en plus encadrée par des lois qui protègent tantôt l'un, tantôt l'autre, qui peut être interprétée par les différents acteurs du monde judiciaire et qui est aussi une société qui demeure dans l'incapacité à gérer ce qui n'est justement pas gérable par la loi. La tumeur qui atteint la juge crée une zone de turbulence familiale sans même que son mari ne s'en rende compte. Parce que le personnage de Marie Gillain ne peut lui dire ce dont elle souffre. La mort qui est l'aboutissement certain de sa maladie lui est insupportable presque davantage pour ceux qui l'entourent que pour elle-même.
Lioret est donc dans une approche, et c'est le paradoxe, beaucoup moins clinique de la maladie de son héroïne que celle de la jeune femme expulsée pour cause de surendettement. Le seul véritable moment où est abordé le traitement et le suivi médical nécessaire est d'ailleurs esquivé par justement un recours à la loi. En effet, le médecin de la juge ne veut pas la laisser partir de l'hôpital sans que son père ne signe une décharge. Ce recours au texte montre que les institutions quelles qu'elles soient ont aussi besoin de la loi pour se protéger tandis que les citoyens peuvent se mettre sous l'autorité traditionnelle du père, bien que la malade soit majeure et depuis longtemps.
Céline (Amandine Dewasmes) prend la place de Claire
sans le savoir
Or si l'institution médicale se défausse finalement derrière l'autorité paternelle et donc familiale, le film montre bien que cette structure familiale n'est pas une valeur en soi. En taisant sa maladie à son mari, elle l'éloigne de son rôle protecteur qui était naguère confié justement à l'homme. Cet éloignement est multiple dans le film. Il est par la distance mise entre la maison familiale, à Lyon et l'hôpital, à Valence. Il vaut aussi par le rôle joué par le collègue interprété par Vincent Lindon qui devient le confident et de fait, joue le rôle normalement dévolu au mari, jusqu'à créer une ambiguïté dans leur relation pour le spectateur. Éloignement encore quand en hébergeant la jeune femme expulsée chez elle, elle crée de fait une concurrente et une épouse de substitution en prévision de sa mort prochaine.


Stéphane, juge et entraîneur du LOU, club de rugby de Lyon

Conclusion
En mêlant et croisant deux histoires par des traitements différents, Lioret réussit à capter une réalité de notre époque. La complexité d'une société réglée par la loi dans lequel l'humain disparaît derrière des intérêts matériels, rendant de plus en plus difficile les relations humaines, y compris au sein de familles qui semblent ne plus échanger que sur du superficiel et non sur des valeurs. Les références au passé de l'héroïne par son mari ne font qu'accentuer ce sentiment. Il sait, il comprend ce qui'anime sa femme dans son métier de juge mais il est incapable de saisir ce qui ne va plus chez elle par rapport à son couple, pour mieux renvoyer la faute sur l'autre juge une fois qu'il a compris. En introduisant des séquences de compétition de rugby, le discours peut apparaître comme simpliste. Sauf qu'il permet de faire une synthèse de la pensée du film. Le rugby ne peut se jouer que dans le cadre des règles, compliquées, mais n'est beau que dans les relations humaines que ces règles permettent: accomplissement de soi dans l'intérêt du collectif. Sans dévoiler la fin du film, le personnage de Lindon résout comme un rugbyman les deux trames dramatiques du film: dans le cadre des règles, les personnages réussissent leur mission dans un intérêt collectif.

A bientôt

Lionel Lacour

samedi 15 octobre 2011

L'ordre et la morale: l'Histoire oubliée au cinéma?

