lundi 15 août 2011

Captain America: encore un super héros américain

Bonjour à tous,

En cet été de sortie de blockbusters, je voulais faire un petit point rapide sur la sortie de la prochaine adaptation cinématographique de Captain America: first avenger. Elle semble être la continuité des adaptations des différents super héros de bandes dessinées qui reviennent régulièrement à l'écran aux USA. Comment peut-on expliquer ce retour régulier de ces adaptations à l'écran?

1. Une spécificité américaine

les USA ont ceci de particulier, c'est notamment de se représenter sous des formes allégoriques de super héros dont chacun représente en quelques sorte une des spécificités du pays. Superman, héros surpuissant venant d'une autre planète est le garant des libertés et de la paix contre les ennemis étrangers. Spiderman représente l'Américain banal qui se trouve doté non de pouvoirs au sens propre du terme mais de capacités extra-humaines et qu'il met au service de la justice. Batman est une sorte de héros rooseveltien puisqu'il ne dispose d'aucun super pouvoir mais il met sa fortune au service de la société contre toute forme de dictature et pour le bien de sa cité. Le président démocrate était lui-même un grand bourgeois qui avait rejoint le camp démocrate justement pour défendre la populations contre la crise et ses effets. Batman, né en 1939, ne pouvait être vu que comme un héros démocrate.
Tous les films ou séries qui ont adapté ces héros au cinéma ont en règle générale repris ces caractéristiques principales mais au fil du temps, ils ont cherché à humaniser davantage ces personnages, entrant dans leur psychologie alors même qu'ils n'avaient été créés que pour représenter les USA dans l'image de ce que son peuple se représentait de lui-même.
Né en 1932, Superman apparaît pour la première fois dans un Comics en 1938
avec son slip rouge, comme dans la version de gauche de 1940, disparu dans la version de 2011.
Les explications sur l'origine des pouvoirs de Spiderman ou sur la genèse de Superman étaient apportées a minima puisque ce qui comptait était bien leur mission. On retrouve ainsi derrière une origine quasiment messianique de ces super-héros: ils ont une mission et les USA sont le nouveau Jérusalem!
Mais comme dans la Bible, les super héros ne sont pas toujours appréciés et sont souvent jugés hâtivement dans leurs actions. S'ils ne sauvent pas à temps, ils sont critiqués puisqu'ayant failli à leur mission. Ils trahissent les Américains qui avaient vus en eux leur sauveur. Cette récurrence des désamours entre les populations et les super-héros montrent aussi une des caractéristiques des USA. Ils sont attendus - du moins le pensent-ils - comme des sauveurs mais s'ils échouent, ils sont aussitôt critiqués, calomniés voire reniés. Ce que les spectateurs américains ressentent en voyant chaque épisode de toutes les adaptations filmiques, c'est-à-dire que le héros est injustement méprisé, correspond aussi à ce qu'ils pensent d'eux-même et de leur pays. Les USA sont les super-héros de la planète et les autres les aiment quand ils réussissent leur mission qu'ils se sont parfois auto-attribués!

2. Une comparaison européenne nécessaire
A la différence des USA, il n'y a pas de super-héros français, allemand, italien ou espagnol. Rien que des héros bien charnels, que ce soit Jean Valjean, Sherlock Holmes, Don Quichotte etc. Cette différence s'explique parce que l'Europe, si elle constitue une civilisation, ne constitue en aucun cas une Nation. Ainsi, quand la culture du héros américain a besoin d'un héros, il doit chercher un personnage transcendant des valeurs d'une Nation constituée de différentes communautés. Il ne peut être catholique au risque de s'opposer aux Protestants du pays. Il doit défendre des causes transversales et pas des particularismes. En revanche, la culture européenne offre des héros bien ancrés dans leur culture: le flegme britannique, la capacité de révolte du Français. C'est ensuite que s'opère une possible universalisation des héros et des situations. Il est tout à fait remarquable de voir comment a été adapté le roman de Hugo Les misérables et comment il a été reçu dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux USA! A partir d'une histoire justement tellement contextualisée dans le XIXème siècle bouillonnant français, le discours historique est devenu une simple toile de fond pour transmettre un message universel. Quant à Sherlock Holmes, le personnage so british de Sir Conan Doyle a été adapté maintes et maintes fois à l'écran, se transformant progressivement en un vrai héros digne des Marvels, les dernières versions portées à l'écran le prouvant. Il a même inspiré une des séries les plus remarquables de ce XXIème siècle: Docteur House.

Quant aux héros de la mythologie scandinave et germanique, ils ont bien sûr influencé la culture européenne, mais d'abord comme élément d'identification et d'unification de nations comme celle allemande. Wagner et sa tétralogie n'ont pas incorporé les dieux dans le XIXème siècle.
Ce sont les Américains qui ont utilisé la culture européenne - étant d'origines européennes pour la plupart - pour la transformer parfois en "produits" américains. Thor, le dieu scandinave est devenu un super héros côtoyant certains super-héros comme Iron man ou justement Captain America.