Bonjour à tous,

Depuis les récits de la Résistance d’après guerre jusqu’aux évocations de la décolonisation de l’empire français, le cinéma français a montré ses difficultés récurrentes à aborder des thèmes douloureux. Peu de cinéastes ont en effet osé évoquer la collaboration ou la guerre d’Algérie sans risquer de se faire critiquer par les politiques comme étant des contempteurs de leur pays. Que ce soit Marcel Ophuls pour Le chagrin et la pitié évoquant avant Paxton une France moins résistante qu’enseignée dans les écoles ou Yves Boisset dans R.A.S., évoquant la guerre d'Algérie,  chaque film évoquant le passé proche avec un regard différent de celui qui glorifie les héros nationaux est régulièrement dénoncé par les chantres de la France éternelle et infaillible. Nous sommes donc loin du cinéma américain qui s’empare régulièrement des sujets mettant sur la sellette les Etats-Unis quand les agissements de ses dirigeants deviennent contraires à l’idéal justement prôné par ce pays qui s’impose encore comme un modèle.
Mathieu Kassovitz s’est donc attaqué à un de ces sujets qui fâche. Du moins qui risque de fâcher certains. En 1988, autour de l’élection présidentielle française, des Kanaks tuaient des gendarmes et en prenaient en otages quelques autres sur l’île d’Ouvéa, en Nouvelle Calédonie. Pour la première fois au cinéma, son film L’ordre et la morale qui sortira le 16 novembre 2011, évoque cette histoire, d’après le livre du capitaine Legorjus La morale et l’action, en mettant en avant les contradictions entre l’histoire racontée aux Français au moment des faits et celle que les témoins de cette prise d’otages ont pu vivre.

Mathieu Kassovitz dans le rôle du capitaine Philippe Legorjus
1. Histoire officielle et point de vue de cinéma
L’ordre et la morale raconte la prise d’otage par des indépendantistes Kanaks ayant eu lieu du 22 avril au 5 mai 1988, soit commençant juste avant le premier tour des élections présidentielles françaises et se finissant deux jours avant le deuxième tour dans lequel s’affrontaient le président sortant, François Mitterrand, socialiste, et Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation depuis 1986 puisque il était président du RPR, premier parti d’opposition à la majorité présidentielle. En 1986, il dirigeait le gouvernement après la victoire de la coalition de droite, RPR et UDF, aux élections législatives du 16 mars.
Le film de Mathieu Kassovitz n’est pas en soi une chronique politique. Il part du point de vue exclusif du personnage principal qu’il interprète lui-même, le capitaine Philippe Legorjus qui dirige un groupe du GIGN missionné pour négocier avec les ravisseurs de gendarmes. En commençant le film par une séquence montrant la fin de cette prise d’otage dont on comprend qu’elle fut violente et qui annonce d’emblée qu’elle constitue un échec pour le capitaine, Kassovitz cerne clairement son sujet : il ne s’agira pas de créer un quelconque suspens sur le sort des gendarmes ou des ravisseurs kanaks. Par la voix off de la première séquence et les images montées à l’envers, le réalisateur raconte avant tout l’histoire d’un échec pour tous ceux qui auront participé, de près ou de loin à cette prise d’otage, que ce soient les Kanaks, ceux du FLNKS, les gendarmes, l’armée et les politiques.
En optant pour le point de vue du capitaine Legorjus, Kassovitz propose une représentation très étroite de ce que chef du GIGN perçoit. Legorjus passe d’une réunion avec le général de l’armée, Vidal, à la découverte de la gendarmerie attaquée par les indépendantistes kanaks pour finalement se retrouver dans la forêt d’Ouvéa et se confronter à Alphonse Dianou, chef des rebelles, dans la grotte qui abritaient les otages. Ce qui se passe en dehors de son champ de vision lui est rapporté par des témoins externes, un kanak, le commandant Prouteau à l’Elysée, le ministre Bernard Pons, le général Vidal, une journaliste ou encore la télévision.
Kassovitz constitue donc une mosaïque désordonnée d’informations que le capitaine Legorjus doit assemblée pour pouvoir exécuter ce pour quoi il a été envoyé : négocier la libération des gendarmes de la « grotte d’Ouvéa ».