3. Captain America: un héros à part
Né en décembre 1940, ses premières aventures sont publiées en mars 1941 dans Timely Comics, ce personnage n'est pas en soi un super-héros. Steve Rogers, le vrai nom de Captain America, est un Américain typique qui a grandi pendant la grande dépression des années 1930. Quand l'Europe se déchire, il décide de combattre le nazisme. Mais il est chétif. Il accepte alors de tester un sérum qui fera de lui un super-soldat. Son existence provient donc ouvertement d'un engagement pour la défense de valeurs démocratiques et anti-totalitaires. Il est le seul héros qui porte clairement le nom America, même si Superman en portait déjà, les couleurs.
Ainsi, en étant publié en mars 1941, Captain America devient en quelque sorte le premier américain entré ouvertement dans la Seconde Guerre Mondiale. Par ses motivations, il peut être considéré lui aussi comme un héros rooseveltien quand le président qui annonçait la neutralité des USA tout en dénonçant les exactions nazies et en appelant les Américains à choisir leur camp selon leur conscience.
Portant lui aussi les couleurs des USA, Captain America aura une "carrière" mouvementée puisqu'il sera congelé à la fin de la Second Guerre mondiale avant de retrouver la vie dans les années 1960, en plein "dégel" des relations américano-soviétiques.


Affiche de la version 1990


Il sera également adapté plusieurs fois sur le petit comme sur le grand écran. La dernière en date remontait en 1990 et était d'une qualité très médiocre. Elle correspondait de fait à la fin de la guerre froide et l'affirmation de la toute puissance américaine de George Bush face au déclin inexorable de l'URSS. Sorti en décembre 1990 au Royaume Uni, il ne sorti qu'en vidéo aux USA, preuve de la piètre qualité du film, et en 1992 seulement!






Chris Evans, la Torche humaine des Quatre fantastiques
devient Captain America version 2011


Que représente alors cette nouvelle version de Captain America: first avenger?
Ce qui semble évident, c'est bien de voir que, contrairement à la version de 1990, l'histoire se passe au moment ou le héros, Steve Rogers, devient Captain America. Or, en prenant ce point de départ, Captain America est à nouveau présenté comme un Américain décidant finalement de se sacrifier, puisqu'il teste un sérum sans que l'on sache vraiment les conséquences sur le corps humain, mais dans un objectif clair: celui de combattre le totalitarisme et faire valoir les valeurs américaines. Comme il a été dit plus haut, Captain America était un héros rooseveltien, c'est-à-dire démocrate. En reprenant l'histoire à se genèse, les scénaristes et réalisateur (respectivement Christopher Markus et Stephen McFeely pour le scénario, Joe Johnston pour la réalisation) positionne clairement leur personnage dans un retour aux sources, celui de la nécessité de défendre les valeurs américaines faites de liberté et de démocratie. Lu au présent du spectateur de 2011, la transposition entre les motivations de Captain America en 1941 et la situation des USA aujourd'hui est assez facile à voir. Les Américains interviennent en Afghanistan voire en Irak pour défendre les mêmes valeurs qu'en 1941. Un tel film sorti avant 2008 aurait pu être catalogué pro-administration républicaine, celle des Faucons au service de George Bush junior. Sorti en 2011, avec comme sujet l'origine de Captain America, c'est à la fois maintenir la continuité de la politique américaine tout en préférant l'approche démocrate du successeur de George Bush. Barack Obama n'a jamais remis en cause officiellement l'intervention américaine mais a réorienté ses motivations.


Conclusion
Les USA n'en ont donc pas fini de se raconter par des super-héros allégoriques. A chaque période clé, ce sont des cohortes de films revisitant leurs mythes comme autrefois les Grecs anciens se racontaient les aventures et tribulations de leurs dieux de l'Olympe et de leurs héros. Reste à voir, pour cette dernière version de Captain America si la morale du film accompagne bien la nouvelle orientation prise par le président Obama ou si  le film ne fait que, au mieux, raconter à nouveau et à force d'effets spéciaux les origines du héros américain, ou, au pire, si le film reprend ce qui parfois génère l'anti-américanisme, c'est-à-dire en présentant les USA comme impérialistes et supérieurs aux autres. Au regard du sujet et du résumé de présentation, on peut espérer que non.
A vous de juger mercredi 17 août 2011!

A bientôt

Lionel Lacour

mardi 9 août 2011

Emeutes au Royaume Uni août 2011 et Harry Brown


Images de Londres 7 août 2011 - Photo Leon Neal / AFP
Bonjour à tous.

Un petit papier très court pour mettre en relation actualité et cinéma.
En janvier 2011 sortait le film Harry Brown. J'y consacrai un article pour comparer la représentation de la violence urbaine montrée dans ce film avec celle présentée dans les médias et les films français.

Ce qui saute aux yeux est l'extrême violence qui est montrée dans les images télévisées anglaises qui correspond à celle mise en scène par le réalisateur. De même, le déclenchement de l'émeute est dans le film comme à Londres cet été dû à une intervention policière gênant les activités illégales de certains jeunes ou moins jeunes.

La réaction policière dans le film apparaît comme disproportionnée. A y regarder de plus près, l'engagement de David Cameron de passer de 6000 hommes à 16000 dans les zones d'émeute n'est pas une mince réaction!