Le ministre Bernard Pons,
interprété par Daniel Martin
2. Le spectateur : témoin en Nouvelle Calédonie
Par son film, Kassovitz s’adresse à deux types de spectateurs. Ceux qui se souviennent de cet épisode qui faisait la une des journaux entre les deux tours de l’élection présidentielle et ceux qui ignoraient jusqu’à l’existence de ce qui avait pu se passer dans ce territoire d’outre-mer.
Le point de vue adopté permet pour la première catégorie de se mettre alors de l’autre côté du miroir. Jusqu’alors, les seules sources d’informations qui étaient disponibles étaient celles émanant des politiques. La barbarie dont étaient coupables les ravisseurs kanaks ne faisait aucun doute. En reprenant les images télévisées du débat entre les deux finalistes de la présidentielle, Kassovitz rappelle combien l’information était avant tout une information politique. Mieux, en montrant ces images comme nous regarderions la télévision et non en les intégrant directement dans le montage, le spectateur de son film redevient le spectateur de ce qu’il a justement vu il y a 23 ans. Le spectateur se regarde de fait regarder le débat dans lequel Chirac présente la situation comme étant intenable et sans autre solution que le recours à la force.
Pour les autres, ceux n’ayant pas connu cette période, c'est-à-dire les plus jeunes, ils apprennent par ce film combien cet événement a pu marquer l’élection présidentielle en devenant un enjeu lors du débat, Chirac se présentant comme le garant de l’autorité française, où que ce soit sur le territoire français, faisant passer Mitterrand comme un faible face aux rebelles tandis que ce dernier cherchait à faire de Chirac un oppresseur n’ayant aucune volonté d’apaiser les choses.

Les hommes du GIGN et de Legorjus faits prisonniers par
Alphonse Dianou et ses hommes
sur l'île d'Ouvéa
3. Un film document, un film de cinéma
En optant pour le point de vue de Legorjus, Kassovitz a donc transféré les spectateurs loin du point de vue hexagonal relayé par les politiques. Les seuls liens avec la France passent par la technologie de communication. Legorjus appelle Prouteau qui lui apprend la position, ambiguë d’ailleurs, de Mitterrand. Et il suit à la télévision le débat entre Mitterrand et Chirac.
Par sa première séquence, le film peut alors se dérouler comme une chronique que Legorjus se charge de raconter aux spectateurs a posteriori. Rythmant chaque séquence par le nombre de jours qui sépare ce qui est à l’écran de l’assaut final, Kassovitz ménage non un suspens quant à l’issue des négociations, mais une interrogation permanente : comment en est-on arrivé là,? Question posée dès le début du film.
Kassovitz a gardé les noms des lieux, des personnages quels qu’ils soient qui ont été partie prenante. Pas d’artifices qui pourrait perturber la lecture du film. Il s’agit bien d’un récit qui se veut précis. Pourtant, son film reste l’œuvre d’un cinéaste qui s’imprègne de son histoire. Dans un discours répété et qui devait être donné à la presse, Alphonse Dianou tient des propos d’un grand humanisme destiné au Président et aux Français, faisant office aussi de pardon pour le sang qui a coulé. Or, de l’aveu même du réalisateur, ces propos ne sont pas d’Alphonse Dianou mais bien de Kassovitz lui-même.
La cohérence est malgré tout évidente entre le propos du film tout entier et le discours de Dianou. Celui d’un grand gâchis.
Car Kassovitz profite de sa chronique pour rappeler le pourquoi de la présence française en Nouvelle Calédonie. Les arguments s’empilent et sont donnés par différents protagonistes. En évoquant la barbarie des ravisseurs, il y a bien sûr, sous-jacent, la vieille illusion coloniale de la mission civilisatrice que la France s’était assignée, avec d’autres puissances européennes, au XIXème siècle. Mais la richesse en Nickel de l’île est également une autre raison pour maintenir la présence française dans ce territoire si éloigné de la métropole. Il y a enfin, et la présence militaire en témoigne, un message lancé à tous les mouvements indépendantistes qui pourraient se manifester dans ces fameux « confettis de l’empire » qui restent français. La grandeur de la France ne peut se permettre d’accepter une nouvelle décolonisation comme elle l’a connue en Algérie.
Dès lors, au jour le jour, Kassovitz- Legorjus découvre que sa mission a de moins en moins de chance d’aboutir alors même que sa négociation semblait triompher. La présence de l’armée de Terre démontre que le pays est en guerre contre ces rebelles. Les politiques, les Chiraquiens d’abord et finalement Mitterrand aussi, n’ont que faire de ces Kanaks. Kassovitz ne cherche pas à épargner les indépendantistes puisque les grands absents de son film sont les dirigeants du FLNKS, ce mouvement indépendantiste kanak. Et s’ils sont absents de l’image, c’est parce qu’ils auraient été absents des négociations et donc d’une sortie possible de crise sans sang versé.
Au carnage relayé par les médias commis par les hommes d’Alphonse Dianou répond celui encore plus important de l’armée de Terre et des hommes du GIGN commandés par Legorjus lui-même. Avant de participer à l’attaque des insurgés dans la grotte, au péril même de la vie des otages, Kassovitz propose aux spectateurs deux séquences justifiant le titre du film, outre le fait que l’idée de rétablir « l’ordre et la morale » soit prononcée par Bernard Pons dans le film. En effet, quand Legorjus se retrouve peu de temps avant l’assaut seul avec le général Vidal, celui-ci lui rappelle ce qu’est un militaire : un homme qui peut ordonner à ses hommes d’aller se faire tuer mais qui n’obéit qu’aux ordres du politique. Le militaire ne peut donc agir selon sa morale mais bien au nom d’une morale supérieure, non en valeur, mais en autorité. Etre militaire, c’est accepter cela. Et tandis que jamais Legorjus ne semble manifester d’émotions face aux ordres ou décisions qui pourraient apparaître comme inefficaces ou contre-productifs, Kassovitz montre à une seule occasion l’humanité de son personnage. Alors qu’il appelle sa femme en France, la caméra le filme de dos devant la cabine téléphonique, ne laissant pas transparaître des larmes qu’on peut imaginer mais qui ne sont pas montrées. Un militaire ne peut pas avoir d'état d'âme, selon la définition de Vidal. Ce qui conduira Legorjus à trahir la confiance que Dianou avait mis en lui et à participer à l'assaut contre les rebelles kanaks.
En effet, alors que l’Elysée et donc Mitterrand semblaient jusque là épargnés par le film, accablant le camp chiraquien, c’est bien par la signature de Mitterrand que l’assaut de la grotte tenue par Alphonse Dianou a pu être donné, alors même qu'ils étaient prêts à se rendre. L'attaque des différents corps d'armée entraîna alors un massacre parmi les ravisseurs rebelles.
Après l’assaut, Kassovitz rappelle alors les conséquences directes et plus lointaines du massacre de la grotte d’Ouvéa : le départ du GIGN du capitaine Legorjus suivant finalement les conseils du Général Vidal, l’amnistie proclamée par Mitterrand après sa réélection, les incohérences entre les témoignages de l’assaut montrant que certains Kanaks ont été tués après l’intervention militaire et non pendant, le processus d’indépendance entamée par le gouvernement Rocard devant se conclure en 2014 par référendum.

Un Kanak violenté par un soldat de l'armée de Terre
Conclusion
En abordant un tel sujet, Kassovitz renoue avec un cinéma engagé, en tant que réalisateur ou en tant qu’acteur. Certains pourront voir en Legorjus, du moins durant une partie du film, un lien avec le prêtre qu’il interprétait dans Amen de Costa Gavras. Nul doute que les critiques iront davantage sur le sujet que sur la qualité du film lui-même. Le film de Kassovitz, bien qu’évoquant un événement ayant eu lieu il y a 23 ans s’inscrit dans un discours de plus en plus présent, celui d’une contestation d’un modèle de civilisation qui s’appuie sur l’exploitation massive, la compétition et sur l’individualisme quand celui des Kanaks s’appuie sur le respect des anciens, l’échange et la communauté. Il est même fort à parier qu’il sera reproché de pousser la Nouvelle Calédonie et les Kanaks à quitter le giron de la France en ravivant les plaies. Les Français ayant suivi ces événements seront être heurtés par la présentation des faits qui semble minimiser ce qui est reproché à Alphonse Dianou et ses hommes, puisqu’ils ont tout de même tué des gendarmes. Mais ils verront aussi que justement, la vision officielle n’est pas la seule vérité possible. Pour les plus jeunes spectateurs, la leçon est double. Celle sur un événement occulté des leçons d’Histoire de collège et de lycée et jamais évoqué dans les médias depuis plus de vingt ans. Mais c’est aussi une leçon de méfiance quant au discours officiel en général qui depuis 1988 a souvent été pris en défaut, en France comme ailleurs.