Contrairement aux émeutes de 2005 ayant eu lieu en France, aucune information ne remonte des médias anglais pour expliquer cette violence comme étant due à des problèmes d'intégrations des populations immigrées ou à des différenciations ethniques que subirait la société anglaise. Dans un pays qui a longtemps vanté une gestion communautariste des différents groupes de sa population, il n'y a rien d'étonnant. En revanche, on peut s'étonner que les journalistes français ne s'interrogent pas davantage sur ce point précis. Pour mémoire, les casseurs cagoulés de 2005 étaient souvent assimilés à des jeunes issus de l'immigration et en échec d'insertion dans la société, pour ne pas dire d'intégration, alors mêmes que ces jeunes cagoulés pouvaient être de la 3ème voire 4ème génération post-immigration.
Est-ce à dire que les cagoules anglaises sont moins une preuve de marginalisation de la patrie britannique que ne pouvaient l'être la cagoule française de la patrie française? On peut aussi y voir un suivisme des sources britanniques sans analyse. On peut encore croire que les journalistes se rendent compte que les analyses de 2005 sont invalidées par les événements de ce mois d'août dans un pays ayant autrement géré ses populations immigrées ou issues de l'immigration.

On peut enfin et surtout se rendre compte que comme dans Harry Brown, l'explication de ces émeutes est avant tout sociale, expliquée par la crise financière et économique, et politique, marquée par l'incapacité des gouvernements en général et de celui britannique en particulier, à gérer socialement la crise.
Dans Harry Brown, le héros, issu du quartier enflammé réglait lui-même les problèmes des caïds, provoquant le mépris de nombreux critiques de cinéma. Or le film ne traduisait qu'une réalité du terrain.

Une banlieue en flamme, des policiers nombreux 
mais impuissants, et un sauveur illusoire devant:
une des affiches de Harry Brown
Quand l'Etat est défaillant, quand la Loi démocratique ne défend plus les plus faibles, l'Ordre ne se rétablit que de l'intérieur. Est-ce Bien? Du point de vue de notre société démocratique, certainement pas. Pour un réalisateur, cela permet une dramaturgie évidente. Et pour les spectateurs, ce personnage devient facilement un "Robin des Bois". A ceci près que, contrairement à ce que les plus farouches critiques dénonçaient du film, le calme obtenu par Harry Brown n'est qu'un calme relatif. Le spectateur sait très bien que rien n'est vraiment réglé, sinon un ordre temporaire, une quiétude momentanée jusqu'à ce que de nouveaux caïds ne prennent le pouvoir.

Harry Brown n'est pas un film prémonitoire. Il ne se nourrit que de ce qui gronde déjà et que les médias ne perçoivent pas. Une tension sous-jacente prête à exploser. Le film localisait son émeute urbaine dans une banlieue populaire. La réalité a dépassé ce cadre, allant d'abord en centre ville de Londres, puis se propageant dans d'autres villes en rien concernées par l'élément déclencheur des violences urbaines.

En ceci, il faudrait toujours voir un film sur l'analyse d'un fait sociétal non comme une prévision à la Cassandre, mais bien comme un symptôme. Et ne pas se contenter d'une analyse morale externe au film sans en comprendre le sens réel. Cela aurait par exemple évité à certains journalistes ou intellectuels de traiter L'inspecteur Harry de film fasciste!

A bientôt

Lionel Lacour

lundi 8 août 2011

Le retour de la Planète des singes?

Bonjour à tous,

après près d'un mois de congé, je reviens pour évoquer la sortie du film La planète des singes: les origines de Rupert Wyatt devant sortir ce mercredi 10 août 2011 en France.
Depuis la sortie du roman de science fiction de Pierre Boulle en 1963, plusieurs versions sont sorties dont la meilleure, celle de 1968 par Franklin J. Schaffner avec Charlton Heston qui donna lieu à une saga d'en tout cinq épisodes (La planète des singes, Le secret de la planète des singes, Les évadés de la planète des singes, La conquête de la planète des singes et enfin La bataille de la planète des singes).
En 2001, Tim Burton tentait une version différente de La planète des singes avec des effets spéciaux qui auraient dû faire oublier la version de 1968... Enfin, vient cette nouvelle version.
(pour une analyse spécifique du film La planète des singes: les origines, voir "La planète des singes: le mythe régénéré")
Voir aussi l'article sur La planète des singes: l'affrontement

1. De plus en plus éloigné de Pierre Boulle!
Ce qui est le plus intéressant, et à la fois normal, c'est que la version de Schaffner est celle qui est la plus proche de l'oeuvre littéraire dont elle est tirée. L'arrivée des astronautes sur une planète à atmosphère respirable est à peu près identique dans le livre et dans le film. Ensuite, et à peu de choses près, les deux oeuvres se ressemblent dans le déroulé et dans les personnages. Seule la fin diverge, gardant au livre son esprit de science fiction et en même temps en maintenant le lecteur dans un état de sidération. En revanche, le film se transforme en un seul plan en film de quasi anticipation dans lequel le personnage principal, l'astronaute, découvre qu'il n'a jamais été ailleurs que sur sa propre planète la Terre, et ce par la vue traumatisante de la statue de la liberté ensablée.


Dans l'oeuvre de Burton, tout est exactement l'inverse. La quasi totalité du film est contraire au livre. Certes, il y a bien l'arrivée d'un astronaute sur une planète. Mais telle que l'histoire nous est racontée, aucune ambiguïté n'est possible: il s'agit bien d'une autre planète puisque l'action se situe déjà dans l'espace, et très éloignée de la Terre. Tout le reste essaie de nous montrer une culture simiesque ayant les mêmes caractères que celle des humains, ou plutôt des Américains, avec des jeunes singes jouant et portant des tenues de basket ball, avec des dîners de gala et des tenues de
séduction dignes des comédies romantiques. Ainsi, c'est bien le choix inverse que Burton a fait par rapport à la première adaptation cinématographique: la version de Schaffner nous présentait une planète quasi désertique avec des singes au comportement et au tenues qui ne faisaient pas penser de prime abord à une transposition de notre planète, si ce n'est que les rapports étaient inversés: les singes parlent et sont civilisés, les humains sont muets et se comportent comme des bêtes sauvages - à ceci près qu'ils se vêtissent de peaux de bêtes. Et c'est seulement au fur et à mesure que l'analogie entre la civilisation simiesque de cette planète et celle humaine de la Terre s'opère.La version de Burton nous plonge quant à elle directement dans une planète différente de la Terre mais avec tant d'éléments de ressemblance que d'emblée le spectateur est quasiment contraint de comprendre que le film est bien une fable mettant en scène une civilisation de singes "copiée-collée" à celle des hommes de la Terre. Seul hic, c'est que des hommes vivent sur cette planète mais qu'à la différence de la version de 1968, eux, ils parlent et semblent furieusement intelligents et débrouillards.



En fait, la seule fois où le film de Burton semble coller au roman, c'est dans la scène finale, quand le héros fuit cette planète dans son engin spatial, et introduit les coordonnées de la Terre dans son ordinateur. Il atterrit à Washington devant le mémorial où se trouve notamment les statues de Lincoln. Or il y trouve les statues de singes, dont celle du général Thade, le singe qu'il a combattu durant le film et qui est censé être mort. Si cette séquence est fidèle au livre, elle est pourtant d'un incohérence totale avec le film. Nous le verrons tout à l'heure.
  
La dernière version, qui sortira donc ce mercredi n'est pas une autre adaptation de l'oeuvre de Pierre Boulle. Comme son nom l'indique, l'action se passe avant que la planète Terre ne passe sous le contrôle des singes. Le point de départ est donc différent des deux autres versions. Il s'appuie surtout sur le fait que tout le monde connaît désormais cette fable, ce qui n'était pas le cas en 1968. Rupert Wyatt essaie de donner une version scientifique à ce que le personnage de Taylor interprété par Charlton Heston allait découvrir en 1968. Sauf que une des explications données en 1968 était que l'arrivée au pouvoir des singes était entre autre due à la guerre nucléaire détruisant la civilisation humaine. Des suites, déjà évoquées plus haut, allaient préciser ce qui étaient réellement arriver aux hommes. Pour revenir à cette dernière version, la question des origines de la planète des singes s'inscrit dans un contexte évident du XXIème siècle au regard des avancées scientifiques qui permettent d'entrevoir la création d'intelligence artificielle et d'influer sur le patrimoine génétique des individus. Alors pourquoi pas des singes? Cette approche se différencie de celle de la saga originale qui dans Les évadés de la planète des singes (Don Taylor, 1971) puis dans La conquête de la planète des singes (Jack Lee Thompson, 1972) critiquaient le déclin de notre société qui conservait des pratiques barbares comme la boxe. Les singes venus du futur, donc intelligents, étaient finalement traqués par les homes après qu'il leur eurent appris qu'ils avaient disséqués des hommes sur leur planète et surtout qu'ils l'avaient quitté juste avant qu'elle n'explose. Conscients du danger que pouvaient représenter ces êtres, et oubliant la cause de cette prophétie de Cassandre, des hommes voulurent les tuer eux et leur progéniture qui fut finalement cachée dans un cirque (Les évadés...). Dans La conquête..., le spectateur se trouve dans un monde qui correspond à aujourd'hui dans lequel la vie des espèces animales et végétales est de plus en plus difficile et où les grands singes sont utilisés comme de la main-d'oeuvre servile. Parmi eux se trouve César, fils des évadés. Il mènera la révolte des grands singes contre leurs maîtres humains. Ce film assez violent montrera une révolte de près d'une demi-heure filmée sur le modèle de la révolte de Watts en 1965. La critique est ouvertement un prétexte pour critiquer la situation des Noirs aux USA malgré les avancées législatives des années 1960.
Les temps ont changé, l'oeuvre de Boulle ne sert plus que comme point de départ à la réflexion des artistes qui l'interprète en fonction des problèmes de leur temps. Et c'est en cela, entre autre, que le film de Burton déçoit puisqu'il n'apporte aucun point de vue sur son époque.