samedi 1 octobre 2011

Soy Cuba sur Classic

Bonjour à tous,

cette semaine, Ciné + Classic diffuse deux films de Kalatozov. Si le premier, Quand passent les cigognes, est resté célèbre notamment par sa Palme d'Or à Cannes en 1957 et pour son hisoire mélodramatique, le second, Soy Cuba, est quasiment inconnu du grand public. Réhabilité par le grand Martin Scorcese, son édition DVD avait ravi il y a déjà quelques années les plus fervents admirateurs du cinéaste soviétique. Sorti en 1964, ce film qui relate la révolution castriste n'a pas reçu l'accueil qu'il était en droit d'attendre. Les questions géo-politiques eurent raison de lui. Pourtant, du point de vue formel, ce film recèle des véritables bijoux de mise en scène et de réalisation, avec notamment des plans séquences admirables qui présentent comme aucun cinéaste n'aurait pu le faire Cuba avant Castro puis l'enthousiasme révolutionnaire de 1959.



1. Deux plans séquences d'anthologie pour présenter Cuba sous Batista
L'ouverture du film commence par un poème à Christophe Colomb. Une voix représentant Cuba (Soy Cuba: je suis Cuba) rappelle la misère dans laquelle se trouve l'île. En contre-plongée extrême, une croix montre le poids du christianisme sur la population paysanne qui souffre. Ce long plan séquence, d'une esthétique rare, permet au spectateur de voir la dignité de ce peuple harassé par la chaleur et par le travail. La caméra placé sur une barque, le rythme est lent. Le spectateur découvre des enfants dénudés, des femmes qui lavent leur linge dans l'eau de la rivière L'image est chaude malgré le Noir et Blanc.
On retrouve ici la patte de Kalatozov dans la composition de ses plans. Chaque cm² est utilisé pour donner du sens à l'image.



Soudain, dans un montage cut brutal, le spectateur se retrouve sur la terrasse d'une tour. Au calme et au silence de la première séquence succède une musique d'inspiration rock. La caméra se focalise d'abord sur des musiciens puis suit des jeunes femmes défilant pour un concours de beauté. La vue dégagée présente une ville "à l'américaine". Ces jeunes femmes peu mais bien habillées semblent être en dehors de la vie. Le visage est glacé, le regard sans vie. La caméra continue son chemin dans le bruit des instruments, descend de quelques mètres pour débouler sur une autre terrasse remplie d'américains et d'américaines de tous âges. Leur blondeur ne laisse aucun doute sur leurs origines. Leur manière de se comporter, leur gestuelle non plus. Ils sont sur cette terrasse en occupants, en colons.

Les rares personnes brunes sont des serveurs ou des jeunes femmes alanguies dont une se lève pour se diriger vers une piscine. Elle y plonge. La caméra la suit. La musique résonne encore.
Nous sommes bien à Cuba, à La Havane. Cuba est une île pauvre, comme la première longue séquence l'annonçait. Mais cette pauvreté n'accable que les Cubains. Les Américains quant à eux profitent des richesses de cette île tropicale. Kalatozov réussit en deux séquences absolument fantastiques à montrer le contraste qui existe entre le peuple cubain, exploité, et ceux qui profitent de cette misère, notamment les Américains. Et entre les deux, des jeunes femmes ou des domestiques qui espèrent profiter de ce que ces occidentaux peuvent apporter: pourboire, mariage...

2. La victoire de la Révolution
L'ensemble du film montre donc comment le peuple cubain s'est révolté contre ceux qui les maintenaient dans la misère. Le soulèvement est populaire. Au passage, le comédien français Jean Bouise vient jouer un rôle étonnant dans ce film! Mais toute cette révolution peut se résumer dans une séquence finale faisant là encore preuve d'un vrai génie de mise en scène. Si les deux premiers longs plans séquences étaient à la fois descriptifs et présentaient les contrastes de développement entre les deux Cuba, la séquence finale est plus une parabole de la révolution. Elle commence par un paysan rejoignant les révolutionnaires. Ne possédant pas de fusil, il se fait signifier que la possession d'une telle arme s'obtient en la conquérant sur l'ennemi. Ainsi, le voit-on tuer un légaliste et lui voler son arme à feu. Dans cette longue séquence, les ennemis de la révolution sont toujours hors cadre. La marche des castristes se fait à l'écran de droite vers la gauche, de l'Est vers l'Ouest. L'ennemi est soutenu par les occidentaux. Aux coups de feu des insurgés répondent des coups de canon. La caméra, dans un long traveling, suit ce paysan dont on découvre qu'il a été vraisemblablement été tué. Pourtant, le voici qui se relève, continue le combat. Dans un plan onirique, il marche seul, face aux tirs des canons qui semblent ne plus le toucher. Kalatozov réussit à transcrire à l'image ce que Maurice Druon et Joseph Kessel écrivait dans Le chant des partisans: "Si tu tombes un autre prends ta place..." Le cinéaste magnifie à l'écran l'idéal révolutionnaire cubain. C'est une lutte du peuple contre l'oppression capitaliste. Après cette longue séquence, par une ellipse limpide, le spectateur retrouve le paysan au milieu des autres "résistants", unis sous le drapeau cubain, en contre-plongée, la même que celle du début. Sauf que maintenant, ce sont les Cubains qui deviennent maîtres de leur sort. La voix qui se présentait comme étant Cuba reprend la parole. Cuba vient de se libérer. Et dans un mouvement de caméra d'une grande fluidité, les insurgés triomphants marchent maintenant de la gauche vers la droite, de l'Ouest vers l'Est, des USA vers l'URSS?

3. Un accueil glacial
Malgré le triomphe de Quand passent les cigognes, les pays occidentaux goûtèrent peu cette épopée castriste. Les raisons sont évidentes. Castro avait renversé un dictateur à la solde des USA, les Américains s'étaient empêtrés dans la baie des Cochons et avaient tremblé quand les missiles soviétiques avaient été installés sur cette île devenue communiste. Pour les mêmes raisons, l'Europe avait boudé ce film qui ne présentait pas les mêmes caractéristiques pacifistes qui avaient fait la gloire de Quand passent les cigognes.  En U.R.S.S., le film fut à peine distribué. En effet, réalisé en 1964, le film mettait en scène une révolution qui avait trouvé son soutien chez le leader soviétique, Khrouchtchev. Or celui-ci est évincé du pouvoir justement en 1964. Kalatozov semblait être le réalisateur de la politique Khrouchtchevienne, marquée par la coexistence pacifique de 1956 et le soutien à la révolution cubaine. Quant à Cuba, le film déplut à Fidel Castro, la place au leader de la Révolution étant très faible tandis que celle faite au peuple était totale, comme en témoignait la séquence finale.


Témoignage étonnant de la révolution castriste avec un point de vue beaucoup plus soviétique et khrouchtchevien que cubain, ce film fut donc quasiment oublié. Jusqu'à ce que Scorcese, réalisateur américain, redécouvre la beauté formelle de ce film. Et permette aux spectateurs du monde entier de le découvrir aussi. Je vous recommande donc de voir ce film sur Ciné + Classic, ou de le commander pour voir et revoir encore ce chef d'oeuvre.

A bientôt

Lionel Lacour