Ari, une femelle singe?
2. Cohérence et vraisemblance: avantage Schaffner?
D'autres éléments de différenciation existent entre les deux premières versions: les singes de Schaffner ressemblent à ceux décrits par Boulle: ils ne sont pas dotés de capacités physiques différentes de nos grands singes tandis que la version de Burton les dote de capacités extravagantes, notamment dans les bonds, transformant les chimpanzés en véritables sauterelles! Le spectateur ne peut qu'être troublé par la version de Burton dans cette approche du film: les maquillages et effets spéciaux sont d'une qualité nettement supérieure à la première version et pourtant, l'ensemble est moins crédible. En effet, les singes ressemblent à peine à des singes, l'héroïne étant plus proche du chat que du chimpanzé, adoptent des comportements ouvertement humains, notamment en terme de protocole et d'apparat, et réagissent néanmoins avec une violence bestiale inouïe dans certaines circonstances, laissant même le pouvoir armé à l'un d'entre eux ouvertement fou, qui lui ressemble vraiment à un singe -hormis ses sauts de plusieurs mètres de haut!.
L'autre élément d'incohérence qui peut apparaître est dans les origines de la culture des singes. Dans la première version, on évoque un temps passé, un législateur qui aurait été à la base de tout. Puis nous découvrons au fur et à mesure du film, que les hommes avaient autrefois été les êtres dominants de la planète et que les sages qui dirigent désormais, des Orang-outangs, le savent mais ne le disent pas. La civilisation humaine est reconnue pour sa supériorité mais aussi pour sa violence et sa capacité auto-destructrice. Dès lors, les décors et costumes des singes semblent pouvoir être compris comme une réponse à l'individualisme égoïste des hommes, et notamment les Américains, qui ont mené leur espèce à être relégués à l'état de bêtes sauvages. Les singes s'habillent et se logent quasiment à l'identique, les espèces sont à la fois hiérarchisées et en même temps traitées à égalité.


La version de Burton met un point de départ également religieux.  Mais si la version de Schaffner reste dans le flou des origines, Burton nous donne lui l'occasion de connaître le point de départ: tout aurait commencé à Calima, avec un père fondateur: Semos. Et c'est vraiment là que tout l'édifice de Burton s'effondre. En effet, Calima se trouve être le vaisseau que le héros, le capitaine Léo Davidson joué par Mark Wahlberg, a quitté pour rattraper un module dans lequel se trouvait un jeune chimpanzé. C'est en le cherchant qu'il fut pris dans une perturbation magnétique qui le fit atterrir sur cette planète. Manifestement, le vaisseau mère a lui aussi été pris car ce champ magnétique et s'est écrasé sur cette planète. Or ce vaisseau disposait de singes sur lequel étaient faits des expérimentations par des astronautes. Arrivés sur cette planète, les singes auraient pris le pouvoir sur les hommes, qui, mystère, n'auraient pas tiré avec leurs armes pour se sauver. Ces hommes se seraient donc trouvés sous la domination de singes qui n'étaient, rappelons-le que des singes! Et ceux-ci seraient devenus progressivement des êtres supérieurs. Et parce que cela semblaient ne pas suffire, les générations de singes qui n'ont jamais connu autre chose que leur planète se sont mis à développer une culture et une mode vestimentaire identique à celle des hommes de la fin du XXème siècle. Enfin, nous découvrons le pourquoi de Calima: il s'agit de lettres inscrites sur la paroi du vaisseau. Or il suffit au héros de frotter sur cette paroi pour voir se révéler d'autres lettres:


Ainsi, le lieu fondateur de la civilisation des singes porterait le nom de lettres seules restées visibles après que la poussière se serait déposée ce qui prouverait que le lieu avait été abandonné par les premiers singes dont Semos. Or ce sont eux qui ont transmis leur héritage aux suivants. Le nom de Calima est donc clairement créé pour donner au spectateur le sentiment d'assister à une révélation en même temps que les personnages du film.
Certains peuvent se satisfaire de cette explication. On peut se demander comment la poussière a pu tenir et rester tant d'années pour ne dégager que ces 6 lettres. On peut aussi se demander quelle utilité cette révélation a dans l'histoire si ce n'est dire aux spectateurs "méfiez vous des récits qui fondent le monde sur une genèse pas si merveilleuse que cela". Si la critique est acceptable, la transcription à l'écran est facile et ridicule.
Alors que dans la version de Schaffner les singes sont dotés d'armes à feu, ceux de Burton qui ont développé manifestement une industrie textile et autre leur permettant de ressembler à de bons petits américains, se battent avec des armes rudimentaires qui suffisent à dominer des hommes qui sont eux restés intelligents, et donc descendants de ceux du vaisseau spatial. Plus drôle: la seule arme "moderne" est un pistolet que le général Thade volera. Elle venait des hommes du vaisseau, preuve que ceux-ci en disposait d'une et qu'ils auraient pu tuer ces singes "rebelles"! Mais quand le petit singe perdu au début de l'histoire apparaîtra par enchantement dans son module, le capitaine Léo y récupérera une arme encore plus moderne qu'un simple revolver!
Enfin, la conclusion du film dont nous avons parlé plus haut continue à montrer les incohérences du scénario car comment le capitaine Léo peut revenir sur une planète semblable à la Terre, à Washington, avec des statues du général Thade dans ce film dont toute l'histoire donne comme justification à la planète des singes le développement sur une autre planète de deux espèces, hommes et singes, à partir d'un point de départ clairement identifié? Certes il y a eu des distorsions temporelles puisque le vaisseau mère a atterri sur la planète avant le capitaine alors que celui-ci était parti avant et a atterri après - idem pour le singe perdu dans son module aérospatial. Mais cette distorsion de temps était circonscrite à cette planète éloigné du système solaire! Si l'oeuvre de Schaffner joue sur une distorsion du temps, celle-ci se concentre sur la Terre. Burton ne peut en aucun cas jouer sur les deux tableaux sans créer une autre incohérence dans son film.
Pour la prochaine version, pas d'incohérence possible puisque le scénario commence justement par le point de départ ce qui est d'ores et déjà plus facile dans l'écriture et plus facile à faire admettre aux spectateurs.

Conclusion
La comparaison de ces oeuvres mériterait bien plus que ces quelques lignes. Pourtant, il se dégage quelques points importants. Le livre de Pierre Boulle a créé par ses adaptations cinématographiques une fable exploitable et transcriptible comme l'oeuvre de Montesquieu l'a été pour Les lettres persanes. D'ailleurs, l'épisode Les évadés de la planète des singes reprend en quelques sortes cette manière de critiquer une société par des personnages venus d'ailleurs. Schaffner a transposé l'histoire initiale en l'adaptant pendant la période d'angoisse nucléaire post crise de Cuba. Rupert Wyatt profite des débats bioéthiques et scientifiques pour donner une origine crédible d'une possible future planète dominée par des singes. Burton a quant-à-lui profité de son talent pour revisiter une planète des singes correspondant à son univers fantastique. Mais si la morale de ses films pouvait accepter un certain simplisme comme dans son chef d'oeuvre Edward aux mains d'argent, l'oeuvre de Boulle ou la relecture du film de Schaffner lui a complètement échappé, transformant le tout en une farce grotesque mêlant clin d'oeil publicitaire (la chimpanzée reprenant à son compte une pub de L'Oréal!), vision médiévalo-futuriste de sa planète, casting tape à l'oeil (ah! la belle mannequin Estella Warren, paysages et décors digne d'heroïc fantasies et bataille péplumesque. Le tout ne fait pas un film, hélas, et encore moins un discours. Tim Burton a cependant pour lui l'excuse de n'avoir pas pu faire le film qu'il désirait étant en conflit avec la production. Pourtant, les films de la saga initiale n'ont pas manqué de problèmes de production, les budgets de chacun des films fondant comme neige au soleil à mesure que les épisodes se faisaient de plus en plus critiques vis-à-vis des USA, avec un sommet dans La conquête de la planète des singes où les décors minimalistes rendirent finalement encore plus saisissant la rébellion des singes face à l'oppresseur humain et annonçant l'ère prochaine de la planète des singes sur fond d'incendies de la ville! Surtout, après le premier épisode, l'ensemble de la saga bénéficie d'une cohérence interne largement supérieure, même si les épisodes sont de qualités inégales.
Espérons que La planète des singes: les origines, qui surfe malgré tout sur la mode de présenter d'où partent les mythes (Batman begins, et dans une certaine mesure, le premier opus de Spiderman), permettra de faire oublier la version de Tim Burton en offrant une vision de son temps moins simpliste et préparant une suite intéressante. Si l'épisode 1 était réussi, gageons que le 2 suivra, d'autant que prenant l'histoire à l'endroit, il n'y aurait pas de problème de cohérence temporelle entre le présent du film et un passé explicatif.

A bientôt

Lionel Lacour

Pour une analyse du film La planète des singes: les origines, voir "La planète des singes: le mythe régénéré"

samedi 9 juillet 2011

Soleil vert au Festival Lumière 2011

Bonjour à tous,

Durant le 3ème Festival Lumière (du 3 au 9 octobre 2011) sera projeté le film de Richard Fleischer Soleil vert réalisé en 1973. Ce film est un classique du genre "anticipation" comme il y en avait tant en cette période, et qui prévoyaient soit l'apocalypse nucléaire (La planète des singes) soit la fin du monde et la barbarie de retour (New York ne répond plus). Mais ce qui fait la force de Soleil vert, c'est de mettre l'action dans le futur (qui l'est de moins en moins pour nous!) dans un décor loin d'être futuriste, rendant encore plus efficace la critique de la société des années 1970. Certains répondront que c'est l'essence même du film d'anticipation que de parler d'un futur proche pour évoquer le présent du film. C'est vrai. Sauf que plus le film vieillit, plus on réalise que ce film d'anticipation est une critique immuable de notre société de consommation, jusqu'à sembler ne plus devenir un film d'anticipation mais un film d'actualité!



1. Un générique original et didactique

Avant d'entrer dans le coeur du film, il y a toujours un générique qui présente parfois le décor, les personnages ou encore la situation. Celui de Soleil vert présente un contexte historique et économique qui est d'autant plus impressionnant qu'il se construit sur une musique divisée elle-même en trois temps. Le premier est assez lent, illustré en Split screen d'images nostalgique d'un temps passé, fin XIXème début XXème siècles, où les hommes vivaient à la campagne et de l'agriculture, découvraient les joies de la première automobile devenu véritable transport en commun! Puis le deuxième temps musical est marqué par une accélération du rythme correspondant à la marche du progrès du monde occidental. Toujours en split screen, l'écran voit se succéder des photographies de la croissance industrielle des villes américaines, l'explosion démographique et urbaine, la démultiplication de l'automobile entraînant pollution et gestion des carcasses de voitures s'amoncelant en périphérie des villes. Secondes après secondes, les images défilent et montrent une époque qui se rapproche de plus en plus du présent du spectateur, celui de 1973 mais aussi celui d'aujourd'hui, avec des illustrations devenues tellement symboliques comme le masque sur le visage des piétons luttant contre la pollution atmosphérique ou encore des métro bondés remplis par des employés chargés de pousser les derniers voyageurs dans les voitures! Dans le dernier temps musical du générique, les images sont montrées plus longuement, s'accordant à un tempo lui aussi ralenti. Ce moment sert de constat: qu'avons nous fait de notre monde moderne? Les étangs pollués aux hydrocarbures sont suivis de zones de déchets urbains et de décharges sauvages. L'espace naturel disparaît de l'image comme les zones agricoles d'ailleurs. Sur ce générique, aucun nom d'acteur ni de l'équipe technique. Il se compose comme un court métrage en préambule du film lui-même dont le titre apparaît sur la Skyline d'une ville polluée et embrumée, New York: Soylent green en Version originale, "Soleil vert" dans sa version française.

2. La congestion urbaine
Dès la première image, le spectateur se situe par rapport au temps futur annoncé: New York, 2022, soit près de 50 ans après, pour les premiers spectateurs du film. Mais dans seulement à peine plus de dix ans pour nous, spectateurs de 2011!
À cette précision temporelle et de lieu se rajoute un élément démographique: "Population: 40 000 000".
Ce nombre est absolument vertigineux car l'agglomération la plus peuplée ne devait pas atteindre les 10 millions à l'époque. Or depuis, Tokyo et le Kanto dépasse les 30 millions et d'autres agglomérations n'en sont pas loin. On voit donc que cette anticipation qui avait pour objectif d'effrayer les spectateurs n'était pas si dénuée de raison et que les faits confirment cette tendance à l'explosion urbaine des grandes métropoles, même si celles qui ont le plus crû sont les mégapoles asiatiques.

Tout dans le film montre les limites de la sur-urbanisation: difficulté de gestion des logements, pression démographique, violence urbaine, difficulté d'approvisionnement en eau et produits alimentaires ainsi qu'en énergie. À ces difficultés répondent des solutions souvent non maîtrisées par les pouvoirs publics: protection privée et armée des immeubles, marché noir, rationnement de l'électricité et production personnelle de cette énergie -le personnage joué par Edward G. Robinson pédale sur son vélo pour générer de l'électricité! - présence policière massive dans les marchés d'alimentation.
La paupérisation de ces villes provoque alors une ségrégation par classe sociale. Ainsi, la ville semble être le territoire de la misère tandis que des quartiers périphériques protégés tels des châteaux forts par des murs de béton et autre protection comme la surveillance vidéo - je rappelle que le film date de 1973 - accueillent les classes bourgeoises qui ont accès à l'énergie, à l'eau et aux aliments sans restriction aucune.
De fait, certains des classes populaires essaient de vivre dans ce monde de luxe et d'abondance par tous les moyens. Il en ressort que les hommes riches habitent des appartements meublés, c'est-à-dire avec les meubles inanimés mais aussi animés, par la présence de femmes. Celle(s)-ci est (sont) vendue(s) avec l'appartement et entretenue(s) par un majordome d'immeuble, lui aussi vivant avec les classes supérieures bien que faisant partie de la classe populaire.
En quelque sorte, Soleil vert, c'est Metropolis à l'horizontal!

3. Un monde qui vire à l'anarchie
De cet univers ressort une impression d'absence de pouvoir. Pourtant, celui-ci est bien présent, mais sans jamais être clairement défini hiérarchiquement.
Le pouvoir politique existe bien, il y a même une campagne politique qui est en cours avec affichage du principal candidat. Mais ce pouvoir politique n'est qu'un simulacre de pouvoir du fait que la pratique démocratique ne peut vraiment s'exprimer avec une population dont la première des préoccupations est de survivre en se nourrissant d'aliments industriels ("Soleil vert", "Soleil jaune"...) et en vivant dans des logements de fortune voire dans les escaliers. Ce pouvoir politique s'exerce pourtant mais en collusion avec un autre pouvoir, celui économique représenté par les dirigeants de la société Soylent, fabriquant les fameux Soleil vert. Cette collusion politico-économique arrive à maintenir un équilibre précaire de sécurité dans la ville. Un autre pouvoir ressort du film, c'est celui de la connaissance. En effet, l'appauvrissement des ressources naturelles et de la société ont contraint manifestement au renoncement à l'éducation. Le "livre" devient une richesse rare, préservée par quelques irréductibles, seuls capables de résister face au pouvoir économique que représente Soylent, et avec lui celui des politiques corrompus. Le pouvoir de l'Eglise est lui aussi régulièrement montré à l'écran. Ce pouvoir est un pouvoir moral, spirituel mais qui n'a plus d'influence sur le fonctionnement de la société. Au mieux est-il un refuge pour les miséreux et les âmes égarées, le tout dans une représentation médiévale. Pour que l'ensemble de ces pouvoirs s'affrontent, le scénario fait ressortir un dernier pouvoir, celui non organisé et qui sied si bien à la mentalité américaine: le pouvoir de l'individu libre d'agir, même contre les pouvoirs en place.
Trois personnages incarnent cette liberté: un dirigeant qui pris de remords se confesse à l'église et se sait alors condamné à être exécuté; un vieillard qui a connu un monde meilleur et qui refuse de vivre dans celui tel qu'il est devenu; enfin un policier qui enquête sur la mort du premier, malgré les pressions exercées sur lui par sa hiérarchie, le pouvoir politique et la multinationale.



4. Un film "décroissant"
Dès le générique, il s'agit bien de montrer que la sur-exploitation industrielle de la planète amène une pollution et un amoncellement de déchets que l'homme n'arrive plus à gérer. Le film s'inscrit ici dans un schéma de pensée de l'époque qui, sous l'influence du Club de Rome se concrétise par la rédaction d'un rapport en 1972 dit "Rapport Meadows" intitulé Halte à la croissance (Limits to Growth dans sa version originale). Ce rapport met en évidence les conséquences d'une croissance qui consisterait à exploiter de manière irraisonnée les ressources quelles qu'elles soient, au risque de subir une décroissance par pénurie et donc le chaos. C'est donc le vrai premier mouvement décroissant qui apparaît alors même que la première crise pétrolière n'a pas eu lieu. Le film serait donc une illustration de ce que le rapport Meadows dénonçait, illustrant de fait la conséquence de cette sur-exploitation des ressources terrestres.

À l'image, cela donne un ensemble de séquences que certains critiques d'aujourd'hui jugent naïves mais qui ont particulièrement marqué les spectateurs de l'époque. Ainsi, quand le policier incarné par Charlton Heston, rapporte de la viande de boeuf et des légumes chez lui, c'est Edward G. Robinson, le vétéran qui pleure devant cette nourriture devenue quasiment introuvable sinon hors de prix. Le voir cuisiner ces aliments, apprendre à son ami comment les déguster puis savourer ce repas pour nous si habituel mais que l'on comprend comme unique en 2022 stimule en nous, spectateurs, l'idée que manger des aliments issus de l'agriculture classique est un bien précieux.
De même, dans une séquence mémorable, Edward G. Robinson se rend dans une institution - il faut taire ici le pourquoi - dans laquelle il voit un montage d'images de la nature, faune, flore, océans et autres merveilles terrestres sur une musique de Vivaldi. Charlton Heston découvre alors ce monde dont il ignorait tout et comprend alors quelles merveilles existaient avant que le monde deviennent un univers quasiment stérile croulant sous la canicule. Car c'est aussi une des conséquences que le film illustre de la sur-exploitation . Elle a provoqué un réchauffement planétaire si bien que pouvoir se rafraîchir par de la climatisation est un luxe au-delà de l'imaginable, même pour nous!

A l'arrière plan, le jeu vidéo "moderne" de 2022...
On est loin des Play Station et autres Wii!
 5. Les limites des films d'anticipation
Comme tous les films d'anticipation, il faut envisager une évolution scientifique moderne afin de faire comprendre aux spectateurs qu'on est dans le futur. Or, si tout les points précédents ont finalement non seulement bien vieilli mais correspondent aussi et encore aux enjeux économiques et sociétaux d'aujourd'hui, la modernité "anticipée" d'aujourd'hui est largement dépassée. Le plus bel exemple relève des jeux vidéos avec lesquels jouent les femmes "mobilier". Ils ressemblent à ceux de la fin des années 1970. L'évolution technologique que nous avons connu depuis ne pouvait être envisagée à ce point en 1973. Ce qui donne un aspect kitsch à cette caractéristique du film.

Charlton Heston découvrant les merveilles de son monde...
avant qu'il ne soit détruit par sa surexploitation




6. Un sujet moral: l'euthanasie
Dans ce film est enfin posé la question du rapport de l'homme à la mort.
En effet, comment doit-on ou peut-on mourir dans un monde surpeuplé? Et que faire des cadavres dans ce même monde pollué et où la nature semble se réduire à un point tel que seuls les océans pourraient encore nourrir les populations de la planète grâce aux entreprises agro-alimentaires?
Plus loin encore, la réflexion tourne finalement sur notre humanité. Serons -nous encore des hommes dans un monde à ce point vidé de tout lien avec la nature, jusqu'aux besoins les plus essentiels, à savoir se nourrir sans recours à des produits industriels.
Ainsi, Fleischer nous amène à réfléchir sur la condition même de l'homme et sur la question de la fin de l'humanité. L'organisation et encadrement par l'État de la mort des individus, qui viendraient donc volontairement mettre fin à leur vie, est manifestement dénoncé comme une régression et un aveu d'impuissance par les autorités elles-mêmes. Le film pose donc des questions sur le bien fondé à autorisé ce suicide assisté, non en jugeant moralement pourquoi ceux qui souhaite avoir recours à cela, mais en se positionnant par rapport aux autorités politiques qui l'accepteraient.


Comme vous l'aurez compris, ce film est d'une grande richesse par les thèmes qu'il brasse et par l'actualité étrange qu'il a encore. Il faut sans cesse se rappeler que le film est de 1973 et que les questions d'écologie et de développement durable ne sont pas nées avec Nicolas Hulot ou Al Gore. Bien sûr, le film est marqué par une esthétique très seventies. Pourtant, tous les enjeux d'une société modernes sont là. Peut-on continuer à croître sans cesse au risque non seulement de détruire la planète mais même l'humanité dans tous ses aspects.
Construit comme un polar, le film est en fait un vrai plaidoyer pour la sauvegarde non pas d'une "nature musée", mais d'une humanité qui continuerait à croître en harmonie avec la nature. L'aspect suranné du film est donc largement dépassé par le message qu'il porte et que, dans un dernier plan sublime, Charlton Heston transmet à son tour à tous les spectateurs qui ne peuvent accepter de voir leur monde se transformer comme dans Soleil vert.

Un film à revoir de toute urgence et à montrer à tous ceux qui ne l'auraient pas encore vu.

À bientôt

Lionel Lacour

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